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Responsabilité de l’architecte pour déperdition thermique d’une construction neuve. Par Grégory Rouland, Avocat.
Parution : mercredi 27 novembre 2019
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En pleine vogue sur la transition énergétique, la Cour d’appel de Riom a rendu un arrêt le 19 novembre 2019 (RG n° 15/03036) qui tombe à point. Il permet de rappeler que le maître d’œuvre est responsable du respect des normes environnementales pour les constructions neuves.

I. Exposé des faits et de la procédure de 1ère instance.

Par contrat en date du 09 janvier 2009, un couple confie à un architecte, la maîtrise d’œuvre complète de la construction de leur maison d’habitation en ossature bois dans le département du Puy de Dôme.

L’ouvrage est réceptionné le 1er février 2012 avec des réserves formulées par l’architecte, tenant notamment à des problèmes d’étanchéité à l’air.

Malgré une mise en demeure délivrée à cette fin au menuisier, aucune reprise n’a eu lieu.

Par conséquent, les maîtres d’ouvrage assignent l’architecte et le menuisier devant le juge des référés de Clermont-Ferrand qui, par ordonnance rendue le 10 avril 2013, ordonne une mesure d’expertise judiciaire, qui permet de mettre en exergue que le domicile souffre d’entrées d’air parasites à plusieurs endroits.

Par jugement rendu le 13 avril 2018, le Tribunal de Grande Instance de Clermont-Ferrand a alors considéré que le défaut d’étanchéité à l’air de la maison d’habitation ne permettait pas de respecter la Réglementation Thermique RT 2005, rendant ainsi ladite maison non conforme à sa destination.

De fait, le Tribunal a condamné l’architecte à payer aux maîtres d’ouvrage les sommes suivantes :
- 72.000€ au titre des travaux de reprise outre indexation en fonction de la variation de l’indice du coût de la construction entre le 28 janvier 2015 et la date du présent jugement ;
- 9.600€ au titre des préjudices annexes,
- 6.000€ en réparation de leur préjudice de jouissance,
- 3.000€ au titre des frais d’avocat,
- Les frais d’huissier et les frais d’expertise.

En revanche, les maîtres d’ouvrage ont été condamnés à régler l’architecte la somme de 1.209€ au titre du solde de ses honoraires, mais compte tenu du montant de cette somme, le Tribunal a ordonné sa compensation avec les condamnations sus-visées, conformément à l’article 1347 du code civil.

Quant au menuisier, il est condamné à verser la somme de 1.000€ aux maîtres d’ouvrage au titre de leurs frais d’avocat.

L’architecte interjette appel, reprochant au Tribunal d’avoir estimé à tort que la RT 2005 n’était pas respectée, l’architecte défendant au contraire l’idée que cette réglementation n’imposerait aucune performance minimum d’étanchéité à l’air.

II. Procédure devant la Cour d’appel de Riom.

A. Rappel des règles du code civil.

Aux termes de l’ancien article 1134 du Code civil applicable à l’époque des faits, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

L’ancien article 1147 du Code civil dispose que le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.

B. Rappel des règles relatives aux obligations du constructeur et de l’architecte.

Selon l’article L.111-13 du Code de la construction et de l’habitation, « tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n’a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d’une cause étrangère. »

L’article L.111-14-1° du Code de la construction et de l’habitation ajoute qu’est réputé constructeur de l’ouvrage, « Tout architecte, entrepreneur, technicien ou autre personne liée au maître de l’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage. »

C. Exigence réglementaires sur l’étanchéité à l’air des bâtiments suivant la RT 2005.

Sans rentrer dans le détail, on se contentera d’indiquer que l’article 20 de l’arrêté du 24 mai 2006, relatif à la Réglementation Technique 2005, spécifie des performances précises à atteindre en matière d’étanchéité à l’air.

D. Rappel des règles relatives à la responsabilité de l’architecte.

Suivant la jurisprudence, l’architecte est responsable du manquement ou de la mauvaise exécution de ses obligations dans les limites des missions qui lui sont confiées et des obligations qui sont inscrites dans le contrat passé avec le maître d’ouvrage (Civ. 3e, 21 novembre 2012, n° 11-19778).

E. En l’espèce.

1) Les obligations de l’architecte.

Aux termes du contrat de maîtrise d’œuvre, l’architecte avait une obligation d’information, la conception (études d’avant-projet, dossier du permis de construire, études de projet de conception générale), l’assistance pour la passation des contrats de travaux, une mission de visa, la direction de l’exécution des contrats de travaux, la coordination interentreprises et l’assistance aux opérations de réception.

2) Reproches des maîtres d’ouvrage à l’architecte avant l’ouverture du chantier.

2 mois avant la déclaration d’ouverture du chantier, les maîtres d’ouvrage ont reproché, par e-mail, à l’architecte qu’il n’existait pas de dossier de consultation permettant de cadrer les modalités de réalisation des ouvrages ainsi que le mode de dévolution des marchés de travaux !

De même, les maîtres d’ouvrage ont ajouté ne pas avoir été invité à déterminer les finitions de la maison et les choix techniques, ni reçu d’information sur l’étanchéité des ouvertures du toit. En effet, les documents fournis par l’architecte n’apportent aucune précision concernant les standards et la réglementation en vigueur auxquelles les entreprises doivent se soumettre (exemple : isolation thermique et acoustique).

L’architecte a répondu que la problématique du dossier résidait dans le budget des maîtres d’ouvrage, très inférieur à l’idée de la maison qu’ils souhaitaient.

Malgré tout, la performance énergétique était un élément déterminant du contrat pour les maîtres d’ouvrage dans la mission confiée à l’architecte et dont ce dernier avait pris toute la mesure avant le commencement des travaux.

3) Constatations des désordres de l’expert judiciaire.

L’expert judiciaire dépêché par le Tribunal a relevé que les défauts d’étanchéité à l’air de l’ensemble de la construction sont réels, faute pour cette dernière de répondre aux impératifs de la norme RT 2005.

En effet, l’article 20 de l’arrêté du 24 mai 2006 fixe une perméabilité à l’air que, selon l’expert, la construction ne respecte pas.

L’expert ajoute que le dossier de l’architecte ne comporte aucun détail d’exécution faisant précisément apparaître les détails du traitement de l’étanchéité à l’air entre les menuiseries.

De fait, l’expert souligne son incompréhension sur la manière dont le plâtrier et le menuisier ont réalisé les travaux, la manière dont la laine de verre a pu être posée, la manière dont les coffres de volets roulants et les solives ont été isolés, etc : « il manque un nombre considérable de détails qui ne sont pas explicités clairement et sans ambiguïté sur les plans ». Pire, les comptes-rendus de chantier sont totalement muets sur la question !

Aussi, l’expert judiciaire reproche l’absence de test d’étanchéité à l’issue des travaux de pose du pare-vapeur, qui aurait permis de s’apercevoir du défaut d’étanchéité des plafonds.

L’expert a précisé que la multiplication des entrées d’air dans la maison des maîtres d’ouvrage sont une source considérable de gaspillage d’énergie et ne permet pas d’atteindre les objectifs de la réglementation thermique 2005.

De même, les malfaçons constatées sont telles qu’elles confinent à une impropriété à destination.

Cette multiplication d’entrées d’air ne se limite pas, comme l’indique à tort l’architecte, à quelques entrées d’air localisées dans la maison principalement au niveau des coffres de volets roulants du rez-de-chaussée-de-chaussée. Au contraire, toute la maison est concernée par le défaut de perméabilité.

L’architecte a alors commis une faute contractuelle, car le contrat le liant aux maîtres de l’ouvrage stipulait que les études d’exécution étant intégralement réalisées par les entreprises, l’architecte en examine la conformité au projet de conception générale qu’il a établi et appose son visa sur les documents (plans et spécifications) si les dispositions de son projet sont respectées.

Or, l’architecte s’est contenté d’un projet et d’une conception lacunaire de la maison… sans test d’étanchéité.

4) Responsabilité contractuelle de l’architecte.

Investi d’une mission de conception générale, de visa et de surveillance de l’exécution des travaux, l’architecte devait s’assurer auprès des entreprises que l’imperméabilité à l’air telle qu’elle ressortait des exigences de l’article 20 de l’arrêté du 24 mai 2006 (RT 2005), et qui était primordiale pour les maîtres d’ouvrage, avait été correctement mise en œuvre et validée.

Or, l’architecte échet quant à rapporter cette preuve. De sorte, l’architecte n’a pas accompli sa mission avec une diligence normale, commettant ainsi une double faute : d’une part, dans la conception du projet dès lors que le dossier ne comporte aucun détail sur le traitement de l’étanchéité à l’air, et d’autre part dans la surveillance des travaux réalisés par le menuisier, qu’il avait pourtant conseillé, et qui affecte l’ouvrage dans l’un de ses éléments constitutifs et le rend impropre à sa destination.

5) Décision des juges d’appel.

Pour ces motifs, la Cour d’appel ne pouvait que confirmer le jugement de première instance en ce qu’il a condamné l’architecte à réparer les préjudices subis par les maîtres d’ouvrage.

En revanche, l’architecte a été condamné à verser davantage de dommages et intérêts.

En effet, l’importance des travaux de reprise et de la coordination nécessaire des différentes entreprises intervenantes, est telle que l’architecte est condamné à payer la somme de 10.920€ au titre des frais de maîtrise d’œuvre.

De même, les maîtres d’ouvrage devant supporter les frais de déménagement des meubles, leur stockage et leur réaménagement, l’architecte est condamné à leur verser la somme de 9.600€.

Enfin, les difficultés à chauffer la maison l’hiver en raison des infiltrations d’air depuis 7 ans et les travaux de reprise que doivent supporter les maîtres d’ouvrage pendant 4 mois justifient l’octroi de la somme de 6.000€ en réparation de leur préjudice de jouissance.

III. Que retenir de cette affaire au regard de la RT 2012 ?

Cette affaire démontre que l’architecte peu scrupuleux dans la réalisation d’une maison sera nécessairement responsable. Plus spécifiquement, s’il ne s’assure pas de la perméabilité de la construction, au regard des normes environnementales, il engagera sa responsabilité et ce d’autant plus s’il ne s’assure pas d’une étude préalable en la matière.

Cette affaire s’applique parfaitement à la norme RT 2012.

L’architecte, investi d’une mission complète, est responsable de la phase de conception et de réalisation : il doit concevoir un bâtiment qui ait le moins de prise aux éléments générant de la déperdition d’énergie. Tenu de satisfaire la norme RT 2012, il a donc une obligation de conseil renforcée tant pour le choix des matériaux et matériels quant à leur performance, mais aussi sur leur bon usage et leur entretien.

De même, l’architecte (comme le maître d’ouvrage) a l’obligation d’attester que tout ce qui a été prévu pour la mise en œuvre de la RT 2012 a bien été respecté. Le contenu de l’attestation doit indiquer le récapitulatif de l’étude thermique, les documents justifiant des isolants posés sur paroi opaque, le rapport de perméabilité à l’air, les mesures des trois objectifs, le nombre et le type de générateurs de chaleur et de froid, le système de ventilation et, surtout, les éventuelles irrégularités constatées à la RT 2012.

La violation de la norme RT2012 paraît donc difficile compte tenu des nombreux documents à remplir. Cependant, la présente affaire démontre qu’un maître d’œuvre peut faire preuve de carence, voire d’une éventuelle ignorance quant aux obligations imposées par la loi.

Ainsi, la violation de la RT2012 créée un défaut de conformité de l’ouvrage à sa destination, faute de respecter les normes environnementales, pouvant engager la responsabilité de l’architecte. Cette dernière consistera à prendre à sa charge le coût des travaux indispensables au respect de la norme RT2012, y compris des préjudices annexes, tels que le relogement des maîtres d’ouvrage.

Grégory Rouland Docteur en Droit et Avocat [->gregory.rouland@outlook.fr]