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Calcul des intérêts des prêts immobiliers : la Cour de cassation donne le "La". Par Jérémie Boulaire, Avocat.
Parution : mercredi 4 décembre 2019
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Si un emprunteur doit 4.000,00 euros d’intérêts à son banquier pour une année entière, par quel nombre doit-on diviser cette somme pour connaitre le montant dû pour une seule journée ?

C’est à cette question qu’indirectement la Cour de cassation vient de répondre une nouvelle fois, par une importante décision rendue le 24 octobre 2019.

Dans un contexte jurisprudentiel marqué par une position de résistance adoptée par certaines juridictions du fond, cet arrêt, publié au Bulletin civil et sur le site Internet de la Haute juridiction - et qui a donc vocation à recevoir la plus large diffusion - a pu être entendu comme ayant des allures de "fin de récré" [1].

Il opère quoi qu’il en soit une clarification bienvenue concernant le mode de calcul des intérêts périodiques des prêts immobiliers remboursables mensuellement.
 
Pour mémoire, il n’existe qu’une seule règle mathématique possible et exacte s’agissant du calcul des intérêts dus au titre d’une échéance qui ne porte pas sur un mois entier mais sur un nombre de jours.

Ces échéances, appelées communément « échéances rompues », se rencontrent à la suite du premier déblocage des fonds ou encore au cours d’une phase de préfinancement ou d’anticipation. Elles peuvent se rencontrer également en cours de prêt, en phase d’amortissement, en cas de remboursement anticipé partiel ou total.
 
Elles ne portent pas sur une période d’un mois entier mais sur un nombre de jours. C’est la raison pour laquelle elles ne peuvent être calculées sur la base d’un "mois normalisé".

Le taux étant exprimé annuellement, la règle de calcul des intérêts d’une telle échéance consiste à déterminer le montant des intérêts dus pour une journée de mise à disposition du capital, et à le multiplier ensuite par le nombre de jours de la période considérée. Elle se présente donc ainsi :
 

[Capital réalisé] x [Taux d’intérêts annuel] / [Nombre de jours de l’année] x [nombre de jours de la période]

 
Par exemple, pour un capital réalisé de 180.000 € au taux de 5% l’an, une année de 365 jours sur une période de 25 jours, on obtient :

180.000 € x 5% l’an / 365 jours x 25 = 616,44 €

 
En retenant un diviseur de 360, on obtient :

180.000 € x 5% l’an / 360 jours x 25 = 625,00 €

 
On observe ici que l’application du diviseur 360 entraîne une majoration du montant des intérêts de l’échéance rompue qui revient, de fait, à une majoration du taux.
 
Dans cet exemple, cette majoration revient à l’application d’un taux de 5,06945% l’an, et non d’un taux de 5% l’an, comme on peut le vérifier ci-dessous :

180.000 € x 5,06945% l’an / 365 jours x 25 = 625,00 €

 
On comprend dès lors pourquoi cette pratique du diviseur 360 est prohibée.
 
C’est cette position qu’a eu l’occasion de réaffirmer la Cour de cassation le 24 octobre 2019 :

« Mais attendu, d’abord, que le mois normalisé, d’une durée de 30,41666 jours, prévu à l’annexe à l’article R. 313-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue du décret n° 2002-927 du 10 juin 2002, a vocation à s’appliquer au calcul des intérêts conventionnels lorsque ceux-ci sont calculés sur la base d’une année civile et que le prêt est remboursable mensuellement  ; qu’ayant relevé que le prêt litigieux était remboursable selon cette périodicité, c’est à bon droit que la cour d’appel a validé le calcul des intérêts conventionnels sur la base d’une année civile et en fonction d’un mois normalisé   ;
 
Attendu, ensuite, que, si le rapport entre une année civile et un mois normalisé de 30,41666 jours équivaut à celui prohibé entre une année de trois-cent-soixante jours et un mois de trente jours, une telle équivalence ne suffit pas à déduire le calcul des intérêts conventionnels sur une autre base que celle de l’année civile  ; » (Cass., 1re civ., 24 octobre 2019, 18-12.255, publiée au Bulletin civil ; Voy. déjà auparavant Cass. 1re civ., 19 juin 2013 n°12-16.651, Bull. civ ; Cass. 1re civ., 17 juin 2015, n° 14-14.326).
 
Cet arrêt renferme au moins deux enseignements : la normalisation du mois est permise à condition qu’elle permette d’opérer un calcul des intérêts basé sur l’année civile (1), ce qui n’est pas le cas du calcul basé sur une année de 360 jours, quant à lui strictement "prohibé" (2).

1. La normalisation du mois est permise à condition qu’elle permette d’opérer un calcul des intérêts basé sur l’année civile.

La Cour de cassation admet la normalisation du mois dans la mesure où elle permet de respecter un calcul des intérêts basé sur l’année civile.

De ce point de vue, cette décision fait écho à celle en date du 15 juin 2016, par laquelle la Cour de cassation avait cassé pour défaut de base légale un arrêt de cour d’appel, au motif que les juges du fond n’avaient pas recherché, comme ils y étaient invités, si le taux effectif global de chacun des prêts litigieux n’avait pas été calculé en fonction d’un mois normalisé de 30,4166 jours rapporté à la durée de l’année civile (Cass. 1ère civ., 15 juin 2016, n° 15-16.498).

On peut regretter toutefois le choix du texte visé, à savoir "l’article R. 313-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue du décret n° 2002-927 du 10 juin 2002".

En effet, ce texte est applicable aux seuls crédits à la consommation, ce qui ressort de l’intitulé même du décret, lui-même issu d’une Directive communautaire excluant expressément son application aux prêts immobiliers. D’ailleurs, les crédits immobiliers ont fait l’objet ultérieurement d’une Directive 2014/17/UE du 4 février 2014 portant spécifiquement "sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel", laquelle n’a été transposée que par un Décret n° 2016-622 du 19 mai 2016.

C’est donc au prix d’une approximation que la Cour de cassation vise ici le Décret du 10 juin 2002, sans doute pour éviter d’entrer dans une problématique d’application de la loi dans le temps.

Quoi qu’il en soit, il ressort de cette décision du 14 octobre 2019 que la normalisation est admise par la Cour de cassation.

Cela étant, cette normalisation, lorsqu’elle est opérée doit l’être sur la base de l’année civile et d’un mois normalisé de 30,41666 jours, et non sur la base d’un rapport de 30 sur 360 qui est quant à lui strictement « prohibé ».
 
2. La normalisation du mois sur la base du diviseur 360 est prohibée.

Le rapport "entre une année de trois-cent-soixante jours et un mois de trente jours" est "prohibé.

Quant on sait que la Cour de cassation pèse chaque mot employé pour la rédaction de ses arrêts, le message est clair.

Ainsi, la normalisation ne peut être opérée - c’est le deuxième enseignement de cette décision du 24 octobre 2019 - qu’à la condition que la méthode de normalisation retenue respecte un calcul basé sur l’année civile et tel n’est pas le cas de celle basée sur le rapport 30/360.

Certes, lorsqu’il s’agit de calculer les intérêts dus pour un mois entier, le rapport 30/360 est équivalent à celui de 30,41666/365 car, dans les deux cas, il s’agit d’un rapport de 1/12.

Seulement, ces deux méthodes de normalisation des intérêts conduisent à des résultats très différents pour le calcul des intérêts des périodes rompues.

Le rapport 30/360, basé sur un diviseur 360, conduit quant à lui pour ces échéances à une majoration dissimulée du montant des intérêts.

C’est ce qu’a d’ailleurs eu l’occasion d’expliciter la Cour d’appel de Douai dans un arrêt du 25 janvier 2018 :
 
« Attendu en effet que s’il est exact que le montant des intérêts est exactement le même, qu’on le détermine à raison des intérêts annuels x 1/12 ou des intérêts annuels x 30/360 ou encore des intérêts annuels x 30,41666/365, c’est-à-dire en recourant au mois normalisé imposé par l’annexe de l’article R. 313-1 du code de la consommation, il en va différemment en présence d’intérêts dits intercalaires, c’est-à-dire en présence d’intérêts perçus par le prêteur lorsque le nombre de jours correspond à un mois incomplet, autrement dit lorsque le calcul du montant des intérêts est fait, non par fractions d’année rapportées à l’année (1/12x12, 30/360x360 ou 30,41666/365x365), mais par jours rapportés au nombre de jours de l’année   ;
 
Que dans cette hypothèse en effet, un numérateur décompté au nombre exact de jours (au total trois cent soixante-cinq ou trois cent soixante-six) mais rapporté à un dénominateur de trois cent soixante jours conduit nécessairement à une majoration dissimulée du montant des intérêts  ; » (CA Douai, 8e Ch. Sect. 1, 25 janvier 2018, n° 16/04042).
 
C’est également la position adoptée par la Cour d’appel de Besançon, dénonçant le « surcoût clandestin » induit par la pratique du diviseur 360 :
 
« Qu’il importe peu dès lors que l’appelante tente de se prévaloir de l’absence de surcoût d’intérêts ou de l’équivalence des calculs au motif que les intérêts contractuels seraient dans les deux cas, 360 ou 365 jours, calculés sur une base de 1/1 2°" lorsque le contrat précise dans ses conditions générales que les intérêts seront calculés sur le montant du capital restant dû, au taux fixé aux conditions particulières sur la base d’une année bancaire de 360 jours, dès lors que c’est la clause elle-même qui, en privant l’emprunteur de la capacité de calculer le surcoût clandestin qu’induit cette référence à l’année lombarde, a créé un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties  ; » (CA Besançon, 8 octobre 2019, n° 18/01156).

C’est ce que réaffirme la Cour de cassation dans son arrêt du 24 octobre 2019 et, de ce point de vue, on ne peut que le saluer.

Certes, comme le relève la Cour de cassation, l’on constate une équivalence financière entre les deux méthodes de normalisation pour le calcul des intérêts mensuels, mais celle reposant sur la pratique du diviseur 360 recèle en germe une majoration clandestine des intérêts et du taux lors des échéances rompues, qui peuvent d’ailleurs survenir à tout moment du prêt, notamment en cas de remboursement anticipé.

La seconde méthode de normalisation - basée sur le diviseur 360 - ne revient donc pas à la même chose que la première. Elle doit donc être strictement prohibée et sanctionnée et ce, conformément aux directives communautaires, en appliquant une sanction réellement dissuasive (Voy. CJUE, Arrêt du 26 septembre 2013, TEXDATA Software, C-418/11, EU:C:2013:588).

Tel est l’enseignement que l’on retiendra de cet arrêt du 24 octobre 2019 qui, à défaut de sonner comme une "fin de récré" au sein d’un contentieux marqué par une position de résistance adoptées par certaines juridictions du fond, donne incontestablement le "La".

Jérémie BOULAIRE Avocat à la Cour BOULAIRE Cabinet d\\\\\\\'avocats à la Cour d\\\\\\\'appel de Douai T. 03 66 72 25 25 - F. 03 66 72 25 87 avocat@boulaire.fr www.avocat-boulaire.com

[1Lire à ce sujet l’article de Maître H. Brosseau.

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