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Le contrat « nouvelles embauches » est-il une bombe à retardement ? Á propos de la double requalification d’un contrat de travail, par David Dupetit, Avocat
Parution : vendredi 8 février 2008
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Une récente décision du Conseil de Prud’hommes de PERPIGNAN (17 janv. 2008 – RG n° 07/0206) illustre les potentiels effets à retardement attachés à la rupture des contrats « nouvelles embauches » pendant la période dite de « consolidation de l’emploi ».

En l’occurrence, une situation que l’employeur pensait réglée, puisqu’il avait mis fin à un contrat « nouvelles embauches » à la fin de l’été 2006, a été spectaculairement remise en cause à la suite d’une contestations portée par le salarié concerné devant la juridiction prud’homale.

C’est qu’en effet, à l’issue de cette procédure, le contrat « nouvelles embauches » à temps partiel qui avait été signé par les parties a fait l’objet d’une double requalification, le dispositif « nouvelles embauches » étant écarté par le Conseil de Prud’hommes car non conforme à la convention OIT n°158 du 16 mars 1989, et l’horaire de travail étant requalifié à temps complet…

Où l’on voit, en ces temps de prétendu simplification du droit, que quand on chasse les citoyens des prétoires par la porte, ils y reviennent par la fenêtre.

I/ Nouvelle condamnation du Contrat « nouvelles embauches » par une juridiction prud’homale.

Aujourd’hui, il semble acquis que les jurisprudences initiées par le Conseil de Prud’hommes de LONGJUMEAU et la Cour d’Appel de PARIS (6 juillet 2007 - RG n° 06/06992), commentées ailleurs sur ce site, ont ouvert une brèche irrémédiable dans le dispositif « nouvelles embauches » découlant de l’ordonnance n° 2005-893 du 2 août 2005 et le décret n° 2005-894 du même jour, que l’on peut désormais qualifier de Titanic des lois sociales.

Le contrat « nouvelles embauches » se présentait sous la forme d’un contrat de travail à durée indéterminée d’une nature un peu particulière, puisque l’alinéa 2 de l’article 2 de l’ordonnance précitée le faisait échapper à titre provisoire (pour une durée de 2 ans) aux dispositions des articles L. 122-4 à L. 122-11, L. 122-13 à L. 122-14-14 et L. 321-1 à L. 321-17 du code du travail.

Durant cette période de 2 ans dite de « consolidation d’emploi », l’employeur avait ainsi la possibilité de mettre un terme au contrat de travail de manière simplifiée et sans courir le risque – pensait-on au moment de son élaboration – d’un contentieux prud’homal.

L’on sait aujourd’hui que l’élaboration de ce dispositif n’avait pas pris en compte la signature par la France de la Convention n°158 de l’Organisation Internationale du Travail, relative au licenciement.

Cette convention internationale, entrée en vigueur en France le 16 mars 1990 est directement applicable par les juridictions française qui doivent faire primer ses termes sur ceux d’une règle interne qui leur serait contraire (Cass. CH Mixte 24 mai 1975, Jacques Vabre, Bull ch. Mixte n° 4 - principe appliqué concernant les Conventions OIT par Cass. Soc, 29 mars 2006 : Bull V, n°131).

Il convient également de rappeler que l’article 55 de la Constitution consacre la règle : Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie.

Or, la Convention n°158 de l’O.I.T, adoptée le 22 juin 1982, dispose notamment :

Article 4 : Un travailleur ne devra pas être licencié sans qu’il existe un motif valable de licenciement lié à l’aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service…

En droit français, la prévision du « motif valable » par la Convention internationale correspond au principe selon lequel le licenciement doit reposer sur un motif réel et sérieux, dont la définition et l’appréciation est soumise à la juridiction prud’homale.

Or, l’ordonnance n° 2005-893 exclut pendant la période de deux ans de « consolidation d’emploi » l’obligation pour l’employeur d’avoir à motiver la rupture.

Ce faisant, c’est à une inversion de la charge de la preuve qu’aboutit le dispositif du contrat nouvelle embauche, dans la mesure où la contestation ne porte plus sur la justification du motif réel et sérieux qui incombe à l’employeur, mais sur la démonstration du caractère abusif de la rupture par le salarié.

Article 7 : Un travailleur ne devra pas être licencié pour des motifs liés à sa conduite ou à son travail avant qu’on ne lui ait offert la possibilité de se défendre contre les allégations formulées, à moins que l’on ne puisse pas raisonnablement attendre de l’employeur qu’il lui offre cette possibilité.

Article 8 : 1. Un travailleur qui estime avoir fait l’objet d’une mesure de licenciement injustifiée aura le droit de recourir contre cette mesure devant un organisme impartial tel qu’un tribunal, un tribunal du travail, une commission d’arbitrage ou un arbitre.

2. Dans les cas où le licenciement aura été autorisé par une autorité compétente, l’application du paragraphe 1 du présent article pourra être adaptée en conséquence conformément à la législation et à la pratique nationales.

3. Un travailleur pourra être considéré comme ayant renoncé à exercer son droit de recourir contre le licenciement s’il ne l’a pas fait dans un délai raisonnable.

Or, le régime juridique du contrat nouvel embauche supprimait pendant une durée de deux ans la procédure préalable au licenciement, en contradiction totale avec le principe dégagé par la Convention internationale.

Article 9 : 1. Les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention devront être habilités à examiner les motifs invoqués pour justifier le licenciement ainsi que les autres circonstances du cas et à décider si le licenciement était justifié.

2. Afin que le salarié n’ait pas à supporter seul la charge de prouver que le licenciement n’était pas justifié, les méthodes d’application mentionnées à l’article 1 de la présente convention devront prévoir l’une ou l’autre ou les deux possibilités suivantes :

a) la charge de prouver l’existence d’un motif valable de licenciement tel que défini à l’article 4 de la présente convention devra incomber à l’employeur ;

b) les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention devront être habilités à former leur conviction quant aux motifs du licenciement au vu des éléments de preuve fournis par les parties et selon des procédures conformes à la législation et à la pratique nationales.

3. En cas de licenciement motivé par les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service, les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention devront être habilités à déterminer si le licenciement est intervenu véritablement pour ces motifs, étant entendu que l’étendue de leurs pouvoirs éventuels pour décider si ces motifs sont suffisants pour justifier ce licenciement sera définie par les méthodes d’application mentionnées à l’article 1 de la présente convention.

En supprimant l’obligation de motivation de la rupture, le dispositif juridique du contrat « nouvelles embauche » mettait un obstacle au contrôle juridictionnel du licenciement.

En effet, en cas de rupture du CNE l’employeur n’avait pas à motiver la rupture, le seul contrôle juridictionnel envisagé dans l’ordonnance étant de vérifier que cette rupture ne présentait pas un caractère abusif, ce qui n’impliquait pas nécessairement la démonstration d’une justification du licenciement.

C’est en considération de ces éléments que le conseil de prud’hommes a jugé que le dispositif « nouvelles embauches » n’était pas conforme à la Convention n°158 de l’O.I.T, et en a donc exclu l’application au contrat de travail qui était soumis à son appréciation.

Le contrat, dès lors, ne pouvait être qualifié que de contrat à durée indéterminée de droit commun, avec la conséquence inéluctable que la cessation du contrat au moyen d’une simple lettre, même recommandée, mais ne comportant aucun motif au licenciement, devait être déclarée imputable à l’employeur, et donc être assimilée à un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Dès lors, l’employeur a été condamné au paiement d’une indemnité pour non respect de la procédure de licenciement, ainsi qu’à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

II/ La requalification du contrat à temps partiel en contrat à temps plein.

Il résulte des dispositions de l’article L. 212- 4 du Code du travail que « le contrat de travail des salariés à temps partiel est un contrat écrit. Il mentionne la qualification du salarié, les éléments de la rémunération, la durée hebdomadaire ou, le cas échéant mensuelle prévue, et, sauf pour les salariés des associations d’aide à domicile, la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois. Il définit en outre les cas dans lesquels une modification éventuelle de cette répartition peut intervenir ainsi que la nature de cette modification ».

L’exigence d’information du salarié de la répartition de l’horaire à temps partiel sur les jours de la semaine ou les semaines du mois s’explique par le fait que le salarié à temps partiel doit pouvoir être en mesure d’apprécier le temps durant lequel il est au service de l’employeur, à distinguer du temps dont il peut librement disposer.

Les difficultés suscitées par les « temps partiels subis », dans lesquels la répartition des heures n’est pas faite avec suffisamment de précision, ont récemment été illustrées par les mouvements de grève dans le secteur de la grande distribution, notamment pour les postes d’agent de caisse (même si en l’occurrence il s’agit le plus souvent de véritables contrat à temps partiel).

Or, la Cour de Cassation considère qu’à défaut pour un contrat de travail de mentionner cette répartition, l’allégation d’un emploi à temps partiel n’est pas fondée et le contrat de travail doit être réputé comme ayant été conclu pour un temps complet, selon l’horaire légal.

Il s’agit certes d’une présomption simple, mais il appartient alors à l’employeur de faire la preuve que le travail s’effectuait au titre d’un contrat à temps partiel.

Au cas d’espèce, cette preuve n’était pas rapportée par l’employeur, et le conseil de prud’hommes de Perpignan, faisant application de la présomption légale d’emploi à temps plein, a logiquement procédé à la régularisation du salaire sur la base d’un temps plein.
*
La décision du conseil de prud’hommes de Perpignan, si elle s’inscrit dans une mouvance jurisprudentielle apparemment inéluctable ne peut qu’interpeller tout praticien du licenciement.

Plus que jamais, la prudence impose de tenir les contrats « nouvelles embauches » pour des C.D.I de droit commun en puissance, et de n’envisager la cessation du contrat que sous l’aspect habituel d’un licenciement (pour cause réelle et sérieuse, disciplinaire ou pour motif économique), en suivant la procédure appropriée.

Reste une question posée à la jurisprudence : le salarié embauché au titre d’un contrat « nouvelles embauches » disposant seul, selon nous, du droit de demander la requalification (à l’instar de ce qui est jugé en matière de demande de requalification d’un C.D.D en C.D.I) pourrait-il limiter ses griefs aux seules dispositions du contrat « nouvelles embauches » relatives à la possibilité de rupture sans motivation ?

Pourrait-il ainsi cumuler les indemnités de ruptures propres au C.D.I de droit commun avec l’indemnité spéciale de 8 % prévu par l’article 2-3° de l’ordonnance instituant le contrat « nouvelles embauches » ?

David DUPETIT, Avocat

www.dupetit-avocat.fr