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Le préjudice sexuel de la victime : état des lieux. Par Anne Faucher, Avocat.
Parution : jeudi 12 décembre 2019
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Le préjudice sexuel en 13 questions-réponses.

1° - La victime a-t’elle des droits dans le domaine de la sexualité ?

Oui.

L’OMS définit la santé sexuelle et précise que pour atteindre et maintenir une bonne santé sexuelle, les Droits Humains et Droits sexuels de toutes les personnes doivent être respectés, protégés et réalisés.

De plus, la vie sexuelle est protégée au titre de l’article 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme, convention qui s’impose aux Etats membres.

En droit interne, le préjudice sexuel de la victime d’un dommage corporel est reconnu et indemnisé.

2° - Qu’est-ce que le préjudice sexuel ?

Le préjudice sexuel est une atteinte à la sphère sexuelle, qui peut être de 3 ordres :
- l’atteinte aux organes sexuels ;
- le préjudice lié à l’acte sexuel lui-même : atteinte à la libido, perte de capacité physique, frigidité ;
- l’atteinte à la fonction de reproduction.

Il s’agit d’un préjudice extra-patrimonial permanent.

3° - La victime d’un préjudice sexuel doit-elle consulter un spécialiste ?

Oui, il est recommandé de mettre en place une prise en charge spécialisée (psychologue, sexologue, gynécologue…) dès que possible dès lors qu’il y a une atteinte à la sphère sexuelle.

4° - Pourquoi le préjudice sexuel est-il à peine abordé en expertise ?

D’abord, la mission confiée à l’expert ne s’étend pas sur la question : bien souvent il lui est demandé d’ « indiquer s’il existe un préjudice sexuel », pas de le préciser, ni de le caractériser et encore moins de le quantifier.

Surtout, c’est un sujet tabou par excellence !

Néanmoins, il appartient au médecin expert de recueillir les doléances spontanées de la victime, et sur questions si la problématique de la sexualité est tue ou laconique.

Le médecin de recours et l’avocat doivent s’assurer que la victime puisse s’exprimer sur l’impact de l’accident sur sa sphère intime.

La victime doit y être préparée en amont de l’expertise : il n’est pas donné à tous de s’exprimer librement et spontanément sur le sujet.

5° - Existe-t’il un préjudice sexuel avant consolidation ?

Oui, mais ce n’est pas un préjudice autonome et la Cour de Cassation rappelle qu’il doit être intégré dans le DFT.

L’existence d’un préjudice sexuel temporaire justifie donc de majorer le taux de DFT.

6° -« Il n’y a pas de préjudice sexuel », une clause de style dans les rapports d’expertise ?

Conclure dans un rapport d’expertise médico-légale : « Il existe une gêne douloureuse à la pratique du yoga » et « Il n’existe pas de préjudice sexuel », ou encore « Monsieur X a eu deux enfants donc il n’existe pas de préjudice sexuel », ce n’est pas logique.
Pourtant, c’est courant, et ce même si la victime a verbalisé une atteinte à sa vie sexuelle au cours de l’expertise.

L’avocat de la victime doit s’assurer que le préjudice sexuel est abordé et discuté contradictoirement en expertise afin d’éviter cet écueil.

En dernier recours il pourra contester les conclusions de l’expert devant le juge, lequel n’est jamais lié par le rapport d’expertise qui est un avis technique.

7° - L’expert doit-il recourir à un sapiteur pour évaluer le préjudice sexuel ?

Idéalement, oui, mais ce n’est jamais le cas.
Cela permettrait à la victime d’être plus facilement remplie de ses droits.

8° - L’ergothérapeute privé est-il légitime à intervenir dans l’évaluation du préjudice sexuel ?

Oui : lorsque le DFP est important, le recours à un ergothérapeute est indispensable, et permettra notamment d’évaluer la victime qui présente une situation de handicap dans ses relations et/ou activités sexuelles.

L’ergothérapeute pourra ainsi :
- évaluer les besoins de la victime en ciblant les facteurs qui perturbent la participation de la personne à ses activités sexuelles ;
- élaborer des objectifs en concertation avec la victime ;
- choisir des moyens d’intervention permettant de palier les situations de handicap. L’assistant sexuel étant prohibé en France, il s’agira notamment de sectionner parmi la panoplie d’articles spécialisés existants sur le marché ceux qui sont le plus adaptés aux besoins de la victime. Sur production de devis, ces besoins pourront être mis à la charge du tiers responsable (au titre des frais divers post-consolidation).

9° - Le préjudice sexuel est-il proportionnel au DFP ?

Oui et non.

Oui car les victimes ayant un DFP très important sont celles dont le préjudice sexuel est le mieux indemnisé (jusqu’à 60.000 €).

Non car à l’instar de l’incidence professionnelle, un petit DFP peut avoir des conséquences importantes pour la victime.

3 exemples :
- la victime dont les séquelles sont peu importantes mais localisées sur les parties génitales.
- une victime ayant un DFP de 3% pour des séquelles au genou. Les relations sexuelles excluent l’appui ou un simple contact avec le genou, qui est immédiatement douloureux, ce qui met fin à l’acte sexuel. Appréhension avant l’acte, précautions à prendre et donc absence de spontanéité, appui/contact inéluctable, douleur, échec de l’acte sexuel, frustration, baisse de libido… C’est chaque acte sexuel qui est impacté.
- la victime dont le DFP a été évalué à zéro par l’expert, qui a des cicatrices qui ne sont pas visibles lorsqu’elle est vêtue, mais qui ne sont pas assumées de sorte que les relations sexuelles ne sont envisageables que dans le noir…

10° - Le préjudice sexuel est-il lié à l’âge de la victime ?

L’âge doit être pris en considération pour évaluer le préjudice sexuel car plus la victime est jeune et plus longtemps elle devra subir ce préjudice.

Néanmoins, l’âge vient souvent discriminer la victime :
- la jeune victime qui n’est pas encore entrée dans la vie sexuelle ;
- la victime « âgée » qui est présumée, à tort, dépourvue de toute vie sexuelle.

11° - Le sexe de la victime a-t’il un impact sur l’évaluation du préjudice sexuel ?

Normalement, non. Néanmoins, les barèmes de médecine légale ne traitent pas l’homme et la femme de la même manière s’agissant de l’atteinte aux organes sexuels.

12° - Alors, comment évaluer le préjudice sexuel ?

C’est très difficile.

Ce poste n’est pas coté de 1 à 7 comme pour le préjudice esthétique ou les souffrances endurées, ce qui est pourtant possible et la SFML propose d’ailleurs une grille de cotation.

L’indemnisation au forfait est exclue en vertu du principe de réparation intégrale, mais il n’existe pas de méthode rationnelle de calcul pour chiffrer le préjudice sexuel, qui est apprécié au cas par cas en fonction des atteintes fonctionnelles, du retentissement subjectif, de l’âge, de la situation familiale, du fait générateur du dommage, de la prise de médicaments…

Le recours obligatoire à la cotation serait une solution pour introduire un peu de la rationalité dans l’évaluation du préjudice sexuel, qui demeure aujourd’hui flou et insatisfaisant.

13°- Et le conjoint de la victime, dans tout ça ?

Le conjoint de la victime est une victime par ricochet, qui sera recevable et bien fondé à demander une indemnisation au titre du poste « préjudice extra-patrimonial exceptionnel » - bien qu’il n’ait rien de particulier ni d’exceptionnel.

Il n’y a pas davantage de cotation pour le conjoint et son indemnisation est souvent proche de celle de la victime directe.

Anne FAUCHER Avocat