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Le délit de non représentation d’enfant : l’urgence d’une réforme pour protéger l’enfant et la mère. Par Philippe Losappio, Avocat.
Parution : mercredi 11 décembre 2019
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La chambre criminelle de la Cour de cassation décide que la question prioritaire de constitutionnalité selon laquelle le délit de non représentation d’enfant (c.pen.227-5) porte atteinte à l’intérêt de l’enfant, au principe de légalité, au principe de nécessité des peines et aux droits de la défense est dépourvue de caractère sérieux (cass. crim. 27 novembre 2019 , n° Y 19-83.357 F-D), confisquant le débat devant le Conseil constitutionnel.
Cette décision consternante, pose à nouveau la question du rôle du juge du filtre et apparaît peu compatible avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
A la suite du Grenelle contre les violences conjugales et du rapport du GREVIO (publié le 19 novembre 2019) une réforme du délit est urgente pour protéger l’enfant et la mère.

1. La Chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu le 27 novembre 2019 (cass. crim. 27 novembre 2019 n. Y 19-83.357 F-D ,v. site de la Cour de cassation - qpc) – au lendemain de la clôture des travaux du Grenelle contre les violences conjugales et du rapport du GREVIO (Groupe d’experts du Conseil de l’Europe sur l’action contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique -publié le 19 novembre 2019)- un arrêt de non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel, pour défaut de caractère sérieux, d’une question prioritaire de constitutionnalité visant l’atteinte portée par le délit de non-représentation d’enfant (Code pénal 227-5) à l’intérêt de l’enfant, à la famille aux principes de légalité, de nécessité des peines et aux droits de la défense :

« Par ailleurs, la question posée ne présente pas un caractère sérieux, dès lors que d’une part, la non-représentation d’enfant incrimine le non-respect d’une décision d’un juge aux affaires familiales qui préserve justement l’intérêt de l’enfant et l’équilibre familial, d’autre part, les circonstances de la commission de l’infraction relève de l’appréciation du juge correctionnel et qu’il n’y a pas de disproportion manifeste entre la gravité de l’infraction et la peine encourue d’un an d’emprisonnement, au regard des impératifs de maintien des liens parentaux et, enfin, la démonstration lors de la résistance de l’enfant, de l’existence d’une circonstance d’exonération légitime, chaque parent devant faciliter l’exercice des droits de l’autre parent, sans instrumentalisation de l’enfant ».

2. Ruinant l’espérance d’un débat devant le Conseil constitutionnel, la chambre criminelle de la Cour de cassation encourage le juge pénal à persévérer dans la condamnation du parent qui a la charge de représenter l’enfant – presque toujours la mère – à une peine d’emprisonnement et à des dommages- intérêts à verser au père pour, notamment, avoir voulu protéger l’enfant d’un danger plausible ou pour avoir respecté la vie privée de l’enfant ou de l’adolescent (e) résistant (e) qui refuse de rencontrer le parent titulaire du droit de visite et d’hébergement.

Le non renvoi semble en rupture avec les conclusions du groupe de travail commun au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation sur la question prioritaire de constitutionnalité (mai 2018) :
« … il apparait clairement que le Conseil d’Etat comme la cour de cassation considèrent que doivent être tranchées par le conseil constitutionnel certaines questions de constitutionnalité, parce que portant sur des sujets politiquement sensibles et débattus … ou posant la question de savoir si telle atteinte à une liberté constitutionnellement protégée est proportionnée à l’objectif poursuivi… » (v. site de la Cour de cassation).

L’actualité de la question ne semblait pourtant pas faire de doute au regard du Grenelle contre les violences conjugales, au récent rapport du GREVIO, à la saisine du Défenseur des Droits et aux débats sur Twitter.

Le refus du renvoi au Conseil Constitutionnel est peu compréhensible, laisse un sentiment de malaise, rappelle une conception de l’intérêt de l’enfant, des rapports de l’enfant à ses parents et des rapports des parents qui avait cours dans le régime de la puissance paternelle (aboli le 4 juin 1970), déconnectée des évolutions sociétales. On entrevoit aussi une vision sexiste de la famille qui inquiète : la mère menteuse, manipulatrice qui instrumentalise l’enfant…

Twitter rapporte le désespoir de mères condamnées à des peines d’emprisonnement pour avoir voulu protéger l’enfant ou pour n’avoir pu convaincre un(e) adolescent(e) résistant(e) qui refuse de voir son parent, les enfants détruits, les mères plongées dans la dépression, désocialisées, poussées au suicide… Il est tout de même insensé de se retrouver avec un casier judiciaire pour avoir voulu protéger l’enfant ou parce que l’adolescent(e) ne veut pas rencontrer son parent…

C’est pourtant l’état du droit positif…

La chambre criminelle a refusé le renvoi de la question alors qu’il aurait certainement été de l’intérêt d’une bonne justice, de l’intérêt de l’enfant et porteur d’espérance de ne pas confisquer le débat devant le Conseil …

3. La Cour européenne de sauvegarde des droits de l’homme est en revanche porteuse d’espoir :

« La Cour estime que concernant les enfants très jeunes il est essentiel que les tribunaux évaluent avec objectivité si le contact avec le parent devrait être encouragé ou maintenu ou non. Cependant, au fur et à mesure que les enfants gagnent en maturité et deviennent le temps passant capables de formuler leur propre opinion quant au contact avec les parents, il convient que les tribunaux accordent tout le crédit nécessaire à leur avis et leurs sentiments ainsi qu’à leur droit au respect de leur vie privée » [1].

La doctrine du droit vivant devrait donc prévaloir et la jurisprudence française sur le délit appelée à évoluer… mais quand ?

4. Selon l’article 227-5 (c. pen.) « Le fait de refuser indûment de représenter un enfant mineur à la personne qui a le droit de le réclamer est puni d’un an d’emprisonnement et de 15.000 € d’amende ».

L’article 227-29 (c. pen) édicte des peines complémentaires dont notamment le 6° : « l’interdiction, soit à titre définitif, soit pour une durée de dix ans au plus d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs ».

Selon la jurisprudence, par exemple :

« Attendu que pour infirmer le jugement et condamner les époux U. du chef de non représentation d’enfant l’arrêt prononce par les motifs reproduits au moyen faisant apparaître notamment que l’enfant a été conditionné par ses parents pour faire échec au droit de visite du grand-père ; Attendu qu’en prononçant ainsi, par des motifs procédant de son appréciation souveraine, exempts d’insuffisance et de contradiction, et dès lors que la réticence de l’enfant à rencontrer son grand-père ne constitue ni un fait justificatif, ni une excuse légale, ni même une circonstance exceptionnelle qui aurait pu empêcher les parents d’exécuter leur obligation et que, à la date des faits incriminés ,la décision de justice statuant sur le droit de visite était exécutoire, la cour d’appel a justifié sa décision » (crim 9.5.2019 n.18-83.840).

« Attendu que pour déclarer la prévenue coupable de non représentation d’enfants sur la période de prévention, l’arrêt prononce pour les motifs repris au moyen ; Attendu qu’en l’état de ces énonciations, desquelles il résulte que les juges ont souverainement apprécié que la prévenue n’avait pas rapporté la preuve du risque d’enlèvement de l’enfant par son père, la cour d’appel a justifié sa décision » (crim. 10.4.2019 n.17-86 631)

« Le délit de non-représentation d’enfant est caractérisé par le refus délibéré d’exécuter une décision de justice et de remettre l’enfant à la personne qui est en droit de le réclamer en l’absence de circonstances exceptionnelles constatées par le juge » (Crim. 22.06.2016 n. 14-88 177) ;

« Attendu que la cour d’appel a confirmé le jugement , faisant siens les motifs des premiers juges ; Attendu qu’en se prononçant ainsi la cour d’appel a justifié sa décision…dès lors que l’élément intentionnel du délit de non-représentation d’enfant est caractérisé par le refus délibéré d’exécuter une décision de justice et que la résistance d’un mineur à l’égard de celui qui le réclame ne pouvait faire disparaître l’infraction, à moins de circonstances exceptionnelles qui n’ont pas été constatées par les juges » (Crim 8.5.2016 n. 15-80843).

« Il n’importe qu’un enfant mineur ait montré des réticences dans la mesure où la mère n’établit aucune circonstance rendant insurmontable ce refus » (Crim. 5.11.1997 n. 95-85244) ;

« Si la résistance des enfants ne saurait constituer pour celui qui a l’obligation de les représenter ni une excuse légale ni un fait justificatif il en est autrement lorsque comme en l’espèce il (le parent) a en vain usé de son autorité et que seules des circonstances exceptionnelles expressément constatées l’ont empêché d’exécuter l’obligation. »
(Crim. 15.12.1976 n. 76-90).

5. La motivation de la chambre criminelle de la Cour de cassation pour justifier l’absence de caractère sérieux de la question est illisible… et c’est dommage…

Finalement le non- renvoi se présente comme une prise de position politique clivante, génératrice d’incompréhensions…

Faudra-t-il des suicides de mères et encore davantage d’enfants détruits pour un renvoi de la question ? Car on en est là... hélas….

On retrouve en creux du non- renvoi au Conseil les thèses sexistes de la mère menteuse, manipulatrice qui aliène l’enfant – mauvaise femme, mauvaise épouse, mauvaise mère… il faudra bien finir par s’en déprendre…combien de temps encore ?

5.1. La décision de justice qui organise le droit de visite et d’hébergement respecte l’intérêt de l’enfant au moment où elle est rendue mais ne traduit nullement l’intérêt actuel de l’enfant au moment des faits incriminés qui sont postérieurs alors que l’intérêt actuel de l’enfant au moment des faits poursuivis n’est jamais recherché par le juge pénal et qu’il devrait l’être, ce qui porte atteinte à l’intérêt de l’enfant. Le juge pénal condamne encore alors que le juge des enfants est saisi, a ordonné une mesure d’assistance éducative, ruinant le travail du juge des enfants et des éducateurs…

La motivation selon laquelle « par ailleurs, la question posée ne présente pas un caractère sérieux, dès lors que d’une part, la non-représentation d’enfant incrimine le non-respect d’une décision d’un juge aux affaires familiales qui préserve justement l’intérêt de l’enfant et l’équilibre familial… » fait prévaloir une approche théorique de l’intérêt de l’enfant et ne peut pas être comprise du parent- de la mère- condamnée à une peine d’emprisonnement.

5.2. La chambre criminelle de la Cour de cassation a fait du délit de non-représentation d’enfant un délit formel qui condamne la mère et qui condamne l’enfant au seul constat que la décision de justice organisant le droit de visite et d’hébergement n’est pas respectée « sauf circonstances exceptionnelles », notion ne figurant pas dans la loi, à caractère variable et évolutif, génératrice d’insécurité juridique dont les critères incertains ne sont presque jamais retenus. Les circonstances exceptionnelles méritent d’être évoquées puisqu’il s’agit, par exemple, de tenter de démontrer une panne de voiture, une grève de trains ou une hospitalisation de l’enfant ayant empêché absolument l’exercice du droit de visite et d’hébergement inscrit dans la décision de justice.

Les droits de la défense sont inexistants.

L’appréciation du juge correctionnel se limite ainsi à constater qu’une décision de justice organisant le droit de visite et d’hébergement n’est pas respectée ce qui rend surprenante l’affirmation selon laquelle… « d’autre part, les circonstances de la commission de l’infraction relèvent de l’appréciation du juge correctionnel ‘ alors justement que le juge correctionnel n’a aucune marge d’appréciation – ou si peu…d’où les condamnations systématiques pour avoir voulu protéger l’enfant ou lorsque l’enfant est résistant… »

5.3. La condamnation à une peine d’emprisonnement pour avoir voulu protéger l’enfant et / ou pour n’avoir pu ou su convaincre l’enfant, l’adolescent (e) résistant(e) qui refuse de se rendre chez son parent ou tout simplement pour avoir respecté le droit au respect de la vie privée de l’enfant n’est pas admissible dans une société démocratique qui protège l’enfant et la famille ce qui rend encore inintelligible l’affirmation de la chambre criminelle de la Cour de cassation selon laquelle « il n’y a pas de disproportion manifeste entre la gravité de l’infraction et la peine encourue d’un an d’emprisonnement, au regard des impératifs de maintien des liens parentaux… » En cas de séquestration ou d’enlèvement d’enfant sans doute… lorsqu’il s’agit de protéger l’enfant ou lorsque l’enfant est résistant le délit devrait au contraire être supprimé…

5.4 Concernant l’enfant, l’adolescent(e) résistant(e) qui refuse de voir son parent il importe de rappeler que l’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques (loi du 10.07.2019 ; Code civil 371-1) ce qui exclut les violences sur l’enfant résistant afin qu’il consente au droit de visite et d’hébergement et remet en cause la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation selon laquelle le parent doit user de son « autorité » pour représenter l’enfant. On comprenait mal que le parent soit contraint par la jurisprudence de se livrer à un délit (violences psychologiques voire physiques sur l’enfant) pour en éviter un autre (non représentation d’enfant) – ce qui rendait intenable la position de la jurisprudence sur le nécessaire exercice de l’autorité’ pour représenter l’enfant qui ressemblait bien à des rémanences du régime de la puissance paternelle. L’autorité parentale est exercée dans l’intérêt de l’enfant ‘ sans violences physiques ou psychologiques ‘depuis la loi du 10 juillet 2019 (c.civ 371-1) ce qui semblait une évidence même avant la loi qui a le grand mérite de le préciser.

La chambre criminelle de la Cour de cassation semble désormais considérer que la résistance de l’enfant, de l’adolescent (e) est présumée trouver sa cause dans l’aliénation de l’enfant par le parent qui est en charge de le représenter : « chaque parent devant faciliter l’exercice des droits de l’autre parent, sans instrumentalisation de l’enfant ».

On comprend donc que selon la chambre criminelle de la Cour de cassation, la résistance de l’enfant laisserait désormais présumer l’instrumentalisation de l’enfant par le parent qui a la charge de le représenter. Si nous comprenons bien, les débats devant le juge correctionnel vont continuer d’être intolérables et les décisions rendues demeureront inacceptables pour le parent condamné – en fait la mère- d’autant que le syndrome d’aliénation parentale ne repose sur aucun fondement scientifique mais permet par une inversion accusatoire habile de condamner aisément … la mère (v. infra) …

En substance donc la mère est présumée instrumentaliser l’adolescent(e) résistant (e).et donc présumée toxique pour l’enfant lorsqu’il refuse de voir son parent …

Selon une autre approche, opposée à celle-ci, l’enfant refuse tout simplement de rencontrer le parent toxique…

5.5. Il sera encore fait observer que le refus de représenter l’enfant motivé par la crainte d’un danger plausible encouru par l’enfant n’est pas visé par l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 27 novembre 2019.

Pourtant il s’agit de la question la plus difficile posée au juge pénal en matière de non représentation d’enfant. Lorsque la mère qui a voulu protéger l’enfant est condamnée à une peine d’emprisonnement, l’enfant est détruit, la mère désocialisée, sombre dans la dépression et se trouve parfois acculée au suicide.

Là encore, la condamnation de la mère signifie que la parole de la mère n’a pas de valeur que la mère est présumée menteuse et manipulatrice…

L’état du droit est socialement inacceptable…

5.6. On remarque encore que l’interprétation du texte (c. pen. 227-5) par la chambre criminelle de la cour de cassation va au-delà de la lettre : « le fait de refuser indument de représenter un enfant mineur à la personne qui a le droit de le réclamer… » alors que la loi pénale est d’interprétation stricte (c.pen.111-4) … et que ce sont les mères qui sont condamnées…

Pourtant, à bien y réfléchir, craindre un danger plausible pour l’enfant n’est pas refuser indument de représenter l’enfant et respecter les peurs, les craintes et la vie privée de l’enfant - de l’adolescent(e) résistant(e) n’est pas refuser indument de représenter l’enfant. Il faudra bien admettre qu’il n’est pas nécessairement dans l’intérêt de l’enfant de rencontrer un parent toxique ou violent.

Il ne faut pas non plus mettre de côté que le parent qui choisit la voie pénale n’est bien souvent animé que par l’intention de nuire à l’autre parent sans égard à l’intérêt de l’enfant et que cette dimension du délit de non-représentation d’enfant n’est jamais abordée. C’est d’ailleurs surtout vrai lorsque la poursuite emprunte la voie de la citation directe à l’initiative du parent… celui qui est attaché à l’intérêt de l’enfant privilégie le dialogue et les mesures éducatives… et pas la citation directe… où l’instruction se fait à l’audience… mais comme le juge correctionnel condamne de toute façon, la procédure est efficace pour la partie civile – en fait pour le père qui veut faire condamner la mère à une peine d’emprisonnement bien souvent parce que l’enfant ne veut pas le voir… parce qu’il se comporte mal.. et comme l’enfant ne veut pas le voir parce qu’il se comporte mal… la mère est condamnée à une peine d’emprisonnement…

5.7 En visant l’exercice des droits de l’autre parent sans instrumentalisant l’enfant, la chambre criminelle de la Cour de cassation amène encore à s’interroger sur la preuve d’une éventuelle instrumentalisation de l’enfant et l’on soulignera aussi que l’existence d’un danger plausible pour l’enfant revendiqué pour justifier le refus de représenter l’enfant soulève évidemment la question de la preuve.

Dans ce sens, la procédure de citation directe pour la poursuite de délit qui conduit à faire l’instruction à l’audience alors que l’enfant n’est pas entendu devrait être exclue puisqu’il est impossible au cours d’une audience de citation directe d’apprécier si l’enfant est- ou pas- instrumentalisé ou si l’enfant encourt- ou pas- un danger plausible.

Pourtant les mères continuent d’être condamnées pour non représentation d’enfant dans le cadre de la procédure de citation directe alors que le délit ne devrait pouvoir être poursuivi que par voie d’enquête préliminaire ou d’instruction préparatoire. On ajoutera que le juge des enfants devrait être systématiquement saisi de la situation de l’enfant devant être représenté en cas de poursuite du délit…

5.8. Il faut rappeler que le titulaire du droit de visite et d’hébergement n’encourt aucune sanction pénale s’il néglige d’exercer son droit.

Le parent – bien souvent le père- qui prévient très peu de temps avant l’heure à laquelle débute son droit de visite et d’hébergement (s’il prévient car parfois il ne prévient pas) qu’il ne recevra pas l’enfant ne risque aucune sanction pénale…

Il faut encore évoquer les ‘enfants de la fenêtre’ le nez collé à la fenêtre à attendre le père qui ne vient pas et qui ne risque aucune sanction pénale mais qui fait condamner la mère à une peine d’emprisonnement parce que l’enfant de la fenêtre refuse désormais de le voir, ayant eu assez de l’attendre à la fenêtre…

Selon la chambre criminelle de la Cour de cassation « chaque parent devant faciliter l’exercice des droits de l’autre parent, sans instrumentalisation de l’enfant », certes, sauf que c’est la mère qui est condamnée à une peine d’emprisonnement.

En effet, la loi (227-5 c.pen.) et son interprétation par le juge pénal exige du parent qui doit représenter l’enfant –en fait de la mère- une obligation de résultat de représentation de l’enfant sous peine de condamnation pénale à une peine d’emprisonnement alors que le père ne risque aucune sanction pénale en négligeant son droit de visite et d’hébergement…

C’est socialement intolérable…

5.9. Enfin le délit de non représentation d’enfant conduit à un désastre familial. La plupart des condamnations concernent la mère lorsqu’elle craint un danger plausible pour l’enfant ou lorsque l’adolescent(e) est résistant(e).

La mère est condamnée à une peine d’emprisonnement – ferme ou assortie du sursis- inscrite à son casier judiciaire. Les peines complémentaires (not. 227-29-6e) peuvent lui interdire de travailler au contact des mineurs et notamment lui faire perdre son emploi si elle est enseignante. Les débats, notamment sur Twitter mettent en évidence que la condamnation pour non représentation d’enfant désocialise la mère, la conduit à la dépression voire au suicide, et détruit l’enfant dont les rapports avec sa mère, souvent son unique soutien, peuvent être gravement affectés et qui pourra ressentir une culpabilité de la condamnation de sa mère.

A l’inverse, le père – parfois violent- se vante auprès de l’enfant d’avoir fait condamner la mère à une peine de prison- car le père utilise bien souvent le délit pour nuire à la mère sans égard à l’intérêt de l’enfant…

Quel choix pour la mère qui craint un danger plausible pour l’enfant ? Refuser le droit de visite et d’hébergement quitte à être condamnée… c’est très respectable…

Quel choix pour la mère devant la résistance de l’enfant qui refuse de se rendre chez le père ? Le dialogue, les mesures éducatives par la saisine du juge des enfants et le respect de l’opinion de l’enfant quitte à être condamnée…c’est encore très respectable.

Le délit de non représentation d’enfant tel qu’il est mis en œuvre par le juge pénal n’est pas socialement acceptable.

5.10. La loi organique n.2009-1523 du 10 décembre 2009 (L.O.630 c.proc. pen.) dispose notamment :

« La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies :
1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites
2°Elle n’a pas été déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances
3° la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux...
 ».

La chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré que la question prioritaire de constitutionnalité qui lui était posée concernant l’atteinte portée par le délit de non représentation d’enfant (c.pen.227-5) aux droits et libertés garantis par la Constitution est dépourvue de caractère sérieux (cass. crim. 27 novembre 2019, prec.).

Pourquoi avoir voulu confisquer le débat devant le Conseil alors que sont en question la protection de l’enfant et de la mère ?

Au regard des arguments développés le non-lieu à renvoi au motif que la question est dépourvue de caractère sérieux est consternant et pose encore la question du rôle du juge du filtre…

6. En l’état actuel du droit sur le délit de non représentation d’enfant (c.pen.227-5), le législateur doit impérativement trouver des solutions protectrices de l’enfant et de la mère

6.1. L’enfant victime innocente et muette au centre du délit, réifié par la loi pénale qui ignore la personne et la parole de l’enfant doit, selon le texte (c.pen.227-5) interprété par la jurisprudence, être représenté comme on livre une marchandise, sans égard au danger qu’il encourt, à ses peurs à ses craintes, à ses angoisses et à son droit au respect de sa vie privée.

Cette approche du délit est socialement intolérable.

Le délit doit être supprimé lorsque le parent craint un danger plausible pour l’enfant ou lorsque l’enfant est résistant.

La procédure de citation directe doit être exclue pour la poursuite du délit.

6.2. Le syndrome d’aliénation parentale fait peser sur le parent – la mère- une présomption d’aliénation mentale et de manipulation de l’enfant, cause de la non représentation [2] alors pourtant que ce syndrome ne repose sur aucun fondement scientifique [3].

Le rapport du GREVIO vise la tendance à mettre en doute les capacités parentales des victimes et à dévaloriser leur parole notamment au titre de la prétendue syndrome d’aliénation parentale dont le caractère médicalement infondé a pourtant été reconnu par le 5e plan interministériel (sic) (Rapport (2019), n.181 page 58).

M. Edouard Durand, juge des enfants, cite une étude « on citera ici une étude réalisée en 2005 sur un échantillon de 7672 dossiers de maltraitance sur enfants : sur l’ensemble de ces dossiers le parent ayant la garde de l’enfant (la mère le plus souvent) n’est l’auteur que de 7% des dénonciations d’une part et ne commet une dénonciation intentionnellement fausse que dans 2% des cas..’. Selon M. Edouard Durand L’auteur des violences conjugales est susceptible d’utiliser à son profit le concept d’aliénation parentale pour s’en prétendre victime alors même qu’il cherche à isoler la mère de leur enfant commun… » [4]. Dans un entretien au Monde (23 novembre 2019) M. Durand rappelle encore ’On met l’enfant en danger puisqu’on le confronte à un sujet violent et on permet ainsi à cet homme de maintenir l’emprise sur sa famille.’

6.3. Il importe donc de se déprendre à la fois de la décision de justice qui organise le droit de visite et d’hébergement qui ne traduit pas l’intérêt actuel de l’enfant, de se déprendre de la présomption de mensonge et de manipulation du parent(la mère) lorsqu’il (elle) craint un danger plausible encouru par l’enfant, de se déprendre de la présomption d’instrumentalisation de l’enfant par le parent – la mère- lorsque l’enfant est résistant et refuse de rencontrer son parent et de supprimer le délit dans ces situations (v. par ex. Philippe Losappio, Le délit de non représentation d’enfant porte atteinte à l’intérêt de l’enfant, Village de la justice, 19 novembre 2019).

Lorsque, par exemple, le petit enfant est pris de vomissements, de troubles du sommeil à l’approche du droit de visite et d’hébergement, manifeste de la peur, de l’anxiété à se rendre chez l’autre parent, ou pire, explique dans son langage d’enfant qu’il peut faire l’objet de sévices, d’abus sexuels, de maltraitances… le parent est amené à refuser le droit de visite et d’hébergement … et se trouve condamné à une peine d’emprisonnement pour non-représentation d’enfant … Lorsque l’adolescent (e) refuse de se rendre chez son parent…le parent qui a l’obligation de présenter l’enfant est condamné à une peine d’emprisonnement…

Ce n’est pas socialement acceptable.

Le législateur doit en conséquence supprimer le délit en cas de refus de représenter l’enfant motivé par la crainte d’un danger plausible encouru par l’enfant ou lorsque l’enfant est résistant – en tout état de cause lorsque l’enfant résistant est en âge de manifester son opinion – âge qu’il est possible de fixer dès 13 ans- puisque le mineur est en âge se voir appliquer une peine (ordonnance du 2 février 1945, art.2).

Il est aussi assez évident qu’un danger plausible pour l’enfant ou la résistance d’un enfant ou d’un (e) l’adolescent (e) exclut la poursuite du délit par voie de citation directe.

6.4 Concernant enfin la procédure de poursuite du délit, seule l’enquête préliminaire ou l’instruction préparatoire permettent de respecter les droits de l’enfant, les droits du parent – et les droits de la défense.

La saisine systématique du juge des enfants en cas de poursuite du délit de non représentation d’enfant devrait être prévue par la loi pour protéger l’enfant et l’entendre dans des conditions qui respectent la personne et la parole de l’enfant s’il est en âge de s’exprimer et souhaite s’exprimer.

Nous appelons de nos vœux des modifications législatives du délit de non représentation d’enfant (c.pen.227-5) pour protéger l’enfant et la mère.

Il serait également souhaitable dans le domaine qui nous occupe ici - protection de l’enfant, violences faites aux femmes – que la chambre criminelle de la Cour de cassation accepte de porter les débats devant le Conseil.


Avertissement de la Rédaction du Village de la Justice :
Le concept du "Syndrome d’aliénation parentale" fait l’objet de controverses. Il ne fait à ce jour l’objet d’aucun fondement scientifique - mais à l’inverse il n’est pas interdit et est utilisé dans de nombreux dossiers juridiques.
L’expression et l’usage du concept sont fortement déconseillés au niveau européen (https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2021-0406_FR.html), étudiée au niveau français avec une note d’information mise en ligne sur le site intranet de la direction des affaires civiles et du Sceau du ministère de la Justice pour informer les magistrats du caractère controversé et non reconnu du syndrome d’aliénation parentale). Note introuvable à notre connaissance (voir à ce sujet : https://www.senat.fr/questions/base/2017/qSEQ171202674.html ).
Les enjeux sont multiples et nous semblent devoir être tranchés par une autorité publique.
Dans l’attente de clarification, nous vous invitons à prendre avec grandes précautions cette expression qui est ici employée sous la seule responsabilité de l’auteur.

Philippe Losappio Avocat au barreau de Paris Docteur en droit

[1Gobec v. Slovenia, 3 octobre 2013 7233/04 not. 133 ; v. aussi Plaza c. Pologne 25 janvier 2011 n. 18830/07 n.71 ; Khusnutdinov v. Russia, 18.12.2018 n. 76598/12 not. n 86.

[2Cass. civ1, 26 juin 2013 n. 12-14302 ; cass crim 27 novembre 2019 prec.

[3Voir l’article de Marie-Christine Gryson "Justice 2018 : Proscription du Syndrome d’Aliénation Parentale (SAP), c’est officiel." ; Rep. à Madame Laurence Rossignol JO Sen.12 juillet 2018 p.3477 ‘une note d’information a été mise en ligne sur le site intranet de la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la justice pour informer les magistrats du caractère controversé et non reconnu du syndrome d’aliénation parentale’.

[4Edouard Durand, Violences conjugales et parentalité, protéger la mère c’est protéger l’enfant – L’Harmattan, 2013 pages75 et suivantes.