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La gestion des servitudes par l’agent immobilier lors d’une transaction immobilière. Par Pascal Bellanger, Avocat.
Parution : lundi 23 décembre 2019
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L’information de l’acquéreur par l’agent immobilier doit être un souci permanent du professionnel qui ne peut s’éviter l’analyse de la situation du bien au regard des servitudes affectant le bien à commercialiser.

Pour l’agent immobilier chargé de la transaction d’un bien à commercialiser, la question des servitudes est loin d’être à négliger.

En effet, si l’aspect global de l’immeuble et ses principales caractéristiques techniques sont apparentes, la question de l’analyse juridique de la situation de l’immeuble est plus ardue.

Une servitude est soit une charge, soit un avantage lié au bien à commercialiser octroyant des droits et obligations pour le propriétaire de celui-ci et le transfert du bien entraîne le transfert des servitudes considérées comme des accessoires ou un démembrement de la propriété de l’immeuble cédé, la servitude étant attachée au bien lui-même et non à la personne du propriétaire.

Les plus courantes seront les servitudes de passage ou de vue dont l’appréhension par l’acquéreur seront à l’évidence déterminante pour son engagement.

Or, un mandant, propriétaire d’un bien peut tout à fait, de totale bonne foi, ignorer ou avoir oublier l’existence d’une servitude grevant l’immeuble mis en vente.

Or, la conséquence d’un défaut d’analyse et de la révélation ultérieure d’une servitude peut s’avérer dramatique pour tous les intervenants au contrat et en premier lieu, pour l’agent immobilier qui ne pourra pas se contenter d’engager la responsabilité du notaire rédacteur de l’acte authentique si la contractualisation lors de la rencontre des volontés sur la chose et sur le prix a mal été appréhendé par l’agent immobilier.

En effet, l’article 1638 du Code Civil dispose :
« Si l’héritage vendu se trouve grevé, sans qu’il en ait été fait de déclaration, de servitudes non apparentes, et qu’elles soient de telle importance qu’il y ait lieu de présumer que l’acquéreur n’aurait pas acheté s’il en avait été instruit, il peut demander la résiliation du contrat, si mieux il n’aime se contenter d’une indemnité. »

Cette disposition renforce l’obligation de bonne foi que tout cocontractant doit respecter en matière de négociations, lors de la conclusion et de l’exécution d’un contrat selon l’article 1104 du Code civil mais également en vertu du devoir mutuel de renseignements à respecter lors de la négociation pour tous les éléments déterminants pour le consentement des parties tel que défini par les prescriptions de l’article 1112–1 du Code Civil.

En la matière, l’agent immobilier a une obligation de vérification et peut voir sa responsabilité engagée, s’il commet une faute par des vérifications insuffisantes.

En effet, la vente d’un bien entraîne la transmission des servitudes avec la propriété du bien, ce qui induit que l’acquéreur ait connaissance de leur existence (I), et que le défaut d’information ait des conséquences (II) tant pour le vendeur (de bonne ou mauvaise foi), comme pour l’intermédiaire intervenant à la transaction qu’est l’agent immobilier (III)

I - La nécessaire information de l’acquéreur.

La vente entraînant soit une charge soit un avantage pour le nouveau propriétaire, le vendeur doit aviser l’acquéreur de l’existence de toute servitude et ce que l’immeuble cédé bénéficie de la servitude (fonds dominant) ou subisse celle-ci (fonds servant).

Du reste, il est considéré par la jurisprudence en la matière, qu’une action judiciaire en cours lors de la vente est transmise à l’acquéreur, ce qui caractérise un droit attaché à la propriété de l’immeuble, même si un vendeur peut conserver un droit à agir après cession, notamment dans le cadre de réparation éventuelle d’un préjudice subi antérieurement à la transaction.

Le principe à respecter pour l’agent immobilier est d’assurer l’information sur l’opposabilité des servitudes à l’acquéreur.

Si pour les servitudes conventionnelles, la publicité de celles-ci est effectuée par l’intermédiaire du fichier immobilier tenu par la direction de la publicité foncière, elle sera assurée par le rédacteur d’actes, lequel n’aura qu’à reproduire les servitudes pour en assurer la transmission.

L’agent immobilier, quant à lui au niveau de l’entremise dans la vente et de la commercialisation, devra aviser l’acquéreur potentiel de l’existence d’une servitude pouvant s’avérer déterminante pour le consentement à la transaction.

Pour les servitudes apparentes, leur existence sera mise en évidence par la lecture du titre de propriété du vendeur et l’information communiquée à l’acquéreur par les documents remis à l’acquéreur lors de la présentation du bien.

Il conviendra d’être prudent en matière de lotissement puisque les servitudes contenues par le cahier des charges où l’arrêté de lotir sont transmises mais ne figurent pas en pratique, dans le titre de propriété.

Si le bien cédé figure dans l’emprise d’un lotissement, il incombera à l’agent immobilier de vérifier au niveau des négociations, les servitudes pouvant figurer sur ses documents administratifs, ce qui nécessitent la recherche auprès du vendeur des documents d’urbanisme relatif à la réglementation du lotissement, lorsque le titre de propriété révèle l’existence de cette particularité.

Pour l’information des servitudes, Il faut noter que l’article 1638 du Code Civil prévoit la déclaration des servitudes passives non apparentes.

En revanche, la déclaration n’est pas prévue par ce texte pour les servitudes apparentes.

Or, la difficulté peut être l’appréciation du caractère apparent ou non d’une servitude.

Par exemple, une canalisation enterrée peut déboucher en limite de propriété et devenir apparente sur le terrain cédé. Pour éviter toute difficulté, la déclaration de toutes les servitudes, même celles qui s’avère apparentes, semble plus prudente lors de la rédaction des documents de commercialisation par l’agent immobilier afin de communication au prospect éventuel acheteur.

En effet, le caractère apparent ou non d’une servitude est fonction de la nature de la servitude.

Pour les servitudes légales, le principe ancien retenu par les juges était que chacun connaissait la loi et qu’en conséquence, les servitudes légales étaient assimilées à des servitudes apparentes au sens de l’article 1638 du Code civil.
Mais, la Cour de cassation a ensuite infléchi sa position faisant une subtile distinction entre les servitudes légales ordinaires et les servitudes légales exceptionnelles.

Si les servitudes légales de droit de passage pour cause d’état d’enclave ont été qualifiées d’ordinaire, la situation du terrain dans un secteur minier ou géologique particulier entraînant un risque d’affaissement a été considéré comme une servitude exceptionnelle.

En pratique, les servitudes légales seront généralement ordinaires et l’agent immobilier n’a pas d’investigation particulière à envisager, l’analyse du certificat d’urbanisme et du titre doit suffire.

Le moment de la déclaration est important puisqu’il est indispensable depuis la réforme du droit des obligations de communiquer à l’acquéreur potentiel, toutes les informations connues du vendeur et donc de son mandataire, susceptibles d’influencer l’acte d’achat, aussi les informations sur les servitudes doivent être fournies avant l’avant-contrat.

Cette position était celle de la Cour de cassation depuis plusieurs années, puisque notamment la Cour de cassation en février 2006 a validé une action en nullité d’une promesse en constatant que les candidats acquéreurs ne se seraient pas engagés s’ils avaient été avisés de l’existence de servitudes de passage connues du vendeur, réduisant la surface utile du terrain (en l’espèce d’environ 10 %).

Il faut observer au niveau de la connaissance des servitudes que figure classiquement au compromis une condition suspensive d’absence de révélation de servitudes permettant à l’acquéreur de se dégager s’il considérait que la servitude révélée après le compromis est déterminante. Mais, en pratique le jeu de cette clause doit poser difficulté puisque la caducité ou mise à néant du compromis nécessite l’accord du vendeur.

Naturellement, le propriétaire doit s’abstenir de consentir une servitude sur le bien après la signature de la promesse, même pour rendre opposable aux tiers et consacrer, un accord entre voisins qui n’aurait pas fait l’objet d’un acte écrit préalable à la vente.

La situation de l’agent immobilier est claire face aux servitudes, il doit avant la présentation du bien analyser au regard des servitudes, la situation du bien à commercialiser et dès la préparation du dossier de présentation de l’immeuble, y faire figurer l’état des servitudes afin de réaliser une information totale et sincère à la fois des servitudes grevant le bien comme celles dont il bénéficie.

II - La sanction du défaut d’information.

Elle affectera en premier lieu le vendeur qu’il soit de bonne ou mauvaise foi.

Si Le vendeur n’a pas satisfait son obligation de déclarer les servitudes passives non apparentes, l’acquéreur dispose d’un choix :
• la résiliation de la vente
• l’octroi de dommages intérêts.

En pratique, il est peu probable qu’une action en résiliation soit envisagée en raison des difficultés liées à l’exécution d’une telle décision. Le vendeur est censé reprendre le bien et rembourser le prix de vente, il faut que la solvabilité de ce dernier soit certaine pour qu’un acquéreur prenne un tel risque.

L’acquéreur choisira le plus souvent une procédure d’indemnisation de son préjudice dont il devra justifier. Le juge retiendra pour quantifier les dommages-intérêts, les frais éventuellement exposés, la gêne occasionnée par la servitude omise et plus généralement, la dépréciation de la valeur du bien acheté.

Pour l’action en résiliation, celle-ci ne sera admise par le juge que si la servitude dissimulée est d’une importance telle qu’il y a lieu d’estimer que l’acquéreur n’aurait pas acquis le bien, s’il en avait été informé.

C’est donc le juge qui appréciera le degré de gravité de la servitude non déclarée et le caractère déterminant de la révélation dans l’esprit de l’acquéreur, la seule bonne foi du vendeur ne pouvant l’exonérer de la résiliation de la vente.

III - La responsabilité de l’agent immobilier.

L’intermédiaire qu’est l’agent immobilier a parmi ses obligations, celle de vérifier l’existence de servitudes.

Des vérifications insuffisantes permettent d’engager la responsabilité de l’intermédiaire, entraînant la possible condamnation à des dommages-intérêts.

Cette obligation d’information a été consacrée à de nombreuses reprises par la Jurisprudence notamment en cas d’existence de servitudes issues de conventions conventionnelles omises ou de servitudes d’urbanisme mal appréciées à la lecture du certificat d’urbanisme.

En revanche, la responsabilité d’un agent immobilier a été écartée par la Cour d’Appel de Bordeaux dans le cas d’une procédure ou le cahier des charges d’un lotissement interdisait la construction d’une piscine alors que l’acquéreur avait un projet de construction de cette piscine, projet dont il n’avait pas informé l’agent immobilier.

En pratique, les principales servitudes pouvant se révéler étant celles en matière de droit de l’urbanisme, souvent connue après l’avant contrat, aussi la rédaction d’une condition suspensive à la promesse de vente permet d’éviter la mise en jeu la responsabilité du rédacteur d’acte.

Naturellement, lorsque l’agent immobilier est le rédacteur de la promesse de vente, il doit assurer la validité de l’efficacité du compromis qu’il fait régulariser et doit donc effectuer des vérifications accrues notamment par la lecture du titre du vendeur.

Le régime des servitudes en matière de transactions immobilières est donc celui de l’information par le vendeur, de la vérification par l’intermédiaire de l’existence de servitudes dans le cadre de la négociation préalable à la contractualisation, obligations qui se recoupent avec l’obligation générale de bonne foi et d’information du nouveau droit des obligations.

L’analyse des servitudes est donc un préalable incontournable à la mise en commercialisation d’un bien puisqu’un défaut d’information pourra soit entrainer la caducité d’un compromis soit la résiliation d’une vente authentique, deux hypothèses entrainant l’absence de rémunération de l’agent immobilier, ce qui ne peut qu’inciter le professionnel à une vigilance accrue.

Pascal Bellanger Avocat au Barreau de Nîmes