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Les impacts de la réforme du 23 mars 2019 sur la procédure civile. Par Baptiste Robelin, Avocat.
Parution : lundi 6 janvier 2020
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La réforme Belloubet du 23 mars 2019, et l’ensemble de ses décrets d’application, notamment ceux des 11 et 20 décembre 2019 (n° 2019-1333 et n° 2019-1419), modifient de manière très substantielle les règles de procédure civile applicables dans un grand nombre de domaines.

L’occasion d’effectuer un tour d’horizon complet de ce qui a changé en la matière depuis le 1er janvier 2020.

A. La modification des règles de représentation obligatoire par avocat.

Changement majeur introduit par la réforme : la représentation par avocat devient obligatoire par principe devant le Tribunal judiciaire (article 760 du CPC), sans distinction entre les procédures écrites et orales, alors qu’elle ne l’était que par exception devant le Tribunal de grande instance.

Les exceptions sont régies par l’article 761 du CPC : lorsque la demande porte sur un montant inférieur ou égal à 10.000 €, les parties ne sont pas tenues de constituer avocat, à moins que leur demande, quel que soit son montant, relève de la compétence exclusive du tribunal judiciaire.

En synthèse, après la réforme, la représentation par avocat devient donc désormais obligatoire pour l’ensemble des procédures suivantes :
- de référé lorsque le montant des intérêts en jeu est supérieur à 10.000 euros ;
- devant le tribunal de commerce lorsque le montant des intérêts en jeu est supérieur à 10.000 euros, y compris en référé ;
- de révision des loyers commerciaux ;
- devant le juge de l’exécution lorsque le montant des intérêts en jeu est supérieur à 10.000 euros ;
- en matière familiale, dans la procédure de divorce y compris dans l’audience d’orientation et de mesures provisoires, dans la procédure d’absence, de révision de la prestation compensatoire et de délégation et retrait total partiel de l’autorité parentale ou de délaissement parental ;
- en matière d’expropriation ;
- dans les procédures fiscales devant les juridictions civiles.

Dans ces matières, même si certaines d’entre elles répondent du régime des procédures orales, il conviendra de constituer avocat dans l’acte introductif d’instance ou en défense, à défaut, en demande comme en défense il s’agira d’un cas de nullité de fond.

Plusieurs exceptions au principe de représentation obligatoire sont à relever, et concernent notamment :
- L’expulsion ;
- Les saisies des rémunérations ;
- Les procédures collectives ;
- Les matières relevant du juge des contentieux de la protection.

Ces modifications substantielles vont notamment beaucoup impacter les praticiens familiers des tribunaux de commerce, qui n’étaient pas habitués à avoir recours aux services d’avocats postulants.

B. Unification des modes de saisine, modifications relatives à l’assignation.

La saisine de la juridiction est simplifiée puisque ne sont conservés que deux des cinq modes de saisine existants autrefois : l’assignation et la requête (la déclaration au greffe étant réservée à l’appel).

L’article 54 du CPC, dans sa nouvelle rédaction en vigueur au 1er janvier 2020, érige ainsi la saisine de la juridiction par voie d’assignation en principe.

S’agissant de l’assignation, de nouvelles mentions sont à prévoir à peine de nullité.

L’article 56 du CPC prévoit ainsi que l’assignation contient désormais les lieu, jour et heure de l’audience à laquelle l’affaire sera appelée, ce qui constitue une modification radicale avec les anciennes assignations délivrées devant les tribunaux de grande instance, sans date.

Autre modification substantielle prévue par l’article 54 du CPC – essentiellement applicable pour les procédures à venir entièrement dématérialisées, notamment dans le cadre des injonctions de payer et pour les petits litiges inférieurs à 5.000 euros -, l’indication sur l’assignation, à peine de nullité, de l’adresse électronique et du numéro de téléphone du demandeur « lorsqu’il consent à la dématérialisation ».

C. Procédures sans audience.

C’est l’article L. 212-5-1 du Code de l’organisation judiciaire qui gouverne la matière sur ce point :

« Devant le tribunal judiciaire, la procédure peut, à l’initiative des parties lorsqu’elles en sont expressément d’accord, se dérouler sans audience. En ce cas, elle est exclusivement écrite. Toutefois, le tribunal peut décider de tenir une audience s’il estime qu’il n’est pas possible de rendre une décision au regard des preuves écrites ou si l’une des parties en fait la demande ».

Le CPC en tire lui les conséquences avec le nouvel article 778, lequel dispose :

« Lorsque les parties ont donné leur accord pour que la procédure se déroule sans audience conformément aux dispositions de l’article L. 212-5-1 du Code de l’organisation judiciaire, le président déclare l’instruction close et fixe la date pour le dépôt des dossiers au greffe de la chambre (…) »

Ces modifications importantes entérinent la pratique ancienne dite du « dépôt de dossier » et marquent encore un pas vers l’abandon de l’oralité en matière civile.

D. La nouvelle place des modes alternatifs de règlement des différends après la réforme.

On ne le sait, même s’ils n’ont toujours pas le succès escompté auprès des justiciables et de leurs Conseils, le législateur ne cesse depuis près de 30 ans d’inciter davantage les parties à recourir aux modes alternatifs de règlement des différends « MARD », avec l’idée de désengorger les juridictions judiciaires.

Un pas important avait déjà été franchi avec la loi du 12 octobre 2016 portant application des mesures de modernisation de la justice du XXIème siècle, où le législateur, passant de l’incitation à l’obligation, avait posé un principe de conciliation préalable obligatoire devant le tribunal d’instance pour toutes les matières portant sur des litiges inférieurs à 4.000 euros, à peine d’irrecevabilité soulevée d’office par le juge (article 4 de la loi du 12 octobre 2016).

Autre tentative du législateur pour inciter les parties à avoir recours aux MARD, issu d’un décret n°2015-282 du 11 mars 2015, l’obligation d’indiquer sur l’assignation les diligences entreprises par les parties en vue de parvenir à une résolution amiable du litige, mesure qui avait été critiquée par la plupart des praticiens, en particulier à raison du flou qui entourait la sanction en cas d’absence de la mention [1].

La réforme du 23 mars 2019 continue donc dans le sens d’un renforcement de la place des MARD dans notre procédure.

Elle réécrit d’abord l’article 4 de la loi du 12 octobre 2016, en élargissant les hypothèses de recours préalable obligatoire à un mode de résolution amiable des différends. Exigé en cas de saisine du tribunal judiciaire, ce recours doit précéder :
- toutes les demandes tendant au paiement d’une somme n’excédant pas un certain montant (en l’occurrence 5.000 euros) ;
- mais aussi aux demandes relatives à un conflit de voisinage, toujours sous la même sanction.

De plus, la loi du 23 mars 2019 prévoit que le justiciable pourra recourir, à son choix :
- à la conciliation par un conciliateur de justice,
- à la médiation telle que définie par l’article 21 de la loi du 8 février 1995,
- ou à la procédure participative.

Ce « choix » laissé entre les modes de règlement alternatif procède essentiellement d’une volonté du législateur d’éviter les situations de blocage pour les cas où il n’y aurait pas assez de conciliateurs disponibles.

Par ailleurs, ces dispositions sont désormais codifiées à l’article 750-1 du CPC, codification avec une place symbolique, puisqu’il s’agit d’un des articles liminaires du nouveau chapitre intitulé « De l’Introduction de l’instance » dans le CPC.

Dernier point significatif de la réforme sur ce point : la possibilité pour le juge, en tout état de la procédure, d’enjoindre les parties de rencontrer un médiateur pour un entretien informatif.
C’est l’article 22-1, al. 2, de la loi n° 95-125 du 8 févr.1995 modifié par la loi de mars 2019, qui gouverne la matière sur ce point.

E. L’exécution provisoire des décisions de justice.

Le principe est posé par l’article 514 nouveau du CPC, en ces termes :

« Les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement ».

Au titre des exceptions légales, le nouveau texte vient modifier certaines dispositions du CPC. C’est ainsi qu’en matière d’état civil, ne sont pas exécutoire de droit à titre provisoire :
- les décisions statuant sur la nationalité des personnes physiques (art. 1045 du CPC),
- les décisions statuant sur les demandes de rectification et d’annulation des actes d’état civil (art. 1054-1 du CPC),
- les décisions statuant sur le choix du ou des prénoms en matière de déclaration de naissance (art. 1055-3 du CPC, renvoyant à l’art. 57, al. 3),
- les décisions statuant sur les demandes de changement de prénoms et de nom (art. 1055-3, du CPC renvoyant à l’article 60, al. 3),
- les décisions statuant sur les demandes en modification de la mention du sexe et, le cas échéant, des prénoms, dans les actes de l’état civil (art. 1055-10 du CPC).

Lorsque l’exécution provisoire n’est pas de droit, elle reste néanmoins facultative, à moins qu’elle ne soit interdite par la loi. Elle pourra, en effet, être ordonnée à la demande des parties ou d’office, chaque fois que le juge l’estime nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire.

À côté de ces exceptions légales, il faudra compter avec les exceptions judiciaires, c’est-à-dire celles ordonnées par le juge lui-même.

Le nouveau texte prévoit ainsi que le juge peut, même d’office, écarter en tout ou partie l’exécution provisoire de droit, « s’il l’estime incompatible avec la nature de l’affaire ». Sa décision doit être spécialement motivée.

Il ne pourra néanmoins le faire, précise le texte, lorsqu’il statue en référé, qu’il prescrit des mesures provisoires pour le cours de l’instance, qu’il ordonne des mesures conservatoires ainsi que lorsqu’il accorde une provision au créancier en qualité de juge de la mise en état (art. 514-1 du CPC).

Lorsque l’exécution provisoire a été écartée, son rétablissement peut être demandé à l’occasion d’un appel, en cas d’urgence et à la double condition que ce rétablissement soit compatible avec la nature de l’affaire et qu’il ne risque pas d’entraîner des conséquences manifestement excessives. La demande doit être portée devant le premier président ou, lorsqu’il est saisi, au magistrat chargé de la mise en état (art. 514-4 du CPC).

F. L’extension des pouvoirs du Juge de la mise en état.

Le décret du 11 décembre 2019 n° 2019-1333 maintient très largement le dispositif actuel s’agissant des attributions qui du Juge de la mise en état.

On retrouve l’idée d’un magistrat chargé de superviser le déroulement de la procédure, le terme de « contrôle » (art. 780 du CPC), renvoyant à l’idée que c’est d’abord aux parties d’accomplir les actes et formalités qui permettront à l’affaire d’être en état d’être jugée. Ce contrôle de la procédure passe par une série d’attributions que le décret reprend intégralement du dispositif antérieur.

Le juge de la mise en état reste ainsi le gestionnaire de l’instance. Il procède à des jonctions et disjonctions d’instance (art. 783 du CPC), constate l’extinction de l’instance (art. 787 du CPC) ou encore la conciliation des parties (art. 785 du CPC).

Le juge de la mise en état est conforté dans son rôle de régulateur qui consiste à contrôler le déroulement « loyal » de la procédure entre les parties, spécialement s’agissant de la « ponctualité » de l’échange des conclusions et de la communication des pièces (art. 780, al. 1er et 2 du CPC).

Le juge de la mise en état reste enfin un instigateur en ce qu’il peut combler les lacunes des parties sur tel ou tel aspect de leurs échanges afin de s’assurer que le juge saisi au fond est bien informé de l’affaire. Aussi peut-il toujours inviter les avocats « à répondre aux moyens sur lesquels ils n’auraient pas conclu [et] à fournir les explications de fait et de droit nécessaires à la solution du litige » (art. 782, al. 1er du CPC).

Mais le point majeur de la réforme, tient à la compétence désormais dévolue au Juge de la mise en état pour connaître des fins de non-recevoir, comme son homologue le « conseiller de la mise en état », devant la Cour d’appel.

On sait que la Cour de cassation lui refusait par le passé cette prérogative, sur la base d’une lecture stricte de l’ancien article 771 du CPC (Cass., avis, 13 nov. 2006, n° 06-00.012 ; RTD civ. 2007. 177, obs. R. Perrot).

L’évolution n’est pas anodine en ce qu’elle marque un glissement des prérogatives du juge de la mise en état sur le fond du litige.

G. Promotion de la mise en état participative.

La réforme revient sur la possibilité pour les avocats de conclure une convention de procédure participative, destinée à régler la question de la mise en état de l’affaire. La matière est gouvernée par l’article 776 du CPC :

« Sous réserve des dispositions de l’article 1108, au jour de l’audience d’orientation, l’affaire est appelée devant le président de la chambre saisie ou à laquelle l’affaire a été distribuée.

Celui-ci confère de l’état de la cause avec les avocats présents en leur demandant notamment s’ils envisagent de conclure une convention de procédure participative aux fins de mise en état dans les conditions du titre II du livre V.

En cas de réponse positive, le président pourra faire application des dispositions de l’article 1546-1 et, notamment, fixer la date de l’audience à laquelle sera ordonnée la clôture et de plaidoirie ».

La nouvelle procédure participative conduit à renforcer la logique d’externalisation de l’instance.

Toutefois, cette promotion ne constitue qu’une mesure incitative : le succès de la réforme sur ce point dépendra donc de l’appropriation ou non par les parties et leurs Conseils de cette procédure.

Disparition des procédures en la forme de référé.

Ces modifications sont opérées par l’ordonnance n° 2019-738 du 17 juillet 2019, prise en application de l’article 28 de la loi du 23 mars 2019 précitée, et un récent décret du 20 décembre 2019 (n° 2019-1419).

Ces nouvelles dispositions entendent clarifier la procédure « en la forme des référés » en la renommant, de manière à mettre en exergue le fait qu’il s’agit d’une décision statuant au fond, obtenue rapidement, tout en supprimant la référence expresse au « référé », source d’erreurs. La terminologie de « procédure accélérée au fond » remplit cet objectif.

C’est en tout seize codes (Code civil, Code des assurances, Code de commerce, etc.) et treize lois qui voient leurs dispositions modifiées par cette ordonnance.

H. Open data des décisions de justice, respect du secret de la vie privée et préservation du secret des affaires.

La réforme tente d’aménager l’open data des décisions de justice (leur publication) avec la nécessité de protéger la vie privée, mais également d’assurer la sécurité des magistrats.

La réforme introduit ainsi un nouvel article L. 111-13 au sein du Code de l’organisation judiciaire, lequel dispose :

« (…) les décisions rendues par les juridictions judiciaires sont mises à la disposition du public à titre gratuit sous forme électronique.

Les nom et prénoms des personnes physiques mentionnées dans la décision, lorsqu’elles sont parties ou tiers, sont occultés préalablement à la mise à la disposition du public. Lorsque sa divulgation est de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée de ces personnes ou de leur entourage, est également occulté tout élément permettant d’identifier les parties, les tiers, les magistrats et les membres du greffe.

Les données d’identité des magistrats et des membres du greffe ne peuvent faire l’objet d’une réutilisation ayant pour objet ou pour effet d’évaluer, d’analyser, de comparer ou de prédire leurs pratiques professionnelles réelles ou supposées. »

S’agissant, du secret des affaires, la réforme renforce les principes destinés à le préserver, en introduisant deux nouvelles exceptions dès lors qu’il est en cause :
- à la règle de publicité des débats,
- au caractère public du prononcé des jugements.

Ces exceptions sont consacrées par une modification des articles 11-1 et 11-2 de la loi n° 72-626 du 5 juillet 1972 (non-codifiée), lesquels disposent désormais :

Article 11-1 :

« Les débats sont publics.

Sans préjudice de l’application des autres dispositions législatives, et sauf devant la Cour de cassation, ils ont toutefois lieu en chambre du conseil (…) : 4° Dans les matières mettant en cause le secret des affaires dans les conditions prévues au 3° de l’article L. 153-1 du Code de commerce ».

Et article 11-2 :

« Les jugements sont prononcés publiquement.

Sans préjudice de l’application des autres dispositions législatives, et sauf devant la Cour de Cassation, ils ne sont toutefois pas prononcés publiquement (…) : 4° Dans les matières mettant en cause le secret des affaires dans les conditions prévues au 3° de l’article L. 153-1 du code de commerce. »

Ces changements bienvenus prolongent ceux déjà posés par la loi du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires [2], qui avait déjà introduit un certain nombre de dispositions procédurales destinées à assurer son respect dès lors qu’il est en cause devant les juridictions judiciaires.

Me Baptiste Robelin - Avocat au Barreau de Paris NovLaw Avocats - www.novlaw.fr (English : www.novlaw.eu)

[2Loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires.

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