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Salariés, cadres, cadres dirigeants - Dénonciation de harcèlement : Attention à ne pas diffamer ! Par Frédéric Chhum, Avocat et Claire Chardès, Juriste.
Parution : lundi 9 décembre 2019
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Dans un arrêt du 26 novembre 2019 (n° 19-80360), la Chambre criminelle de la Cour de cassation s’est prononcée sur le caractère diffamatoire de la dénonciation [1], par une salariée, de faits de harcèlement moral et sexuel et d’agression sexuelle, dont elle aurait été la victime et qu’elle imputait à son employeur.

1. Rappel des faits.

Madame X, salariée d’une « association créée pour développer l’enseignement confessionnel », est l’auteure d’un mail dans lequel elle accuse le vice-président de ladite association d’ « agression sexuelle, harcèlement sexuel et moral ».

Elle adresse l’e-mail à toute une série de personne : au directeur général et au directeur spirituel de l’association, à l’inspecteur du travail, au fils du vice-président visé par les accusations ainsi qu’à son propre mari.

Son employeur l’a fait citer devant le tribunal correctionnel, qui l’a déclaré « coupable de diffamation publique envers un particulier ».

La salariée relève appel de cette décision.

2. Sur les moyens tirés des dispositions du Code pénal.

La Cour relève que, tant par le titre du message que par le corps de celui-ci, « les propos poursuivis imputent à ce dernier des faits d’agression sexuelle et de harcèlement sexuel et moral […] faits attentatoires à l’honneur et à la considération dès lors qu’ils sont susceptibles de constituer des délits et suffisamment précis pour faire l’objet d’un débat sur leur vérité ».

Pour se défendre, la salariée avait donc deux solutions : la première consistait à prouver que les faits dénoncés étaient avérés, et la seconde résidait dans l’excuse de la bonne foi.

Les juges ne seront convaincus ni par l’une ni par l’autre des deux hypothèses.

D’une part, les juges de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, à l’instar de la Cour d’appel, estiment d’abord que « s’il existe des éléments permettant d’établir la réalité d’un harcèlement moral, voire sexuel dans la perception qu’a pu en avoir Mme X, rien ne permet de prouver l’existence de l’agression sexuelle que celle-ci date de l’année 2015 […] ».

D’autre part, il est relevé que « Mme X... ne pouvait bénéficier de l’excuse de bonne foi, les propos litigieux ne disposant pas d’une base factuelle suffisante ».

3. Sur le moyen tiré des dispositions du Code du travail.

Ensuite, les juges vont estimer que pour bénéficier de la « cause d’irresponsabilité pénale, en application de l’article 122-4 du code pénal [2] », la salarié doit avoir dénoncé les agissements « dans les conditions prévues aux articles L. 1152-2, L. 1153-3 et L. 4131-1, alinéa 1er, du code du travail ».

Ainsi, pour bénéficier d’une telle exonération, la salariée ne pouvait dénoncer les faits qu’auprès de « son employeur ou à des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du code du travail ».

Or, eu égard à la liste de diffusion du courriel litigieux, Madame X s’était clairement écartée des conditions tracées par le Code du travail. En adressant l’e-mail de dénonciation à de multiples personnes incompétentes à intervenir, voire pour certaines, extérieures à l’association, la salariée n’avait pas respecté les limites fixées en la matière. De cette façon, elle ne pouvait plus se prévaloir de la protection que ces dispositions confèrent.

Ainsi, il ressort de l’arrêt que la dénonciation doit être faite à une liste limitée de personne, dont le point commun est de pouvoir prendre des mesures destinées à appliquer les dispositions du Code du travail.

Par conséquent, l’arrêt va plus loin que les prescriptions du Code du travail en ses articles L. 1152-2, L. 1153-3, et notamment L. 4131-1 [3] qui énonce que « le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection ».

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum