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Manageur qui contraint ses subordonnés à marcher sur du verre pilé = licenciement pour faute grave. Par Frédéric Chhum, Avocat, et Claire Chardès, Juriste.
Parution : vendredi 29 novembre 2019
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Attention, esprit corporate coupant !

Le 23 octobre 2019 [1], la Cour de cassation a confirmé le licenciement pour faute grave d’un manageur qui avait fait participer son équipe à un team bulding dont l’une des activités prévues au programme consistait à inviter les salariés à déambuler pieds nus sur du verre.

1. Faits et procédure.

Lors de ce « team booster », « la dernière épreuve consistait à casser tour à tour une bouteille en verre enroulée dans une serviette à l’aide d’un marteau, à déposer le verre brisé sur un morceau de tissu étendu au sol et de faire quelques pas sur le verre ainsi brisé pieds nus ».

Monsieur X., un salarié parmi tous les autres qui « se sont exécutés », a refusé de participer. Il « serait sorti de la salle en larmes » avant d’avoir été « contraint d’expliquer au groupe qu’il avait décidé de ne pas marcher sur les morceaux de verre ».

Le médecin du travail avait été alerté par Monsieur X., puis, une enquête avait également été menée par la société.

D’une part, il en était ressorti que Monsieur X avait dû expliquer qu’il ne pouvait pas participer « parce qu’il était porteur d’une pathologie » et « qu’il avait fortement réagi émotionnellement à raison de son isolement craignant les représailles de son manager sur son bonus annuel ».

D’autre part, pour l’ensemble des autres salariés, l’incident avait engendré « une tension et une gêne décrite à différente échelle » par chacun d’entre eux.

Au terme de l’enquête, le manager avait été licencié pour faute grave.

2. Pour le manager, le verre à moitié plein.

Le salarié licencié conteste alors son licenciement, avançant qu’il « n’avait fait que se conformer aux instructions de son employeur ». En effet, c’est « conformément aux instructions de son employeur » qu’il avait confié « l’organisation de cet événement à un prestataire référencé par lui ».
Ainsi, selon le salarié, « l’employeur qui exige du salarié qu’il supervise une activité à risque ne peut lui reprocher la réalisation de ce risque dans le cadre de cette activité organisée dans les conditions qu’il a imposées ».

Celui-ci a également tenté de discréditer la procédure de licenciement suivie par l’employeur. Informée dès le lendemain de la survenance des faits par le médecin du travail, la société aurait trop tardé avant d’engager une enquête.

Ainsi, en ne licenciant le salarié que le 18 février alors que l’incident avait eu lieu le 3 décembre, « l’employeur ne peut être admis à se prévaloir d’une connaissance incomplète des faits reprochés et de la nécessité corrélative de mettre en œuvre une enquête lorsqu’il a tardé à mettre en œuvre cette enquête et à en tirer les conséquences ».

3. Pour la Cour de cassation, le verre à moitié vide.

La Cour de cassation balaye l’argument tenant à la procédure ; pour elle, le moyen du pourvoi est « nouveau », « mélangé de fait et de droit » et donc, « irrecevable ».

En ce qui concerne la justification du licenciement, les juges de la Haute Cour ont retenu que, de l’absence d’intervention du salarié, pendant le stage, « pour préserver l’intégrité physique et psychique de ses collaborateurs », il en résulte la « méconnaissance de ses obligations résultant des dispositions de l’article L. 4122-1 du code du travail ». Ainsi, la faute grave est caractérisée.

Cet arrêt donne une nouvelle illustration de l’obligation de sécurité dont chaque salarié est débiteur à l’égard de ses collègues.

Directement fondé sur l’article L. 4122-1 du Code du travail [2], l’attendu donne l’occasion de se rappeler la teneur de cette obligation : « Conformément aux instructions qui lui sont données par l’employeur, dans les conditions prévues au règlement intérieur pour les entreprises tenues d’en élaborer un, il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail ».

En étendant le champ d’application de cette obligation hors du cadre normal de l’exécution du travail, la position de la chambre sociale se fait le reflet des pratiques en vogue dans les entreprises comme à l’extérieur.

En effet, à l’heure des campagnes de prévention contre les bizutages extrêmes et autres week-ends d’intégration qui tournent mal, même le monde professionnel et ses leaders sont invités à la vigilance.

Enfin, le lien de subordination qui lie les organisateurs à la Direction, eût-elle elle-même validé le choix du prestataire, ne les exonère en rien de leurs obligations à l’égard des autres salariés. Seuls représentants de la hiérarchie lors du team-building, le salarié manager doit veiller à la sécurité des membres de son équipe pendant les activités proposées.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum