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Bail commercial : retour sur les principes de répartition des charges entre bailleur et locataire. Par Baptiste Robelin, Avocat.
Parution : jeudi 5 décembre 2019
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Les charges locatives sont les dépenses relatives à l’immeuble qu’il convient de répartir entre le propriétaire et le locataire. En matière de bail commercial, pendant longtemps, aucune réglementation spécifique ne réglait les droits et obligations des parties. La loi Pinel du 18 juin 2014 et son décret d’application ont marqué un tournant à ce sujet.

I. Les dispositions du Code civil concernant l’entretien et la réparation.

Le Code civil comprend quelques dispositions qui ne s’appliquent qu’en l’absence de clauses contraires dans le bail, et sous réserve désormais des dispositions issues de la loi Pinel.

En premier lieu, le locataire est tenu aux "réparations locatives et de menu entretien" [1]. Ceci recouvre un ensemble assez vaste et hétérogène, tels que, la tonte de la pelouse, l’élagage des arbres et arbustes, le remplacement des vitres détériorées, les menus raccords de peinture et tapisseries, l’entretien courant des robinets, ou encore le remplacement des interrupteurs, prises de courant et ampoules.

Le locataire est également tenu répondre des dégradations ou pertes survenues sur le bien loué pendant sa jouissance [2] , comprenant celles dues à un incendie [3] , dont il est présumé responsable.

Le bailleur, quant à lui, doit supporter la charge et la responsabilité de travaux d’entretien et de réparation, sur le fondement de son obligation de délivrance [4] . Il doit ainsi :
• Délivrer l’immeuble au preneur, en l’état de servir à l’usage auquel il est destiné [5] . Cela comprend par exemple le coût d’un désamiantage si nécessaire [6] .
• Entretenir l’immeuble pendant le bail, en état de servir à l’usage pour lequel il a été loué, notamment par des travaux de mise en conformité.
• Effectuer les réparations autres que locatives pendant le bail [7], c’est-à-dire toutes celles qui ne relèvent pas de l’obligation du locataire.
• Prendre en charge les travaux relatifs au ravalement de l’immeuble, notamment quand ils portent sur la structure de l’immeuble, ou qu’ils sont prescrits par l’administration [8] . En revanche, cette charge incombera au locataire si les travaux sont occasionnés par un défaut de réparations d’entretien [9].
• Assumer les conséquences de la vétusté ou de la force majeure [10] .

II. Le principe de la liberté contractuelle pour les baux conclus ou renouvelés avant le 5 novembre 2014.

Dans le cadre du régime antérieur (lequel s’applique encore aux baux conclus ou renouvelés avant le 5 novembre 2014), la répartition des charges était librement déterminée par les parties. Sous ce régime, le bailleur est autorisé à solliciter du locataire le règlement de toute charge dès lors que celle-ci est imputable au preneur aux termes du bail.

À cet égard, les magistrats interprètent strictement les stipulations contractuelles, en particulier lorsqu’il s’agit de déroger à la répartition habituelle des charges entre bailleurs et locataires applicable en la matière. C’est le cas par exemple de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, en principe imposée au nom des propriétaires, qui pourra être mise en la charge du locataire à condition de stipulations expresses du bail, ou encore de l’impôt foncier, des travaux de ravalement, de toiture ou de chauffage collectif [11]. Et l’absence de régularisation des charges dans les conditions prévues au bail rend sans cause les appels trimestriels de provision à valoir sur le paiement de charges [12].

À noter également que le bail doit arrêter les règles de partage des charges quand les lieux loués dépendent d’un immeuble occupé par plusieurs personnes. Parmi les méthodes possibles, la ventilation peut s’effectuer au prorata des surfaces louées, des loyers des occupants ou au regard du règlement de copropriété.

III. Les dispositions de la loi Pinel applicables aux baux conclus ou renouvelés depuis le 5 novembre 2014.

L’article L. 145-40-2 du Code de commerce introduit par la loi Pinel du 5 novembre 2014 est d’ordre public, aucune clause du bail ne pouvant y déroger.

Selon ce nouveau régime, le contrat de bail doit contenir un inventaire précis et limitatif des catégories de charges, impôts, taxes et redevances, avec l’indication de leur répartition entre le bailleur et le locataire. Pour satisfaire cette exigence, les parties peuvent prévoir une liste exhaustive de l’ensemble des charges, ou peuvent préférer énoncer celles incombant au locataire puis stipuler que toutes les autres dépenses seront assumées par le bailleur.

L’obligation d’information incombant au bailleur.

Dans un objectif de transparence, le bailleur doit communiquer au locataire des informations relatives aux charges et travaux, au moment de la conclusion du bail et en cours de bail [13].
• Tous les ans, le bailleur a l’obligation de communiquer au locataire un état récapitulatif des charges locatives.
• Lors de la conclusion du contrat, puis tous les trois ans, le bailleur est tenu de communiquer à chaque locataire un état prévisionnel des travaux qu’il envisage de réaliser dans les trois années à venir, assorti d’un budget prévisionnel, ainsi qu’un état récapitulatif des travaux réalisés dans les trois années précédentes, et leur coût.

L’état et le budget prévisionnels des travaux à venir dans les trois ans, de même que l’état récapitulatif des travaux effectués dans les trois dernières années (avec indication de leur coût) sont communiqués au locataire dans le délai de deux mois à compter de chaque échéance triennale. À la demande du locataire, le bailleur lui communique également tout document justifiant le montant de ces travaux [14].

Les charges non imputables au locataire.

Certaines charges, en raison de leur nature, ne peuvent plus être répercutées sur le preneur, constituant une dérogation à la liberté contractuelle régissant la matière antérieurement. La liste comprend [15] :
• Les dépenses relatives aux grosses réparations [16] et les honoraires sur travaux qui y sont relatifs. Ce sont notamment celles touchant les murs, voûtes, poutres, couvertures, mur de soutènement et clôture. La Haute Cour a défini ces réparations comme celles qui intéressent l’immeuble dans sa structure et sa solidité générale, et a admis que cela comprenne d’autres cas non énumérés par l’article [17].
• Les travaux de conformité et ceux ayant pour objet de remédier à la vétusté du bien ou de l’immeuble quand ils relèvent de grosses réparations.
• Les honoraires du bailleur liés à la gestion des loyers du local ou de l’immeuble.
• Les impôts, taxes et redevances dont le redevable légal est le bailleur, à l’exception de ceux liés à l’usage du bien ou à un service dont le locataire bénéficie, de la taxe foncière et des taxes qui y sont additionnelles.
• Dans un ensemble immobilier, les charges, impôts, taxes et redevances, ainsi que le coût des travaux relatifs à des locaux vacants ou imputables à d’autres locataires.

En revanche, toutes les dépenses non visées peuvent être réparties entre le bailleur et le locataire. En principe elles sont supportées par le locataire, car elles constituent des charges normales relatives à l’exploitation du fonds ou l’entretien des parties communes. Il s’agit :
• Des dépenses liées à la consommation d’énergie et d’eau ;
• Des dépenses d’entretien et de réparations courantes ;
• Des travaux d’embellissement dont le montant excède le coût du remplacement à l’identique ;
• Des taxes liées à l’activité du locataire.

Un régime spécifique pour les ensembles immobiliers comportant plusieurs locataires.

Le bail doit préciser la répartition des charges ou du coût des travaux entre les différents locataires occupant l’ensemble immobilier. Cette répartition peut toutefois faire l’objet d’une pondération conventionnelle. Dans le cas d’un changement susceptible de modifier cette répartition, le bailleur est tenu d’en informer les locataires.

Conformément à l’article, la répartition doit être fonction de la surface exploitée.

Enfin, le montant des impôts, taxes et redevances pouvant être imputé au preneur doit correspondre strictement au local occupé par chaque locataire et à la quote-part des parties communes nécessaires à l’exploitation de la chose louée.

En définitive, nous retiendrons que la loi Pinel prévoit un cadre plus contraignant à la répartition des charges locatives dans un bail commercial, protégeant le preneur du règlement de charges exorbitantes. Les nouvelles dispositions devraient lui permettre de prendre toute la mesure de ses engagements par un contrat précis et une information obligatoire et régulière de la part du bailleur.

Me Baptiste Robelin - Avocat au Barreau de Paris NovLaw Avocats - www.novlaw.fr (English : www.novlaw.eu)

[1Article 1754 du Code civil

[2Article 1732 du Code civil

[3Article 1733 du Code civil

[4Article 1719 Code civil.

[5Article 1719 du Code civil

[6Cass. 3ème civ., 2 juill. 2003, n°01-16.246

[7Article 1720 du Code civil

[8Cass. 3ème civ., 24 mars 1993, n° 91-18.322

[9Cass. 3ème civ., 24 mars 1993, n° 91-18.322

[10Article 1755 du Code civil

[11Cass. 3ème civ., 8 déc. 1999, n° 98-11.665 ; Cass. 3ème civ., 13 juin 2012, n° 11-17.114 ; Cass. 3ème civ., 6 mars 2013 n° 11-27.331

[12Cass, Civ, 3ème, 5 nov. 2014, n° 13-24.451).

[13Article L. 145-40-2 du Code de commerce

[14Article R. 145-37 du Code de commerce.

[15Article R. 145-35 du Code de commerce

[16Article 606 du Code civil

[17Cass. 3ème civ., 13 juillet 2005, n°04-13.764