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Le droit à rémunération de l’agent immobilier. Par Pascal Bellanger, Avocat.
Parution : vendredi 27 décembre 2019
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La particularité de l’activité d’agent immobilier est qu’il peut exécuter sa mission sans rémunération, s’il ne parvient pas à réaliser, le transaction. C’est pourquoi, il doit être vigilant à respecter des obligations strictement définies pour solliciter le paiement d’honoraires.

L’exercice de l’activité d’agent immobilier est réglementé principalement par la loi du 2 janvier 1970 (modifiée de multiples reprises) dite loi Hoguet.

Mais de nombreux autres textes s’appliquent à l’activité d’intermédiaire en vente immobilière comme les règles applicables au démarchage à domicile en matière de droit de la consommation, ou le droit commun du mandat tel que défini par les dispositions du Code Civil.

La pratique de l’agent immobilier est particulièrement encadrée en ce qui concerne ses honoraires, terminologie employée depuis la loi ALUR de 2014, même si usuellement, le terme communément utilisé reste celui de « commissions ».

La question de la rémunération de l’agent immobilier a toujours donné lieu à une abondante jurisprudence, laquelle rend nécessaire l’étude du droit aux honoraires par l’agent immobilier.

A- une condition préalable : la détention d’un mandat.

Le principe est clairement établi, ancien et sans ambiguïté :

Sans mandat écrit, l’agent immobilier ne peut solliciter la moindre somme à quelque titre que ce soit, et ce même s’il a apporté son concours à la réalisation de la vente intervenue.

C’est la conséquence de la rédaction de l’article 6 de la loi du 2 janvier 1970.

À de multiples reprises, les juridictions ont rappelé ce principe intangible : aucune commission ne peut être perçue, à défaut de mandat écrit.

Du reste, il faut rappeler que la perception d’un acompte sur le prix de vente ou toute demande de fonds dans le cadre d’une opération sans mandat est constitutive d’une infraction pénale punie d’une peine d’emprisonnement de deux ans et d’une amende de 30 000 euros.

Une telle infraction fait également courir le risque évident de perdre le bénéfice de la carte professionnelle d’agent immobilier ou celui d’être condamné à une interdiction d’exercer, à titre de peine accessoire.

Naturellement, le mandat devra être en cours de validité et il a été jugé que l’agent immobilier qui réalise une vente postérieurement à l’expiration d’un mandat n’a droit à aucune rémunération, d’où la nécessité pour l’agent de veiller à proroger la validité d’un mandat à l’expiration de la durée de celui-ci.

Il faut également que l’objet du mandat soit conforme à l’opération effectuée. C’est ainsi qu’un agent immobilier, titulaire d’un mandat de gestion ayant procédé à une vente sans mandat de vente complémentaire a vu écarter sa demande de commission par la Justice.

En effet, le mandat a par nature un objet défini et le mandataire ne peut excéder la mission qui lui est confiée. Aussi, il est tout à fait logique qu’un mandataire, qui réalise un acte hors du champ du mandat, ne puisse solliciter une rémunération pour un acte effectué sans l’accord express du mandant.

De plus, le mandat doit être conforme aux prescriptions réglementaires et comporter toutes les obligations en la matière, à défaut de quoi il n’y aura pas lieu à honoraires.

Les exemples sont multiples :
- lorsque le mandat n’est pas établi en double original,
- lorsqu’il ne mentionne pas le montant des honoraires,
- lorsqu’il ne mentionne pas la personne redevable des honoraires,
- lorsqu’il ne mentionne pas de limitation de durée dans le temps (et même si la vente intervient en bonne et due forme),
- lorsqu’il ne comporte pas numéro d’ordre sur l’exemplaire du mandat remis au mandant.

Cette hypothèse ne peut être corrigée après l’accord des parties et avant la régularisation de l’acte authentique de vente, la législation étant d’ordre public.

La seule possibilité ouverte par la jurisprudence est de percevoir une rémunération au terme d’une transaction postérieure à la signature de l’acte authentique de vente, ce qui induit que le vendeur, en principe redevable de la commission sera particulièrement bien disposé à l’égard de l’agent immobilier… (Chambre civile 1, 1986-10-08 Bulletin 1986, I, n° 234, p. 223)

Il en ressort que l’existence d’un mandat, valide et conforme aux prescriptions légales et réglementaires est une première condition incontournable du droit à rémunération de l’agent immobilier.

B- une condition essentielle : L’intervention déterminante de l’agent immobilier.

Ce critère n’est pas un critère légal imposé par la loi HOGUET de 1970, mais le fruit d’une très longue pratique jurisprudentielle.

En effet, il faut a minima que l’agent immobilier ait recherché et trouvé un acquéreur, sinon il n’a droit à aucune commission ou indemnisation, et ce même s’il est titulaire d’un mandat exclusif.

La recherche de l’acquéreur :

Un agent immobilier qui avait sollicité sa commission alors qu’il s’était trompé en faisant visiter un terrain voisin, qu’il avait désigné de manière imprécise dans le mandat et qu’il a visé de manière erronée sur le bon de visite, n’a pas vu son droit à commission reconnu lorsque la vente du bon terrain a été conclu sans son intermédiaire [1].

Cet exemple caricatural (et un peu audacieux de la part de l’agent qui a sollicité des honoraires) est caractéristique du minimum de professionnalisme à attendre de l’agent immobilier, car même si l’acquéreur n’avait pas connu l’existence du terrain à commercialiser sans l’entremise de l’agent, le bien présenté n’était pas celui qui fut acquis.

Le critère de l’intervention déterminante a été retenu pour exclure le droit à rémunération notamment, lorsque l’agent immobilier s’est contenté de proposer l’acquisition d’un bien au locataire, titulaire d’un droit de préemption [2].

Cette décision est très contestable car si l’agent immobilier était titulaire d’un mandat, il a pu intervenir en suggérant à son mandant de délivrer un congé pour vendre le bien, congé qui a été déterminant dans la réalisation de la vente.

Quoiqu’il en soit, à de nombreuses reprises, la Cour de cassation a considéré que le locataire titulaire d’un droit de préemption qui acceptait l’offre de vente n’avait pas à régler le montant de la commission d’agence.

Il a été jugé dans le même sens pour le droit de priorité du locataire commercial ou artisanal puisque l’offre de vente qui doit être notifiée ne peut inclure les honoraires de négociation en application de l’article L145-46-1 du Code de commerce.

Cette jurisprudence favorable aux locataires semble contradictoire à celle applicable au droit de préemption urbain, la Cour de Cassation ayant considéré que la commune préemptrice est tenu aux conditions financières figurant à la déclaration d’intention d’aliéner.

Il faut donc que l’agent immobilier s’assure que ses honoraires figurent bien à la DIA (déclaration d’intention d’aliéner) notifiée à la collectivité territoriale pour pouvoir les percevoir, si la collectivité territoriale décide de faire jouer son droit de préemption.

Il faut également noter que dans l’hypothèse où la vente s’effectue suite à un pacte de préférence conventionnel, le bénéficiaire du droit de préférence doit la rétribution de l’agent immobilier intermédiaire dans la transaction initiale.

Ces droits étant notifiés alors que l’agent a proposé un tiers acquéreur, il a rempli la première condition pour pouvoir solliciter des honoraires : il a trouvé un acquéreur et si celui-ci est évincé, pour des motifs conventionnels ou réglementaires, il est légitime à voir sa prestation rémunérée.

Mais il ne suffit pas que l’agent immobilier ait recherché un acquéreur, il faut qu’il ait mis les parties en présence et qu’il ait participé aux négociations.

La participation aux négociations.

Dans l’hypothèse où un mandat de recherche mentionne plusieurs biens proposés aux clients, la jurisprudence a considéré que ce mandat ne justifie pas que les biens avaient été effectivement visités, la rémunération a été exclue.

D’où la nécessité d’un bon de visite pour matérialiser la preuve de la présentation du bien…

En effet, la simple mise en relation entre vendeur et acquéreur potentiel ne suffit pas, il faut aussi qu’il soit intervenu dans les pourparlers entre les parties et que la transaction soit intervenue par son entremise.

En effet, il a pu parfaitement participer à une négociation sans que celle-ci n’aboutisse, si elle intervient ultérieurement par une autre agence immobilière, c’est la seconde agence immobilière qui bénéficiera des honoraires.

Pour justifier la réalisation de l’opération, l’agent immobilier doit justifier d’un engagement écrit imposé par la loi du 2 janvier 1970.

En effet, le refus du mandant de réaliser la vente avec une personne qui lui est présentée par un agent même aux conditions du mandat ne constitue pas une faute ouvrant droit honoraire ou indemnisation.

Il peut seulement solliciter des dommages-intérêts s’il prouve une faute de son mandant qu’il aurait privé de la réalisation de la vente (dans l’hypothèse où le vendeur a vendu à l’acquéreur présenté sans intervention de l’agence immobilière).

En effet, le principe est simple lorsqu’une personne donne à plusieurs agents immobiliers, un mandat non exclusif de vente, elle ne devra payer la rémunération qu’à celui par l’entremise duquel l’opération a été effectivement conclue avec l’engagement écrit des parties.

Cet engagement écrit n’est pas nécessairement un acte authentique. Il s’agit d’un acte sous seing privé régularisé par les deux parties à la vente, document qui doit être rédigée en autant d’originaux que de parties.

Ce peut être l’offre mais l’acceptation ne suffit parfois pas à ce que la transaction aille à son terme.

En pratique, le document qui consacrera utilement l’accord total des parties, c’est l’avant contrat que ce soit le compromis où la promesse unilatérale de vente, acte qui comportera les conditions globales et détaillées de la vente et notamment les conditions suspensives.

Si les conditions suspensives ne sont pas réalisées, l’engagement des parties étant censé n’avoir jamais existé, l’agent immobilier ne pourra prétendre à aucune rémunération même s’il a exécuté sa prestation, sous réserve naturellement d’une faute de l’acquéreur pour lequel l’agent immobilier ne peut pas solliciter sa rémunération mais des dommages-intérêts équivalents au préjudice subi.

Naturellement, pour pouvoir bénéficier d’une commission, il conviendra que l’acte authentique de vente consacrant l’accord des parties fasse figurer le montant de cette rémunération, à défaut de quoi il ne pourra rien percevoir.

Il est possible que l’agent immobilier bénéficie d’un droit à commission lorsque que son intervention a été déterminante sans qu’il réalise effectivement l’affaire.

C’est l’hypothèse où l’agent immobilier a été évincé par des clients indélicats qui concluent la vente directement pour échapper au paiement de la commission, étant précisé que dans ce cadre, il bénéficiera non pas du paiement des honoraires mais d’une indemnisation.

Il faudra pour que l’agent immobilier perçoive une indemnisation forfaitaire soit que figure une clause pénale au mandat soit qu’il rapporte la preuve du préjudice qu’il a subi en raison de la faute du mandant, qui n’a pas exécuté de bonne foi le contrat, ce qui a privé l’agent immobilier de sa rémunération.

Dans cette hypothèse, l’agent immobilier a droit à rémunération sur le fondement de la clause pénale du mandat ou à défaut, au titre de l’indemnisation de son préjudice, mais il doit rapporter la preuve de la faute du mandant.

C’est pourquoi, pour percevoir cette indemnisation, l’agent immobilier doit rapporter la preuve, soit de la faute du mandant, soit de la faute de l’acquéreur, soit d’un concert frauduleux entre le mandant et l’acquéreur.

Dans ces hypothèses, tout sera question d’appréciation des preuves apportées par l’agent immobilier, quant au caractère déterminant de son intervention et de la preuve de la collusion des parties pour l’évincer.

Naturellement, lui-même ne doit pas avoir commis de faute.

En conclusion, pour pouvoir prétendre à une commission ou une indemnisation, l’agent immobilier devra se ménager toutes preuves de son intervention déterminante dans l’accord des parties, sachant que la commission ne pourra être perçue qu’au terme de la transaction lors de la réitération authentique de la vente.

Pascal Bellanger Avocat au Barreau de Nîmes

[1Cour d’appel de Lyon 24 octobre 2019, Legifrance RG 17/08412.

[21° chambre civile de la Cour de cassation, 14 juin 1988, Legifrance.