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Comment céder son fonds de commerce ? les étapes clés de la cession d’entreprise. Par Baptiste Robelin, Avocat.
Parution : lundi 13 janvier 2020
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La vente du fonds de commerce est une opération plus complexe qu’il n’y paraît. La matière vient d’ailleurs de subir une récente modification avec la loi du 19 juillet 2019 , qui a assoupli quelque peu les modalités de vente d’un fonds de commerce, en faisant disparaître l’exigence des mentions obligatoires anciennement prévues par l’article L141-1 du Code de commerce.

Cette actualité est l’occasion de revenir sur ce processus de cession et ses différentes étapes clés. Les cédants et acquéreurs trouveront dans cet article de précieux conseils sur les réflexes à avoir et les pièges à éviter à toutes les étapes de la vente : négociation, rédaction des actes, et formalités liées à la cession.

I. La négociation préalable à la vente de son fonds de commerce.

Comme pour toute cession d’entreprise, la cession de fonds de commerce est souvent précédée d’une période importante de négociations. Ce que les parties vont négocier constitue le cœur de la cession : le prix et la chose cédée, c’est-à-dire les différents éléments constituant le fonds et leur valorisation. Outre l’estimation économique du fonds (A), il conviendra de vérifier un certain nombre de points juridiques essentiels, en particulier s’agissant du bail commercial (B).

A. L’évaluation de la valeur du fonds de commerce.

Il existe plusieurs méthodes de valorisation financière du fonds de commerce, dont deux reviennent plus régulièrement : la méthode dite des barèmes, qui est retenue le plus souvent par l’Administration fiscale, et celle des critères de rentabilité, utilisée essentiellement par les banques.

La méthode des barèmes va consister à retenir un coefficient multiplicateur (variable selon le secteur d’activité), appliqué au chiffre d’affaires du fonds (en général HT). Le barème le plus connu est celui édité dans le Mémento pratique Evaluation des Editions Francis Lefebvre. Si elle a le mérite de la simplicité, cette approche n’est pas la plus satisfaisante, car elle ne reflète pas la rentabilité de l’affaire, et ne tient pas compte des caractéristiques du fonds (emplacement, notoriété de l’enseigne...).

L’autre méthode, celle le plus souvent utilisée par les banques, consiste à appliquer un coefficient à la moyenne des EBE (excédent brut d’exploitation) ou des résultats nets des derniers exercices. On va ici s’intéresser davantage à la rentabilité du fonds (et donc à la capacité de remboursement de l’entreprise, notamment si l’acquisition est financée par emprunt).

Outre ces deux méthodes d’évaluation du fonds de commerce, on peut citer encore :
- la méthode par comparaison, qui va consister à valoriser le fonds de commerce en le comparant aux prix d’affaires similaires à vendre à proximité et à des cessions récentes ;
- la méthode de la correction par actif net, qui va consister à valoriser l’entreprise sur la base de la valeur réelle de son patrimoine (licence, machines, stock, créances…), minoré de la valeur réelle de ses dettes.

Dans tous les cas, il est conseillé d’utiliser plusieurs de ces méthodes, afin de pouvoir les analyser et comparer leurs résultats pour retenir un chiffre moyen. On se reportera utilement sur ce point aux conseils édités par la CCI sur l’évaluation d’entreprise [1].

Mais ce n’est pas tout. Il va falloir ensuite pondérer ce chiffre en retenant un certain nombre de critères. Car le fonds de commerce n’est pas entreprise comme une autre, il est également tributaire de ce que l’on appelle sa zone de chalandise, c’est à dire la zone d’attractivité du point de vente, la zone géographique d’où proviennent la majorité des clients.

L’emplacement du fonds va dès lors constituer un critère de pondération essentiel s’agissant du prix (dans quel quartier le commerce est-il situé ? Quelle est l’attractivité de l’emplacement ? Son devenir ? Quelle est la politique locale de développement ? Etc.).

D’autres critères peuvent également pondérer la valeur du fonds : l’état des équipements (des travaux sont-ils à prévoir ?), la conformité des lieux aux normes applicables, par exemple pour l’accueil des personnes handicapées [2], la nécessité ou non de revoir ou d’installer des systèmes d’extraction dans la cuisine, les éventuelles autorisations qu’il faudra alors demander, l’existence ou non d’une licence pour la vente d’alcool, d’un droit de terrasse, etc.

B. L’évaluation et l’analyse du bail commercial.

Autre élément clé du fonds de commerce auquel il faudra porter une attention toute particulière : le bail commercial.

L’évaluation financière du bail commercial dépend en grande partie du montant du loyer. La règle est simple : plus le loyer est élevé, plus la valeur commerciale du bail est minorée. Inversement, plus le loyer est faible, plus la valeur commerciale du bail est augmentée. On accordera donc une attention particulière au montant du loyer, en le comparant avec les loyers habituels pour des fonds similaires sur le même secteur, afin d’apprécier si son montant correspond à la valeur du marché, s’il est surévalué ou inversement, sous-évalué. Ceci constituera un élément de négociation déterminant.

On portera également une attention particulière au montant des charges, en s’assurant que leur répartition ne méconnaît pas les dispositions d’ordre public applicables, notamment celles issues de la loi Pinel, en vérifiant qu’il n’existe pas de risques de charges exorbitantes à venir.

La durée du bail commercial doit également être analysée avec attention : en effet, la loi autorise le bailleur à procéder à une modification du loyer lors du renouvellement, une fois le bail arrivé à son terme. Le locataire peut dès lors se voir exposer à un risque de déplafonnement du loyer, voire pire, au refus du bailleur de renouveler le bail selon les cas. C’est pourquoi l’acquéreur devra impérativement vérifier la durée du bail restant à courir avant la reprise du fonds, et s’assurer que toutes les conditions du droit au renouvellement sont remplies, afin de ne pas risquer d’être évincé par le propriétaire, sans indemnité.

Les conseils d’un professionnel sont vivement recommandés pour effectuer cette analyse juridique et économique des clauses du bail commercial préalablement à l’acquisition du fonds.

II. La rédaction des actes : la promesse ou le compromis de vente, suivi de l’acte définitif.

Après s’être mis d’accord entre elles sur le prix et l’objet de la vente, les parties vont devoir formaliser leur accord, en principe à travers deux actes successifs : la promesse (ou compromis) de vente, puis, si tout se passe comme prévu, l’acte définitif de vente. Là encore, une attention particulière doit être portée à certains éléments essentiels.

A. La rédaction de la promesse de vente.

Au stade de la promesse, une attention particulière devra notamment être portée aux clauses suspensives conditionnant l’acquisition.

a. Purger le droit de préemption des communes.

On veillera d’abord à conditionner la cession à la purge des éventuels droits de préemption applicables. On pense notamment au droit de préemption que la commune peut exercer pour toute cession de fonds de commerce ou de baux commerciaux intervenant dans le périmètre de sauvegarde du commerce de proximité, conformément aux articles L214-1 et suivants du Code de l’urbanisme.

Si tel est le cas, avant de vendre son fonds, le cédant devra en faire la déclaration préalable à la commune, qui disposera alors d’un délai de 2 mois pour l’exercice éventuel de son droit de préemption, le silence équivalant à une renonciation.
Cette déclaration préalable est obligatoire sous peine de nullité de la vente prescrite au bout de 5 ans. Il est donc essentiel pour les parties de conditionner l’acte de vente à la purge de cette prérogative, afin de ne pas risquer l’annulation de l’acte.

b. S’acquitter des obligations légales d’information auprès des salariés.

De la même manière, s’il existe des salariés, les parties devront conditionner la vente à leur information préalable par le cédant, conformément aux articles L141-23 et suivants du Code de commerce.

Cette obligation d’information préalable s’applique pour toutes les entreprises de moins de 249 salariés. En cas de manquement à cette obligation d’information, une action en responsabilité peut être engagée, la juridiction saisie pouvant, à la demande du ministère public, prononcer une amende civile dont le montant peut atteindre 2% du montant de la vente. Il conviendra donc là encore pour les parties, de veiller à ce que le cédant se soit correctement acquitté de cette obligation d’information, en l’indiquant dans la promesse.

c. Encadrer les clauses liées au financement.

Autres clauses essentielles de la promesse, celles liées au financement de l’acquisition par l’acquéreur. En effet, dans la majorité des cas, l’acquéreur souhaitera financer son acquisition moyennant l’obtention d’un crédit bancaire. Il existe alors un risque pour le cédant de voir l’opération échouer si l’acquéreur n’obtenait pas son crédit.
Il est donc indispensable de bien encadrer cette clause afin d’éviter que l’acquéreur ne puisse la détourner pour tenter de renoncer ultérieurement à l’acquisition, en prétendant ne pas avoir obtenu le concours financier nécessaire. On indiquera donc précisément dans la promesse les critères essentiels du crédit souhaité : le montant emprunté, le taux et la durée. Et on obligera l’acquéreur à solliciter un crédit auprès de plusieurs établissements bancaires (en général trois au minimum) pour maximiser les chances d’obtention du financement.

d. Le versement éventuel d’une indemnité d’immobilisation.

Enfin, dernière clause à laquelle on attachera une attention particulière au stade de la promesse : l’éventuelle indemnité d’immobilisation versée par l’acquéreur pour réserver le bien le temps nécessaire à l’exécution des conditions suspensives.

Il s’agit en général d’un montant représentant 10% du prix de vente qui sera payé par l’acquéreur au vendeur, afin de l’indemniser le temps de l’immobilisation du bien. Pour sécuriser au maximum le dépôt de cette somme et éviter tous risques de litiges ultérieurs, on indiquera bien dans la promesse les conditions dans lesquelles cette indemnité devrait être restituée à l’acquéreur si la vente n’aboutissait pas, ou au contraire, conservée par le vendeur. Le plus prudent est de déposer cette somme en séquestre (par exemple sur le compte Carpa d’un avocat).

B. Rédaction de l’acte définitif de vente.

Au stade de l’acte définitif de vente, on apportera une attention toute particulière aux clauses essentielles du contrat de vente : le prix et la chose vendue (c’est-à-dire la description des éléments objets de la cession).

a. Le prix et les modalités de paiement.

La vente du fonds de commerce porte, par essence, sur un ensemble de biens (appelé juridiquement une universalité), aussi bien corporels (matériels, outils…) qu’incorporels (clientèle, enseigne, droit au bail…). Toutefois, il est possible dans la définition du prix de préciser la fraction portant sur les éléments corporels, et celle sur les éléments incorporels.

De même, habituellement, les stocks de marchandises ne sont pas cédés dans le cadre de la cession du fonds, et font l’objet d’une facturation distincte (soumise à TVA), avec évaluation au jour de la vente. On précisera ces différents points dans l’acte de vente, et si possible dès le stade de la promesse afin d’éviter des discussions inutiles au stade de l’acte définitif.

Outre le montant du prix, on s’attachera aux clauses liées aux modalités de paiement : le fonds fait-il l’objet d’un paiement au comptant ou échelonné ? Les parties ont-elles mis en place un mécanisme de crédit-vendeur ? Etc.

D’autres clauses peuvent encore venir enrichir le contrat, telles que notamment les clauses de garantie de chiffre d’affaires ou encore clauses de compléments de prix (earn out).

b. La reprise éventuelle des contrats liés au fonds.

La reprise des contrats est également un point fondamental de l’opération de cession de fonds de commerce. Le fonds est-il lié à un contrat de franchise ? Auquel cas, il faudra prévoir sa reprise ou au contraire résiliation.

Le cédant est-il lié par des contrats de distributions ? Quel sera leur sort ? Résiliation ou reprise par le cessionnaire ? Le fonds est-il tributaire d’autorisations spécifiques (comme une licence IV ou un droit de terrasse pour un restaurant) ? Là encore, on veillera à régler leur sort au moment de la cession : reprise ou non.

On appellera l’attention des repreneurs sur un dernier point essentiel, la reprise des contrats de travail. Cette reprise est automatique dans le cadre d’une cession de fonds de commerce, et d’ordre public, conformément à l’article L1224-1 du Code du travail. Il conviendra donc pour l’acquéreur d’anticiper cette reprise, et l’ensemble de ses conséquences économiques (gestion de la masse salariale) mais également juridiques (vérifier les conventions collectives applicables, anticiper les droits acquis des salariés, etc).

c. Dernier conseil : anticiper au maximum l’ensemble de ces questions.

Si l’ensemble de ces questions doit être parfaitement réglé dans l’acte définitif de vente (prix, modalités de paiement, sort des contrats en cours, etc.) il est en réalité préférable de les aborder le plus tôt possible, de préférence dès la promesse de vente, pour éviter toute discussion ultérieure.

C’est ce qui est recommandé en pratique : rédiger une promesse de vente la plus précise et complète possible, en sorte que l’acte définitif de vente ne soit plus qu’une reprise de l’ensemble des éléments d’ores et déjà arrêtés au stade de la promesse, après constatation de la réalisation des conditions suspensives.

III. Les formalités postérieurs à la cession.

C’est la dernière étape de la cession d’un fonds de commerce. Là encore, les formalités sont nombreuses et piégeuses. Elles diffèrent notamment selon la partie en cause, cessionnaire ou cédant.

A. Distinction des formalités côté acquéreur et cédant.

Côté acquéreur, il conviendra d’abord d’enregistrer la cession et de payer les droits d’enregistrement, dans le délai d’un mois qui court à partir de la date de l’acte de cession, ou de la date d’entrée en possession du fonds, si celle-ci est antérieure à la date de l’acte.

Les montants des droits d’enregistrement sont les suivant : exonération jusqu’à 23.000 euros, 3% sur la tranche de 23.000 à 200.000 euros, puis 5% au-delà de 200.000 euros. On se reportera utilement au site public d’informations de l’Administration fiscale pour plus de précisions sur le calcul des droits d’enregistrement lors d’une mutation de fonds de commerce : [3]

De son côté, le cédant devra clôturer ses comptes, procéder aux déclarations fiscales afférentes, et veiller, s’il arrête son activité, à demander sa radiation auprès du Centre de Formalités des Entreprises (CFE). Là encore, on peut trouver de précieuses informations pratiques sur le site public de l’Administration, notamment pour découvrir le CFE applicable à son activité [4].

B. Les publications liées à la vente.

La cession doit également faire l’objet d’un certain nombre de publicités destinées à informer les tiers et garantir les droits des créanciers.
Elle doit ainsi être publiée dans un journal d’annonces légales, à la diligence de l’acquéreur, dans les 15 jours de l’acte de la cession.
L’acquéreur doit également se rapprocher du greffe du tribunal de commerce, dans un délai de 3 jours, afin que celui-ci procède à la publication d’un avis au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciale [5].

Cette publication fait courir un délai de dix jours pendant lequel les créanciers peuvent faire opposition.

C. La durée de la solidarité fiscale et la nécessité de séquestrer le prix.

La loi dispose également d’un principe de solidarité fiscale entre l’acquéreur et le cédant, portant sur certains impôts directs (impôt sur les bénéfices et taxe d’apprentissage) pendant un délai déterminé.

La durée de la solidarité fiscale de l’acquéreur avec le vendeur du fonds de commerce est en l’occurrence de 90 jours et peut être réduite à 30 jours lorsque toutes les conditions suivantes sont remplies :
- l’avis de cession du fonds de commerce a été adressé à l’administration fiscale dans les 45 jours suivant la publication de la vente au journal d’annonces légales ;
- la déclaration des résultats a été déposée dans les 60 jours suivant la publication de la vente au journal d’annonces légales ;
- au dernier jour du mois qui précède la vente, le vendeur est à jour de ses obligations fiscales déclaratives et de paiement.

C’est pourquoi, afin que l’acquéreur ne prenne aucun risque dans le cadre de l’achat d’un fonds de commerce, il est préférable que le prix de vente ne soit pas immédiatement reversé au vendeur.

Pour cela, un séquestre du prix de vente est opéré par un intermédiaire de façon à pouvoir le verser à l’administration fiscale si le comptable chargé du recouvrement en fait la demande. Le plus souvent, cette mission est confiée à un avocat ou un notaire. Le séquestre est également utile afin de garantir le paiement des autres créanciers, qui peuvent également se retourner contre l’acquéreur si le vendeur est insolvable.
La durée de blocage des fonds et les modalités de la mission du séquestre doivent être précisées dans le contrat de cession.

Conclusion.

On le voit, la cession de fonds de commerce est une opération complexe, nécessitant des compétences à la fois financières, juridiques et fiscales, une parfaite maîtrise de l’ingénieure contractuelle pour la rédaction des actes, et une bonne connaissance des formalités légales liées à la vente.

C’est pourquoi on ne saurait que trop recommander aux parties prenantes à la cession de s’entourer de professionnels aguerris [6].

Me Baptiste Robelin - Avocat au Barreau de Paris NovLaw Avocats - www.novlaw.fr (English : www.novlaw.eu)

[2Voir sur ce point les apports de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances

[5BODACC – pour plus de précisions, accès direct : https://www.bodacc.fr.

[6Pour aller plus loin sur ce point et retrouver d’autre conseils, vous pouvez également consulter notre autre article : Cession de fonds de commerce : les clés pour bien négocier https://www.captaincontrat.com/arti....

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