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Année lombarde - L’arrêt du 27 novembre 2019 : une occasion manquée. Par Jérémie Boulaire, Avocat.
Parution : vendredi 13 décembre 2019
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Dans un arrêt du 27 novembre 2019, la Cour de cassation trouve à nouveau l’occasion de se prononcer sur la question de la sanction de l’usage prohibé du diviseur 360 pour le calcul des intérêts.
La lecture de cette décision laisse l’impression d’une occasion manquée.

Le temps s’accélère à la Cour de cassation et l’on ne peut qu’être saisi par le nombre des décisions rendues au cours de ces deux derniers mois au sujet de cette fameuse et peut-être encombrante question du calcul des intérêts des prêts immobiliers.

Le 24 octobre dernier, dans une des nombreuses affaires « Helvet Immo », qui ont valu d’ailleurs à la BNP Paribas Personal Finance d’être renvoyée devant le Tribunal correctionnel de Paris, pour 2300 parties civiles [1], la Cour de cassation avait pu sembler vouloir réaliser une forme de synthèse en validant le calcul des intérêts mensuels des prêts immobiliers sur la base de l’année civile et d’un mois normalisé de 30,41666 jours, mais tout en réaffirmant dans le même temps la prohibition de l’usage du diviseur 360 qui, immanquablement, induit à l’occasion des échéances dites rompues une majoration dissimulée du montant des intérêts. [2]

Par une décision du 27 novembre 2019, c’est une nouvelle touche qu’ajoute la Cour régulatrice, qui appellera à n’en pas douter de nombreux commentaires, tant les incohérences qu’elle renferme paraissent bien insurmontables.

Dans cette affaire, pour accueillir les demandes des emprunteurs tendant à l’annulation de la stipulation d’intérêts, la Cour d’appel de Riom avait retenu que « l’emprunteur n’[avait] aucune démonstration mathématique à produire, dès lors que la seule stipulation d’une clause prévoyant le calcul des intérêts sur la base d’une année de trois-cent-soixante jours est sanctionnée par la nullité de la stipulation de l’intérêt nominal et sa substitution par le taux légal, de sorte que l’emprunteur n’a pas à rapporter la preuve d’un quelconque préjudice ».

Au visa de « l’article 1907 du code civil, ensemble les articles L.313-1, L. 313-2 et R. 313-1 du code de la consommation, ces trois derniers textes dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 », la Cour de cassation casse et énonce que :

« l’emprunteur doit, pour obtenir l’annulation de la stipulation d’intérêts, démontrer que ceux-ci ont été calculés sur la base d’une année de trois-cent-soixante jours et que ce calcul a généré à son détriment un surcoût d’un montant supérieur à la décimale prévue à l’article R. 313-1 du code de la consommation. »

D’emblée, on observera que la Cour de cassation confirme ici encore que le calcul des intérêts ne peut être effectué sur la base d’une année de 360 jours et que l’usage prohibé du diviseur 360 est de nature à permettre à l’emprunteur d’obtenir l’annulation de la stipulation d’intérêts.

Sur ce point, cette décision du 27 novembre 2019 fait écho à celle du 24 octobre dernier et s’inscrit dans une jurisprudence constante.

En cela, elle ne peut qu’être approuvée, car aucune règle mathématique ou juridique ne peut justifier qu’un professionnel prenne quelque liberté que ce soit dans l’application de la règle de calcul du prix de sa prestation. Que dirait-on par exemple d’un grossiste vendeur de farines qui serait convenu avec son client d’un certain prix à la tonne et qui, au moment de déterminer et de facturer le prix pour 100 kg, diviserait par 9 au lieu de 10 ? En pareil cas, l’acheteur serait incontestablement fondé à porter une réclamation et il en va de même s’agissant de l’usage du diviseur 360 qui ne peut en aucune manière être admis, sauf à anéantir les règles les plus constantes de notre droit des contrats.

Cela étant, de façon inédite, la Cour de cassation exige ici que, pour entraîner l’annulation de la stipulation d’intérêts, et la substitution du taux légal au taux conventionnel qu’elle implique, l’emprunteur apporte une double preuve : d’une part, il doit démontrer que le montant des intérêts a été calculé sur la base d’une année de 360 jours (I) et que, d’autre part, la pratique de l’usage prohibé du diviseur 360 a généré à son détriment un surcoût d’un montant supérieur à la décimale prévue à l’article R. 313-1 du code de la consommation (II).

I - La preuve de l’usage prohibé du diviseur 360.

La Cour de cassation est claire sur ce point : « l’emprunteur doit, pour obtenir l’annulation de la stipulation d’intérêts, démontrer que ceux-ci ont été calculés sur la base d’une année de trois-cent-soixante jours ».

Autrement dit, l’usage du diviseur 360 est prohibé pour le calcul des intérêts mais il n’est sanctionné par l’annulation de la stipulation d’intérêts que si l’emprunteur démontre qu’il a été pratiqué.

Cette démonstration ne peut procéder de la seule lettre de l’offre de prêt (A) mais doit résulter d’une vérification mathématique (B).

A - L’insuffisance de la preuve littérale de l’usage prohibé du diviseur 360.

L’offre de prêt peut renfermer une clause prévoyant expressément que les intérêts périodiques seront calculés sur la base d’une année de 360 jours.

Une telle modalité de calcul des intérêts est prohibée et, comme on l’a vu, la Cour de cassation vient de le réaffirmer le 24 octobre 2019.

Dans ces conditions, la seule présence dans l’offre de prêt de cette clause devrait suffire à établir l’institution par la banque d’un calcul des intérêts d’après un diviseur 360, sauf à ne pas prendre le contrat au sérieux et à méconnaître la force obligatoire qui a vocation à lui être attachée. Telle est la position qu’avait retenu la Cour d’appel de Riom :

« La banque soutient qu’il appartient à l’emprunteur de démontrer une erreur de calcul des intérêts conventionnels, car la stipulation d’intérêts calculés sur la base d’une année de 360 jours n’implique pas nécessairement que le calcul des intérêts soit effectivement entaché d’irrégularité.
Néanmoins, l’emprunteur n’a aucune démonstration mathématique à produire dans cette hypothèse, car la seule stipulation d’une clause prévoyant le calcul des intérêts sur la base d’une année de 360 jours est sanctionnée par la nullité de la stipulation de l’intérêt nominal et sa substitution par le taux légal.
 »

Telle n’est cependant pas la position que la Cour de cassation semble adopter dans son arrêt du 27 novembre 2019, ce que l’on ne peut que regretter.

Cela étant, la question peut être abordée sous autre angle, qui ne parait pas avoir été envisagé au cas présent.

La clause 360 est en effet une clause abusive.

D’une part, elle conduit lors des échéances rompues à une majoration du montant des intérêts qui est dissimulée à l’emprunteur consommateur ou non professionnel, ce dernier n’étant pas en mesure d’appréhender le surcoût susceptible d’en résulter.

De fait, dans l’exemple qui sera évoqué ci-après, le montant de 628,23 € prélevé au titre des intérêts de la période, quand un calcul des intérêts sur l’année civile aurait conduit à retenir une somme de 619,63 €, ne peut apparaître, pour un consommateur non averti, comme radicalement incohérent à la simple lecture du tableau d’amortissement et n’est pas de nature à l’alerter.

Telle est la position exprimée par la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation, et de la Répression des Fraudes, dans une recommandation n° 05-02, au paragraphe 8, qui relevait :

« Considérant qu’une clause prévoit le calcul des intérêts conventionnels sur la base d’une année de 360 jours ; qu’une telle clause, qui ne tient pas compte de la durée réelle d’une année civile et qui ne permet pas au consommateur d’évaluer le surcoût qui est susceptible d’en résulter à son détriment, est de nature à créer un déséquilibre au détriment d’un consommateur ». [3]

D’autre part, le calcul des intérêts devant obligatoirement être opéré sur l’année civile, la pratique du diviseur 360 revient à l’application unilatérale par le banquier d’une hausse du taux nominal à l’occasion des échéances rompues.

Or on sait que la clause qui réserve au banquier le droit de modifier unilatéralement les conditions du contrat crée un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties et doit donc être regardée comme constitutive d’une clause abusive au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation. [4]

De ce point de vue encore, la clause 360 apparaît également abusive puisqu’elle revient à permettre au banquier dispensateur de crédit de faire varier unilatéralement le taux d’intérêt.

Au risque de se répéter, le dossier ayant donné lieu à l’arrêt commenté n’était toutefois pas expressément abordé sous cet angle du caractère abusif de la clause mais sur celui de sa nullité, la Cour d’appel relevant simplement qu’aucun taux d’intérêt n’avait été valablement stipulé.

Or on le sait, la Cour de cassation ne fait jamais que répondre à un moyen. Tout le moyen, mais rien que le moyen disent les avocats aux Conseils. Et saisie d’un tel moyen, tiré du caractère abusif de la clause 360, la Haute juridiction pourrait difficilement parvenir à retenir la même solution qu’au cas présent.

Quoi qu’il en soit, la Cour de cassation énonce ici, dans ce cas d’espèce, que pour entraîner l’annulation de la stipulation d’intérêts, l’emprunteur doit fournir une preuve mathématique de l’usage prohibé du diviseur 360.

B - La nécessité d’une preuve mathématique de l’usage prohibé du diviseur 360.

La preuve de l’usage prohibé du diviseur 360 doit être faite mathématiquement.

Concrètement, cette preuve résultera notamment de l’analyse du tableau d’amortissement définitif faisant ressortir une ou plusieurs échéances dites rompues ou brisées, portant sur des périodes comptées en un nombre de jours exact.

Supposons par exemple un prêt d’un montant de 209 800 euros remboursable en 300 mensualités au taux de 3,85 % par an. Un déblocage de fonds est réalisé le 02 juin 2014 pour un montant de 209 800 euros. La banque prélève le 30 juin suivant, soit pour un période de 28 jours, la somme de 628,23 euros au titre des intérêts.

Le taux étant de 3,85 % par an, cette somme de 628,23 euros procède de l’application, pour le calcul des intérêts, d’un diviseur 360, comme on peut le voir ci-dessous :

209 800 € x 3,85 % l’an / 360 jours x 28 jours = 628,23 €

Le nombre de jours de la période étant déterminé et non malléable, l’application du taux nominal au capital réalisé ne peut rendre compte du montant des intérêts de cette échéance.

Sur la base d’une année civile de 365 jours, le calcul des intérêts aurait dû être le suivant :

209 800 € x 3,85 % l’an / 365 jours x 28 jours = 619,63 €

Il en ressort dans ce cas une majoration du montant des intérêts s’élevant à 8,60 € :

628,23 € - 619,63 € = 8,60 €

Sur la base d’une année de 365 jours, cette majoration du montant des intérêts dus au titre de la période considérée revient à l’application d’un taux qui, de fait, se trouve lui-même majoré à 3,90345% l’an :

209 800 € x 3,90345 % l’an / 365 jours x 28 jours = 628,23 €

La preuve de l’usage prohibé du diviseur 360 est ici établie mathématiquement et c’est ce qu’exige la Cour de cassation pour déclencher l’annulation de la stipulation d’intérêts.

On notera ici qu’une telle exigence induit des conséquences importantes au regard notamment des règles gouvernant la prescription.

En effet, on sait qu’en la matière l’emprunteur dispose d’un délai de cinq ans pour agir à compter du jour où il a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant d’exercer son action (C. civ., art. 2224).

Or les échéances rompues peuvent constituer des événements futurs, susceptibles de se produire à tout moment durant la période d’amortissement, spécialement au moment d’un éventuel remboursement anticipé du prêt.

L’exigence d’une preuve mathématique de l’usage du diviseur 360 implique donc que l’emprunteur puisse ne se trouver en situation d’avoir connaissance des faits nécessaires au succès de ses prétentions qu’à la toute fin du prêt, ce qui doit interdire de relever à son encontre une quelconque prescription tant que le contrat est en cours d’exécution.

En tout état de cause, pour entraîner l’annulation de la stipulation d’intérêts, l’emprunteur doit démontrer que la pratique de l’usage prohibé du diviseur 360 a généré à son détriment un surcoût d’un montant supérieur à la décimale prévue à l’article R. 313-1 du code de la consommation, ce qui appelle de nombreuses remarques.

II - La preuve d’un surcoût au détriment de l’emprunteur.

La Cour de cassation sanctionne l’usage prohibé du diviseur 360 pour le calcul des intérêts mais retient que, pour entraîner l’annulation de la stipulation d’intérêts, l’emprunteur doit démontrer que cette irrégularité a généré à son détriment un « surcoût ».

La nullité de la stipulation d’intérêt est donc subordonnée à l’exigence d’un préjudice (A), qu’il convient dès lors de déterminer (B).

A - L’annulation de la stipulation d’intérêts subordonnée à la preuve d’un préjudice.

L’arrêt commenté énonce que « pour obtenir l’annulation de la stipulation d’intérêts » au titre d’un calcul des intérêts basé sur l’usage prohibé du diviseur 360, l’emprunteur doit démontrer « que ce calcul a généré à son détriment un surcoût d’un montant supérieur à la décimale prévue à l’article R. 313-1 du code de la consommation ».

Cette formule ne peut qu’interpeller.

La Cour de cassation retient que l’usage prohibé du diviseur 360 pour le calcul des intérêts périodiques est sanctionné par l’annulation de la stipulation d’intérêts.

De ce point de vue, elle confirme une position constante, d’ailleurs réaffirmée lors d’une décision en date du 22 mai 2019, cassant en l’occurrence un arrêt de la Cour d’appel de Paris. [5]

Le maintien de cette sanction confirme donc que la Cour de cassation appréhende la question de l’usage du diviseur 360 comme relevant de la formation du contrat et mettant en cause la validité de la stipulation d’intérêts.

Dans ces conditions, l’action de l’emprunteur étant une action en nullité, tendant à sanctionner un vice ou une irrégularité affectant la validité d’une clause, l’existence d’un préjudice ne peut être en cause tant il est constant que l’action en nullité est d’une nature radicalement distincte de l’action en responsabilité tendant à la réparation d’un préjudice sanctionnée par des dommages-intérêts.

C’est cette analyse qui avait été classiquement adoptée par la Cour d’appel de Riom :

« Le prononcé de la nullité de la clause n’a pas à prendre en compte le préjudice subi par l’emprunteur car il ne s’agit pas d’une question de responsabilité contractuelle, mais de l’annulation d’une clause irrégulière : M. X n’a pas à rapporter la preuve d’un quelconque préjudice. C’est en effet la formation du contrat et non pas son exécution qui est en cause ».

Telle n’est pas la position retenue par la Cour de cassation en l’espèce qui, au contraire, précède son attendu d’un rappel de la motivation des juges du fond qui avaient relevé que « l’emprunteur n’[avait] pas à rapporter la preuve d’un quelconque préjudice ».

Dans son principe même, cette exigence pesant sur l’emprunteur de faire la démonstration d’un surcoût à son détriment résultant de la pratique du diviseur 360, dont la Cour de cassation vient de confirmer par ailleurs le caractère « prohibé », porte donc une contradiction interne insoluble, sauf à remettre en cause les règles les plus élémentaires du droit des contrats.

Par ailleurs, l’annulation de la stipulation d’intérêts et la substitution du taux légal au taux conventionnel qui en est la conséquence nécessaire au regard des règles gouvernant les restitutions réciproques, est seule de nature à permettre de se conformer à l’objectif communautaire qui veut que les sanctions applicables en cas de méconnaissance par le banquier de ses obligations soient « efficaces, proportionnées et dissuasives ».

La Directive 2014/17/UE du Parlement Européen et du Conseil du 4 février 2014 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel et modifiant les directives 2008/48/CE et 2013/36/UE et le règlement (UE) no 1093/2010 est à ce sujet parfaitement claire :

« Les États membres devraient définir les sanctions applicables en cas d’infraction aux dispositions nationales adoptées en vertu de la présente directive et veiller à ce qu’elles soient appliquées. Si le choix des sanctions applicables est laissé à la discrétion des États membres, il convient de veiller à ce que celles-ci soient efficaces, proportionnées et dissuasives. »

Ainsi, les sanctions définies par les Etats membres en cas de violation des dispositions nationales adoptées conformément au droit communautaire en matière de crédit immobilier doivent être « effectives », et « dissuasives ».

C’est ce qu’exprimait déjà l’article 23 de la Directive communautaire 2008/48 du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs :

« Les Etats membres définissent le régime de sanctions applicables en cas de violation des dispositions nationales adoptées conformément à la présente directive, et prennent toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte qu’elles soient appliquées. Les sanctions doivent être effectives, proportionnées et dissuasives ».

C’est à l’aune de cette considération que la CJUE a eu l’occasion de juger :

« la rigueur des sanctions doit être en adéquation avec la gravité des violations qu’elles répriment, notamment en assurant un effet réellement dissuasif, tout en respectant le principe général de proportionnalité ». [6]

La substitution du taux légal au taux conventionnel consécutive à l’annulation de la stipulation d’intérêts permet d’atteindre cet objectif.

En effet, si pris isolément au regard d’une seule échéance rompue le surcoût généré au détriment de l’emprunteur par l’usage du diviseur 360 peut paraître homéopathique – 8,60 € dans l’exemple précité – l’on ne saurait omettre que de tels prélèvements procédant d’une pratique répandue sont effectués en masse sur des millions de clients et qu’ils permettent ainsi aux établissements de crédit, par un effet de levier, de collecter des sommes considérables.

La substitution du taux légal au taux conventionnel, en fournissant un enjeu de litige, est de nature à permettre que les consommateurs ou non professionnels se trouvent en mesure de faire valoir effectivement leurs droits.

C’est ce qui a conduit la Cour de cassation à préciser qu’une telle sanction n’était pas disproportionnée et qu’elle est au contraire conforme à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales [7].

En revanche, exiger de l’emprunteur qu’il fasse la démonstration d’un surcoût à son détriment engendré par l’usage prohibé du diviseur 360 pour obtenir l’annulation de la clause d’intérêts, est de nature à compromettre l’objectif communautaire, à priver la protection des consommateurs de crédits de toute effectivité et, in fine, à encourager la faute lucrative.

La responsabilité de la France pourrait d’ailleurs bien être engagée à ce titre pour non respect du droit communautaire.

Tout dépend en fait de l’appréciation devant être portée du seuil de la décimale évoqué par la Cour de cassation dans son arrêt et, avec elle, de la détermination du quantum du préjudice requis pour déclencher l’annulation de la stipulation d’intérêt.

B - La détermination du quantum du préjudice requis pour engendrer l’annulation de la stipulation d’intérêts.

Dans son arrêt du 27 novembre 2019, la Cour de cassation retient que, pour obtenir l’annulation de la stipulation d’intérêts, l’emprunteur doit démontrer que l’usage du diviseur 360 a engendré à son détriment un surcoût franchissant un certain seuil.

Autrement dit, s’il n’y parvient pas, cet usage restant néanmoins prohibé, l’emprunteur ne pourra qu’obtenir la restitution du surcoût engendré de façon illicite à son détriment soit, dans l’exemple précité, 8,60 € pour l’échéance rompue considérée.

La question de la détermination du seuil requis est dès lors cruciale.

Or force est de constater que la formule employée par la Cour de cassation laisse à première vue un doute.

La Cour de cassation évoque « un surcoût d’un montant supérieur à la décimale prévue à l’article R. 313-1 du code de la consommation ».

Pas moins de cinq lectures sont ici possibles.

On pourrait penser tout d’abord au TEG dans la mesure, ce qui ne serait pas incongru dans la mesure où il est fait explicitement référence à l’article R313-1 du code de la consommation.

Cette hypothèse ne peut cependant qu’être exclue d’emblée, puisque l’on sait que la question des modalités de calcul des intérêts périodiques est une question radicalement distincte de celle relative à la détermination du TEG.

Par ailleurs, la Cour de cassation se réfère à un « surcoût » et un « montant » payé par l’emprunteur, et non à l’information délivrée à ce dernier.

Enfin, pour affecter le TEG à une décimale, si l’on considère le surcoût engendré par l’usage du diviseur 360 comme une charge, il faudrait intégrer une somme supplémentaire de l’ordre de 1 968 euros !

Sous un autre angle, si l’on considère le surcoût engendré par l’usage du diviseur 360 comme des intérêts, il faudrait que le surcoût d’intérêts soit égal à 3456 euros, ce qui reviendrait à porter le taux contractuel à 3,95 % l’an, quand le taux convenu est de 3,85% !

On ne saurait imaginer un instant que la Cour de cassation ait eu l’intention de donner un blanc-seing aux établissements de crédit de prélever de telles sommes, sur la base d’un usage dont elle vient de rappeler fermement le caractère prohibé.

La décimale serait alors celle devant affecter le taux nominal qui, à la différence du TEG, n’est pas un indicateur censé traduire le coût total du crédit, mais un taux de calcul du montant de l’intérêt. On pourrait l’envisager car contrairement aux critiques qui ont pu être relevées à l’encontre de l’arrêt du 17 juin 2015, par lequel la Cour de cassation a jugé que « le taux conventionnel doit, comme le TEG, être calculé sur la base de l’année civile », le taux nominal peut effectivement être calculé. Certes, il est défini conventionnellement et, de ce point de vue, il procède de la convention des parties et non d’un calcul. Mais son application effective peut faire l’objet d’une vérification mathématique, comme on l’a vu ci-avant.

Cela étant, là encore, cette hypothèse n’est pas compatible avec la formulation de l’arrêt, qui à aucun moment n’évoque un taux erroné, pas plus qu’un TEG erroné, d’une décimale ou non, mais « un surcoût d’un montant supérieur à la décimale prévue à l’article R. 313-1 du code de la consommation ».

Ce ne sont donc ni le TEG ni le taux nominal qui sont donc ici en cause.

Mais alors, de nouveau, une incertitude jaillit. S’agirait-il du montant des intérêts de la période rompue considérée ? Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté, ce surcoût était de 0,54 €. A retenir une telle interprétation, la décimale aurait donc été atteinte, ce qui aurait en toute logique conduit la Cour de cassation à rejeter le pourvoi.

La lecture de l’arrêt de la Cour d’appel de Riom pourrait fournir un élément d’explication puisqu’elle nous apprend que la banque soutenait que le surcoût de 0,54 € représentait « 0,00576 % du montant total des intérêts » et que cet écart correspondait « à une erreur inférieure à la décimale ».

Voici donc l’équation qui permettrait de mesurer l’ampleur du préjudice procédant de l’usage prohibé du diviseur 360 :

Dans l’exemple cité précédemment, on a vu que le surcoût engendré par l’usage du diviseur 360 était, pour l’échéance rompue du 30 juin 2014 portant sur une période 28 jours, de 8,60 € (cf. supra).

Le montant total des intérêts engendrés par l’application du taux pour les 300 échéances constantes s’élève, dans cet exemple, à 117 185,12 €.

L’écart représenterait donc 0,00734% :

Mais un tel raisonnement n’a aucun sens et ne peut être raisonnablement suivi.

Pour atteindre la décimale, il faudrait en effet que le surcoût engendré par l’application prohibée du diviseur 360 soit de 117,18 euros :

La banque pourrait donc majorer de façon clandestine le montant des intérêts de 117,18 euros pour une seule échéance, sans risquer de s’exposer à la substitution du taux légal au taux conventionnel mais à un simple remboursement en cas de réclamation de l’emprunteur ?

Là encore, il est impensable que la Cour de cassation ait entendu poser une telle règle.

D’abord, d’un point de vue pratique, une telle interprétation aurait pour effet de priver le consommateur d’une protection effective de ses droits, en contradiction avec le droit communautaire.

Ensuite, prendre pour référence le montant total des intérêts pour toute la durée du prêt est impossible puisqu’aussi bien ce montant reste toujours théorique, le prêt pouvant à tout moment faire l’objet remboursement anticipé. Aussi, le franchissement ou le non franchissement du seuil d’appréciation de la décimale visée risquerait alors de dépendre de la seule volonté unilatérale de l’une des parties.

Surtout, s’agissant d’un prêt remboursable en plusieurs versements, le calcul du montant des intérêts ne peut s’effectuer qu’à l’intérieur et en considération d’une période déterminée.

En définitive, la décimale requise par la Cour de cassation pour déclencher la substitution du taux légal au taux conventionnel ne peut donc s’apprécier qu’eu égard au rapport entre le surcoût engendré, pour la période considérée, aux intérêts qui auraient dû être prélevés au titre de ladite période.

Dans l’exemple retenu, on a donc :

En présence d’un tel écart, la décimale qui paraît être requise par la Cour de cassation s’avère atteinte.

Force est toutefois de constater, au terme ces quelques brèves observations, que l’arrêt commenté, dont on aurait pu espérer qu’il vienne éclairer les plaideurs, laisse incontestablement un sentiment d’inachèvement. Souhaitons que la Cour de cassation poursuive son œuvre de clarification et trouve l’occasion de réaliser la synthèse. Cette occasion, malheureusement, est ici manquée.

Jérémie BOULAIRE Avocat à la Cour BOULAIRE Cabinet d\\\\\\\'avocats à la Cour d\\\\\\\'appel de Douai T. 03 66 72 25 25 - F. 03 66 72 25 87 avocat@boulaire.fr www.avocat-boulaire.com

[1Voir ici.

[2Cass. 1re civ., 24 octobre 2019, 18-12.255 ; voir ici.

[3Voir ici.

[4Voy. par ex. CA Douai, 28 février 2019, RG n°16-05841

[5Cass. Cass. 1re civ., 22 mai 2019, n° 18-16.281 ; Cass. 1ère civ., 13 mars 2007, n° 05-20.111, Bull. civ. I, n°116

[6CJUE, Arrêt du 26 septembre 2013, TEXDATA Software, C-418/11, EU:C:2013:588.

[7Cass. com., 12 janvier 2016, n° 14-15.203, publié au bulletin

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