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Une délibération peut-elle rétroactivement majorer le montant de la redevance d’enlèvement des ordures ménagères ? Par Anne-Margaux Halpern, Avocat.
Parution : lundi 9 décembre 2019
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Par un arrêt du 11 juillet 2019, le Conseil d’Etat a procédé à une application inédite des conséquences découlant du principe de non-rétroactivité des règlements. En effet, après avoir rappelé que par principe, est illégale une délibération à caractère rétroactif modifiant les tarifs de la redevance d’enlèvement des ordures ménagères, il s’est intéressé à l’objet même de la délibération. Il a ainsi jugé que lorsque la délibération a pour objet de majorer le montant de la redevance pour une période antérieure à la date de son entrée en vigueur, elle est illégale. En revanche, lorsqu’elle a pour effet de réitérer le tarif de la redevance applicable l’année précédente, pour la période courant du 1er janvier à la date de son entrée en vigueur, elle est légale.

CE, 11 juillet 2019, 3ème et 8ème chambres réunies, req. n°422577

1.Conformément aux dispositions de l’article L. 2333-76 du Code général des collectivités territoriales, la Communauté d’agglomération de Rochefort Océan a institué une redevance d’enlèvement des ordures ménagères (REOM) sur son territoire.

A la différence de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) qui doit être adoptée par délibération, avant le 15 octobre d’une année pour être applicable à compter de l’année suivante (II de l’article 1639 A bis du Code général des impôts), la REOM ne présente pas de caractère fiscal.
Elle constitue la contrepartie financière au service rendu à l’usager. Par quatre délibérations en date des 19 janvier 2012, 21 février 2013, 16 janvier 2014 et 2 avril 2015, la communauté d’agglomération a majoré le montant de ladite redevance à compter, respectivement, du 1er janvier de chacune des années en cause. A la suite du refus d’une entreprise agricole de procéder au versement des sommes dues, la communauté d’agglomération a émis des titres exécutoires. La société agricole a alors saisi le juge de proximité en se fondant notamment sur l’illégalité des délibérations qui prévoyaient une application rétroactive des tarifs. Dans la mesure où l’examen du dossier impliquait pour le juge de proximité de se prononcer sur la légalité d’un acte administratif, ce dernier a renvoyé au Tribunal administratif de Poitiers l’examen de la légalité de ces délibérations. Par un jugement en date du 12 juillet 2018, le Tribunal administratif de Poitiers a jugé que l’exception d’illégalité n’était pas fondée.

Plus précisément, le Tribunal administratif de Poitiers a relevé que malgré des dispositions à caractère rétroactif, les délibérations litigieuses n’étaient pas illégales dès lors qu’elles avaient pour seul objet de fixer, pour chacune des années considérées, le tarif d’une redevance déjà instituée par une délibération antérieure.
Selon le Tribunal, « un retard pris pour l’adoption du tarif annuel d’une redevance déjà instituée ne peut avoir pour effet de décharger les usagers de toute obligation de payer une redevance en contrepartie du service dont ils ont effectivement bénéficié ».

A la suite de ce jugement, un pourvoi en cassation a été formé.

Il appartenait au Conseil d’Etat de se prononcer sur la question de savoir si l’augmentation du taux de redevance, fixée par délibération adoptée en cours d’année, pouvait s’appliquer rétroactivement à compter du 1er janvier de l’année en cours. Cette même question avait été posée par un sénateur trois ans plus tôt dans le cadre des questions/réponses ministérielles (Question écrite n°21481, JO Sénat du 28/04/2016 – page 1748).

Après avoir réaffirmé le principe de non-rétroactivité d’une délibération, le Conseil d’Etat a rappelé les deux dérogations à ce principe.
Considérant que le « retard pris pour l’adoption de la délibération » ne constituait pas un cas de dérogation au principe de non-rétroactivité, le Conseil d’Etat a censuré le raisonnement retenu par le Tribunal.
Statuant au fond, le Conseil d’Etat s’est intéressé à l’objet de la délibération. Il a ainsi considéré que si cette délibération avait pour objet d’augmenter le montant de la redevance pour une période antérieure à la date de son entrée en vigueur, elle était illégale. En revanche, si la délibération avait pour seul objet de réitérer le tarif de l’année précédente, alors elle était légale. Faisant application de ce principe, le Conseil d’Etat a déclaré illégales les délibérations litigieuses.

2. Cet arrêt mérite une attention particulière.

2.1. En premier lieu, le Conseil d’Etat s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence Société du Journal « l’Aurore » qui a érigé le principe de non-rétroactivité en principe général du droit (Conseil d’Etat, 25 juin 1948, req. n°94511). Il confirme la jurisprudence aux termes de laquelle une délibération fixant le tarif d’une REOM ne peut avoir de caractère rétroactif (Conseil d’Etat, 6 mai 2011, req. n°339270 ; Cour administrative d’appel de Nancy, 23 juillet 2015, req. n°15NC00213 et 15NC00214). Le Conseil d’Etat s’inscrit également dans le prolongement d’une réponse ministérielle du 13 octobre 2016 (Réponse du Ministère de l’intérieur publiée au JO Sénat du 13/10/2016 – page 4507) : « la REOM peut être instaurée à tout moment de l’année (selon des modalités précisées par l’article L. 2333-79 du Code général des collectivités territoriales). Toutefois, conformément à la jurisprudence du Conseil d’État (CE, 6 mai 2011, commune de Villeneuve de la Raho, n°339270), elle ne saurait présenter de caractère rétroactif ».

2.2. En deuxième lieu, le Conseil d’Etat précise les dérogations au principe de non-rétroactivité : « en l’absence de disposition législative l’y autorisant, et réserve faite des cas dans lesquels l’intervention rétroactive d’une délibération est nécessaire à titre de régularisation pour remédier à une illégalité et mettre à la charge des usagers une obligation de payer en contrepartie du service dont ils ont bénéficié, une délibération qui majore le tarif d’une redevance pour service rendu ne peut légalement prévoir son application avant la date de son entrée en vigueur ». Le Conseil d’Etat censure donc la justification retenue par les juges du fond, à savoir le retard pris dans l’adoption du tarif annuel d’une redevance déjà instituée.

La Haute juridiction réaffirme donc sa volonté d’entendre strictement les dérogations à la rétroactivité des règlements :

« 5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une délibération du 13 octobre 1993, la communauté d’agglomération du Pays Rochefortais, devenue communauté d’agglomération Rochefort Océan, a décidé d’instituer la redevance d’enlèvement des ordures ménagères sur son territoire. Par des délibérations des 19 janvier 2012, 21 février 2013, 16 janvier 2014 et 2 avril 2015, la communauté d’agglomération du Pays Rochefortais a modifié les tarifs de la redevance à compter, respectivement, du 1er janvier 2012, du 1er janvier 2013, du 1er janvier 2014 et du 1er janvier 2015. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que le tribunal administratif, après avoir relevé que ces délibérations avaient une portée rétroactive, a commis une erreur de droit en jugeant que, néanmoins, dès lors qu’elles avaient pour seul objet de fixer, pour chacune des années considérées, le tarif d’une redevance déjà instituée par une délibération antérieure, ces délibérations n’étaient pas entachées d’une rétroactivité illégale au motif qu’un retard pris pour l’adoption du tarif annuel d’une redevance déjà instituée ne peut avoir pour effet de décharger les usagers de toute obligation de payer une redevance en contrepartie du service dont ils ont effectivement bénéficié. Il s’ensuit que l’EARL Plaine de Vaucouleurs est fondée à demander, dans cette mesure, l’annulation du jugement qu’elle attaque ».

2.3. En troisième et dernier lieu, et c’est surtout ce dernier point qui mérite une attention particulière. Le Conseil d’Etat prend ses distances par rapport à la réponse ministérielle précitée. En effet, le Ministre de l’intérieur avait indiqué que la REOM « ne peut être perçue auprès de l’usager qu’à compter de la date de son institution. Il en va de même des modifications apportées, en cours d’année, au montant de la redevance : ces modifications n’ont d’effet que pour l’avenir » (Réponse du Ministère de l’intérieur publiée au JO Sénat du 13/10/2016 – page 4507). La Haute Assemblée fait une application inédite du principe de non-rétroactivité en s’intéressant plus particulièrement à la nature de la modification fixée par la délibération contestée. En effet, il juge que si la délibération ne fait que « réitérer le tarif de la redevance applicable l’année précédente », « pour la période courant du 1er janvier de chaque année à la date de son entrée en vigueur », elle est légale. Par ce raisonnement, le Conseil d’Etat s’inscrit implicitement dans le prolongement du Tribunal qui avait considéré qu’un retard pris pour l’adoption du tarif annuel d’une redevance déjà instituée ne devait pas avoir pour effet de décharger les usagers de toute obligation de payer une redevance en contrepartie du service dont ils avaient effectivement bénéficié. En revanche, le Conseil d’Etat fait une application stricte du principe de non-rétroactivité lorsque la délibération a pour effet de majorer le montant de la redevance, avec une date d’effet antérieure à sa date d’entrée en vigueur. Dans cette dernière hypothèse, la délibération est illégale :

« 7. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 que les délibérations des 19 janvier 2012, 21 février 2013, 16 janvier 2014 et 2 avril 2015 litigieuses, en ce qu’elles modifient le montant de la redevance d’enlèvement des ordures ménagères à compter, respectivement, du 1er janvier de chacune des années en cause, sont illégales en tant qu’elles prévoient que les modifications qu’elles adoptent s’appliquent à des périodes antérieures à la date de leur entrée en vigueur. Ces délibérations sont, en revanche et en l’absence d’autre critique de légalité fondée, légales en ce qu’elles ont pour effet, pour la période courant du 1er janvier de chaque année à la date de leur entrée en vigueur, de réitérer le tarif de la redevance applicable l’année précédente, dont les usagers doivent s’acquitter en contrepartie du service dont ils ont bénéficié ».

Il ressort de cet arrêt qu’une délibération qui modifie les tarifs de la redevance d’enlèvement des ordures ménagères en prévoyant une date d’entrée en vigueur rétroactive, est entachée d’illégalité, mais seulement dans la mesure où la délibération a pour objet d’augmenter le montant de la redevance pour une période antérieure à la date de son entrée en vigueur.

Anne-Margaux HALPERN [->http://www.atmos-avocats.com]