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L’erreur de l’acquéreur professionnel d’une œuvre d’art : cause de nullité de la vente aux enchères ? Par Béatrice Cohen, Avocat.
Parution : jeudi 26 décembre 2019
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En matière de vente d’œuvre d’art, la question de l’authenticité a toujours été au cœur d’un important contentieux. L’acquéreur d’une œuvre d’art qui découvre l’inauthenticité de l’œuvre qu’il a acquise, cherchera à obtenir l’annulation de la vente sur le fondement de l’erreur.

Rappelons que l’erreur de l’acheteur sur une qualité substantielle de l’œuvre d’art (en l’occurrence l’authenticité) objet de la vente, constitue un vice de consentement qui entache la vente de nullité (articles 1130 et suivants du Code civil).

C’est ce qu’il ressort de l’article 1132 du Code civil qui dispose que « L’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant. »

La notion d’erreur excusable de l’acheteur professionnel alimente très régulièrement les débats judiciaires lorsqu’est sollicitée l’annulation de la vente.

Dans deux arrêts récents la cour d’appel de Paris a retenu le caractère excusable de l’erreur commise par l’acquéreur professionnel souhaitant faire annuler la vente d’une œuvre d’art qui s’est révélée être inauthentique.

Il s’agira d’étudier la position des tribunaux français sur le caractère excusable de l’erreur commise par un acquéreur professionnel qui entend faire annuler la vente d’une œuvre inauthentique au regard des deux décisions récentes rendues par la Cour d’appel (II) avant de constater que la jurisprudence est fluctuante en la matière (II).

I. Une appréciation récente du caractère excusable de l’erreur commise par l’acquéreur professionnel.

Dans deux décisions rendues récemment, en mai 2019, la cour d’appel de Paris s’est prononcée sur le caractère excusable de l’erreur commise par l’acquéreur professionnel.

Dans la première affaire, la société SJ Philipps, antiquaire spécialisé dans le commerce de la joaillerie et de l’argenterie ancienne et moderne, a acquis lors d’une vente aux enchères une paire de flambeaux en argent d’un maître orfèvre réputé. Exposés à la foire de Maastricht, la commission d’experts de cette foire a demandé le retrait de cette paire de flambeaux, considérés comme non authentiques.

Après plusieurs expertises qui ont montré que les flambeaux litigieux devaient être considérés comme des « faux modernes » et une tentative de règlement amiable de ce litige qui s’est avérée vaine, l’antiquaire n’a eu d’autres choix que d’assigner en justice la maison de vente afin d’obtenir l’annulation de la vente pour erreur sur la substance.
En première instance, le Tribunal a rejeté l’intégralité des demandes de l’antiquaire considérant qu’il avait commis une erreur inexcusable au regard de sa qualité de professionnel averti et de ses compétences (TGI Paris, 9 mars 2017).

A l’inverse, la Cour d’appel de Paris a considéré que l’erreur de l’antiquaire était excusable « dès lors qu’elle a été partagée par d’autres professionnels comme les experts de la vente » et qu’il a été nécessaire de procéder à des analyses et des recherches spécifiques (analyses du métal notamment) pour conclure à l’existence d’un doute quant à l’authenticité des œuvres (CA Paris, 14 mai 2019).

La Cour a en outre souligné que le catalogue de vente ne contenait aucune réserve spécifique et « qu’il était loisible aux experts de la vente de faire réaliser des analyses en temps voulu ». La Cour a donc prononcé la nullité de la vente.

Dans la seconde affaire, la Cour d’appel de Paris a adopté une position similaire.
En l’espèce, une galerie spécialisée dans l’achat et la revente d’œuvre d’art, a fait l’acquisition lors d’une vente aux enchères d’une sculpture d’Ossip Zadkine, plus précisément une terre cuite (CA Paris, 21 mai 2019).

Quelques jours après la vente, l’adjudicataire a contacté la conservatrice du musée Zadkine qui a refusé d’inscrire l’œuvre litigieuse au supplément du catalogue raisonné de l’oeuvre sculpté de l’artiste. Il a alors souhaité faire annuler cette vente pour erreur après que l’expertise ait révélé qu’il ne s’agissait pas d’une œuvre authentique de Zadkine mais plutôt d’un de ses élèves.

La galerie a donc assigné le vendeur, le commissaire-priseur et l’expert en nullité de la vente, responsabilités des commissaire-priseur et de l’expert.

Les juges ont considéré que l’erreur commise par la galerie était excusable et prononcé la nullité de la vente. Ils ont estimé que bien qu’ayant la qualité d’acquéreur professionnel, la galerie n’était pas tenue « de faire avant la vente toutes les recherches d’origines qui incombent précisément au commissaire-priseur et à son expert, dont il n’est pas justifié la réalisation par ceux-ci ».

La Cour a en outre retenu la responsabilité du commissaire-priseur qui avait proposé à la vente une œuvre de Zadkine, avec mention au catalogue du nom de l’artiste, affirmant de son authenticité « sans aucune réserve » et sans réaliser les diligences minimales qui lui incombaient.

Outre l’annulation de la vente et le remboursement du prix de vente et des frais d’adjudication qui en découlent, la Cour a indemnisé l’adjudicataire de la perte de chance de percevoir une plus-value de son investissement.

Toutefois, ces deux décisions doivent être tempérées au regard de la position incertaine des juges dans des affaires similaires.

II. Une solution incertaine au regard de l’interprétation in concreto des juges.

La jurisprudence se montre ainsi plus sévère lorsque le professionnel commet une erreur dans le domaine de sa spécialité.

Le caractère excusable ou non de l’erreur s’apprécie in concreto, en tenant compte des insuffisances de l’errans.

Ainsi, dans certaines décisions, le caractère inexcusable de l’erreur est retenu par les juges (1) alors que dans d’autres cas les juges considèrent que l’erreur est excusable (2).

1. Le caractère inexcusable de l’erreur commise par le professionnel.

Dans une décision rendue par la Cour de cassation le 9 avril 2015, un expert de l’art russe du XXe siècle a souhaité obtenir l’annulation de la vente aux enchères lors de laquelle il avait pensé acquérir un tableau d’un célèbre peintre russe du XXe siècle, Konstantin Korovin, qui s’était révélé être une contrefaçon.

Dans cette décision, la Cour a considéré que l’erreur de l’acquéreur professionnel était inexcusable au regard de sa qualité « d’expert de l’art russe du XXe siècle », notant qu’il « avait lui-même été expert de l’art russe du XXe siècle pour la galerie Drouot et s’était spécifié depuis quelques années dans les peintres russes dont Konstantin Korovin était l’un des représentants les plus illustres », précisant « qu’il était réputé avoir vu le tableau avant de l’acheter ».

Ainsi, la vente aux enchères n’a pas été annulée sur le fondement de l’erreur sur les qualités essentielles (art. 1132 nouv. du Code civil).

Notons que la Cour de Cassation ne remet pas en cause le principe selon lequel le caractère excusable de l’erreur commise par l’acheteur professionnel est possible, notamment en présence d’une expertise réalisée par plus compétent que lui et qui garantit l’authenticité de l’œuvre. (Civ. 1ère, 14 déc. 2004). Ce qui n’était pas le cas dans cette affaire.

Selon la même idée, les juges n’admettent pas non plus qu’un antiquaire réputé puisse invoquer l’erreur sur l’authenticité d’un meuble présenté comme l’œuvre d’un célèbre ébéniste, alors que la fausseté pouvait être facilement décelée sans examen approfondi et même par un amateur (CA Bordeaux, 15 mars 2004).

Les juges semblent donc regarder principalement si l’erreur sur l’authenticité commise par l’acquéreur professionnel pouvait être facilement évitée, pour conclure, dans un tel cas, au caractère inexcusable de l’erreur et ainsi rejeter la demande en nullité de la vente.

2. Le caractère excusable de l’erreur commise par le professionnel.

Toutefois, comme il a été observé précédemment, le caractère professionnel de l’errans ne suffit pas à rendre son erreur inexcusable.

Ainsi, dans une décision mesurée, la Cour de cassation a pu qualifier d’excusable l’erreur commise par l’acquéreur, expert agréé spécialiste du dépistage des faux et des contrefaçons artistiques, chargé de restaurer le tableau de Camille Claudel, L’amie anglaise, qu’il a ensuite acquis.

Ce tableau était en outre répertorié au catalogue raisonné établi par la petite nièce de Camille Claudel. La toile litigieuse était donc au moment de la vente formellement reconnue comme authentique par un expert spécialiste des œuvres de l’artiste.

La Cour de Cassation a prononcé la nullité de la vente, considérant que « l’expert était intervenu à des fins autres qu’une certification de la toile litigieuse, déjà formellement reconnue comme étant de Camille Claudel par Mme Y, experte et spécialiste de ses œuvres, et que cette authentification n’était en rien démentie à l’époque de la vente ». (Civ. 1e, 14 déc. 2004).

Les deux décisions rendues par la cour d’appel de Paris en mai dernier, favorables aux acquéreurs professionnels, doivent ainsi être tempérées au regard du flou qui entoure les décisions rendues en la matière depuis plus de quinze ans, faisant systématiquement l’objet d’une appréciation in concreto par les juges.

Maître Béatrice COHEN [->www.bbcavocats.com]