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Avocat.e.s, emparez-vous du Droit collaboratif !
Parution : jeudi 9 janvier 2020
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C’est un acronyme qui risque de faire l’actualité juridique de 2020 : celui de "MARD" pour Mode Alternatifs de Règlements des Différends. Le sujet n’est pas nouveau, mais il semble que les professionnels du droit aient décidé cette fois-ci de s’en emparer pleinement. Nombreux sont par exemple les avocats qui mettent en avant leur titre de médiateur. Sauf que - et c’est sans doute là également le signe de l’évolution qui s’amorce - la médiation n’est pas le seul mode alternatif existant et à portée de main des professionnels. Parmi ces solutions, le Village de la Justice a souhaité ici mettre en avant un autre procédé, moins connu, celui du droit collaboratif, et a pour cela fait appel à une des spécialistes du sujet, l’avocate Laurence Junod-Fanget [1].

Village de la Justice : Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste concrètement le droit collaboratif ?

Laurence Junod-Fanget : "Le droit collaboratif est un processus de résolution amiable des différends mis en place avant toute saisine du juge. Les parties et leurs avocats s’engagent contractuellement à œuvrer conjointement et de bonne foi pour trouver une solution négociée.

Ce processus contractuel est très structuré : l’avocat, formé à l’écoute active, la reformulation, la négociation raisonnée etc. aide son client à bien identifier ses besoins et aussi ceux de l’autre partie. Lors des réunions communes, les parties, assistées de leurs avocats, vont par étapes progressives trouver les solutions adaptées et acceptables pour elles car fondées sur leurs besoins réels et essentiels.

C’est un processus contractuel très structuré, et dont le pilier est la confiance.

Le pilier du processus collaboratif, c’est la confiance, qui se décline en trois points essentiels :
• La confidentialité : les négociations, les documents et courriers échangés sont soumis à une clause de confidentialité.
• La transparence ou la loyauté : les parties doivent communiquer les informations importantes et utiles pour que l’accord trouvé soit pérenne.
• En cas d’échec des négociations ou si un avocat constate que son client ne respecte pas les règles, le processus s’arrête. Si les parties recourent au juge, leurs avocats doivent se désister et ne pourront pas les assister devant la juridiction.

Ce processus est le même, quel que soit le pays d’appartenance du fait d’une formation identique. Tous les avocats sont formés de la même façon en droit collaboratif, ils ont les mêmes engagements, utilisent le même processus, les mêmes outils, ce qui constitue un gage de confiance et d’efficacité…notamment dans les dossiers en droit international.

Le processus collaboratif est contractuel. Il n’existe pas de loi. En revanche, la déontologie est très forte."

Laurence Junod-Fanget

Quels avantages y voyez-vous ? Ce processus à l’inverse comporte-il des risques ? 

"Le processus collaboratif repose sur une confiance mutuelle et un travail d’équipe propice à la créativité. Là où un juge ne peut qu’appliquer la règle de droit, le processus collaboratif permet aux parties d’innover et de construire une solution véritablement adaptée, les avocats étant garants de son efficacité et du respect de l’ordre public.

A la différence du procès auquel le justiciable « assiste », le processus collaboratif place le justiciable au centre des discussions et des négociations. Rien ne se passe hors sa présence. Son implication directe est essentielle.

Alors que le magistrat juge des faits en fonction des règles de preuve légales et applique la règle de droit avec rigueur, le processus collaboratif permet aux parties d’opter pour la solution la plus adaptée.

La vérité judiciaire est parfois aux antipodes de la réalité, faute de preuve ! Le résultat est vécu alors comme injuste. Le processus collaboratif permet d’échapper à l’aléa judiciaire.

La métaphore de l’iceberg est très parlante : la justice n’a accès qu’à ce qui est visible alors que le processus collaboratif prend en compte l’intégralité du conflit dont sa partie immergée.

Les personnes, accompagnées par leurs avocats, bénéficient d’un climat plus apaisé, propice à la résolution amiable."

Le processus collaboratif place le justiciable au centre des discussions et des négociations.

Les avocats sont-ils prêts pour ce nouveau mode de fonctionnement, et quels sont les obstacles ? 

"De plus en plus d’avocats se sont formés au processus collaboratif. Dans un premier temps il s’appliquait avant tout aux conflits familiaux mais il s’avère très adapté au droit des affaires (notamment en cas de litige entre associés, avec un fournisseur, une banque…).

Dans le cadre de son devoir de conseil, l’avocat doit présenter les différents modes amiables et permettre ainsi à son client d’opter pour le mode le plus approprié. L’avocat doit faire preuve de pédagogie et s’assurer de la bonne compréhension de son client avant qu’il n’opte pour le processus collaboratif, notamment le fait qu’il devra changer d’avocat en cas de désaccord persistant.

Cette règle est, de fait, contraignante mais c’est aussi la grande force du processus. L’implication de tous dans la recherche d’une solution acceptée par les parties est un moteur puissant, et dans les faits il y a peu d’échec. "

Du côté des magistrats, comment l’accueillent-ils ?

"Les modes amiables sont en plein essor et les magistrats sont proactifs puisqu’ils peuvent enjoindre les parties à un procès de rencontrer un médiateur.

A partir du 1er janvier 2020, dans les litiges d’un montant inférieur à 5.000 euros ainsi que dans les conflits de voisinage, les parties devront avant de saisir le juge tenter une conciliation, une médiation ou une convention de procédure participative. Pour répondre à la nouvelle réglementation, les parties pourront avoir recours au processus collaboratif en utilisant comme support une convention de procédure participative (Voir les explications sur cette convention en fin d’article.)

Au regard des garanties qu’offre le processus collaboratif, les magistrats peuvent homologuer les accords en toute confiance."

Le droit collaboratif est-il finalement simplement un MARD ou une nouvelle façon de penser le travail d’avocat ? 

C’est une nouvelle façon de penser l’accompagnement de nos clients et de mettre en avant le savoir faire des avocats.

"C’est une nouvelle façon de penser l’accompagnement de nos clients. Le processus collaboratif fait appel au savoir être de l’avocat. L’intelligence dite artificielle modifie la nature des missions de l’avocat et augmente son champ des possibles. Le savoir faire et le savoir être de l’avocat sont des atouts recherchés par les chefs d’entreprise.

Le processus collaboratif est sans aucun doute la forme la plus aboutie des modes amiables car les participants sont sur un pied d’égalité, bénéficient des mêmes principes de transparence et de confidentialité et sont conseillés par un avocat.

La proximité entre l’avocat et son client, la coopération entre les parties, le dialogue et la négociation raisonnée transforment l’exercice professionnel de l’avocat."


Ne pas confondre "droit collaboratif" et "convention de procédure participative" (CPP) ?

Laurence Junod-Fanget nous explique la différence entre ces deux processus :

La CPP est directement inspirée du processus collaboratif « mais avec des adaptations pour marquer que les avocats remplissent ici leur fonction traditionnelle (…) Cette procédure négociée devient une procédure pré judiciaire (...) ». [2]

La loi du 22 décembre 2010 et le décret n°2012-66 du 20 janvier 2012 ont fixé les conditions de mise en œuvre de la procédure participative en amont de la saisine du juge. La loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle a étendu la CPP à la mise en état du litige.

L’article 2062 du code civil définit la convention de procédure participative comme « une convention par laquelle les parties à un différend s’engagent à œuvrer conjointement et de bonne foi à la résolution amiable de leur différend ou à la mise en état de leur litige. »

Les parties sont obligatoirement et exclusivement assistées par un avocat. Elles s’engagent à œuvrer conjointement et de bonne foi pour trouver un accord ou pour mettre en état leur litige.

Les parties vont donc coopérer afin de gérer ensemble la mise en état, au rythme qu’ils déterminent, établir des actes contresignés par avocats pour :
1° Constater les faits qui ne l’auraient pas été dans la convention ;
2° Déterminer les points de droit auxquels elles entendent limiter le débat, dès lors qu’ils portent sur des droits dont elles ont la libre disposition ;
3° Convenir des modalités de communication de leurs écritures ;
4° Recourir à un technicien ;
5° Désigner un conciliateur de justice ou un médiateur. (Article 1546-3 CPC)

A titre d’exemple, les parties peuvent avoir recours à un technicien choisi d’un commun accord, fixer sa mission, la durée et le coût. Après le dépôt du rapport, les parties peuvent à nouveau s’engager à œuvrer pour trouver un accord.

A l’issue de la CPP, soit il y a un accord qui peut être soumis à homologation judiciaire, soit il subsiste un désaccord que le juge tranchera en fixant l’affaire à bref délai.

A la grande différence avec le processus collaboratif, en cas de désaccord, les avocats n’ont pas à se retirer du dossier et peuvent représenter leur client devant le juge.

La CPP fixe un cadre procédural mais ne constitue pas un mode de résolution du différend.

Il est évident que les avocats formés à la négociation raisonnée, la médiation… vont utiliser ces outils et optimiser la CPP.

Cette liberté procédurale « place l’avocat au cœur du processus ». [3]

Propos recueillis par Nathalie Hantz Rédaction du Village de la Justice

[1Laurence Junod-Fanget est avocate au Barreau de Lyon, dont elle a été Bâtonnière. Elle est spécialiste en droit de la famille, droit du travail et droit de l’immobilier, et s’est formée aux techniques de droit collaboratif et de médiation.

[2Rapport S. Guinchard « L’ambition raisonnée d’une justice apaisée » 30 juin 2008.

[3Fiche n°3 La mise en état devant le tribunal judiciaire- Conseil National des Barreaux.