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Usage sérieux d’une marque : sur quelle partie des produits ou services doit porter la preuve ? Par Lamia El Fath, Avocat.
Parution : lundi 6 janvier 2020
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Dans ses conclusions du 19 décembre 2019, Mme l’avocate générale Sharpston a confirmé la jurisprudence du Tribunal de l’Union Européenne (Reckitt Benckiser (Espana/OHMI – Aladin (Aladin) et Mundipharma/OHMI-Altana Pharma (Respicur) ) quant à l’étendue matérielle de l’usage sérieux d’une marque à la base d’une procédure d’opposition.

S’ils considèrent qu’une marque porte atteinte à leurs droits antérieurs, les titulaires de marque, notamment, ont la possibilité de former opposition à l’enregistrement de cette nouvelle marque et ainsi, y faire obstacle.

Le déposant dispose alors d’un moyen de défense essentiel qui repose sur l’obligation d’usage sérieux incombant au titulaire de la marque antérieure.

A cet égard, l’article 42 paragraphe 2 du Règlement n°207/2009 (figurant désormais à l’article 47 du Règlement n°2017/1001) exige que, sur requête du demandeur, la personne qui forme opposition apporte la preuve de l’usage sérieux de la marque antérieure pour les produits et services pour lesquels elle est enregistrée et sur lesquels l’opposition est fondée ; et si la marque antérieure n’a été utilisée que pour une partie desdits produits ou services, l’opposition sera examinée uniquement sur la base de cette partie des produits ou services.

En l’occurrence, la société Taiga AB, sur la base de sa marque du même nom, a formé opposition à l’encontre de l’enregistrement de la marque Thiga de la société ACTC.
Au cours de la procédure, ACTC a demandé que Taiga AB prouve l’usage sérieux de sa marque Taiga, notamment pour les produits relevant de la classe 25 (Vêtements, vêtements de dessus, sous-vêtements, articles de chaussures, etc.).
TAIGA AB a donc apporté la preuve de son usage mais uniquement en relation avec des vêtements extérieurs de protection contre les intempéries.

La société ACTC a estimé que cette preuve était insuffisante. Selon elle, la preuve apportée par Taiga AB ne concernait qu’une partie seulement des produits de la classe 25 et, en conséquence, l’examen de la demande d’opposition devait être restreint à cette catégorie de vêtements.

Se fondant sur sa jurisprudence relative à l’étendue matérielle de l’usage sérieux, le Tribunal de l’Union Européenne en a jugé différemment. ACTC a alors formé un pourvoi devant la Cour de Justice de l’Union Européenne, à l’occasion duquel Mme l’avocate générale a rendu ses conclusions allant dans le sens de la décision des juges de première instance.

Mme l’avocate générale relève que l’interprétation de la notion de « partie des produits ou des services » issue de la jurisprudence du Tribunal de l’Union Européenne permet de garantir un juste équilibre entre le maintien des droits exclusifs attachés à la marque antérieure et la limitation de ces derniers, et confirme les principes et règles ainsi dégagés :

- Si les produits et services désignés par la marque antérieure sont libellés de façon suffisamment précise et circonscrite pour composer une catégorie homogène de produits ou de services, alors la preuve de l’usage sérieux d’une partie seulement de cette catégorie est suffisante pour démontrer l’usage sérieux de l’ensemble.

- Si les produits et services désignés par la marque antérieure sont libellés de façon large et composent donc une catégorie hétérogène de produits ou de services pouvant être décomposée en sous-catégories susceptible d’être considérées de manière autonome. Alors la preuve de l’usage sérieux d’une partie seulement de cette catégorie ne vaudra que pour la ou les sous-catégories dont relèvent les produits ou les services pour lesquels la marque a été effectivement utilisée.

- La détermination d’une catégorie homogène de produits et services doit se fonder sur leur finalité ou destination plutôt que sur leur nature ou leurs caractéristiques

Par ailleurs, Mme l’avocate générale apporte des éclaircissements quant à l’application de ces principes. En effet, elle ajoute d’une part que l’identification de sous-catégories susceptibles d’être envisagées de façon autonome doit être réalisée in concreto, à partir des produits sur lesquels porte la preuve de l’usage et par rapport à la catégorie de produits couverts par la marque. D’autre part, elle précise que les critères de finalité et destination n’ont pas pour vocation de créer artificiellement des sous-catégories autonomes et qu’ils doivent faire l’objet d’une application concrète et cohérente.

Dans la perspective d’une protection efficace et de long terme du signe déposé, une rédaction habile, ni trop large ni trop restreinte, des libellés de produits et services doit donc être pensée à l’aune de ces principes, construits pour préserver l’esprit du droit des marques et assurer que celles-ci continuent à servir leur fonction essentielle.

Lamia EL FATH, Avocat