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Copropriété : le nouvel article 55 du décret de 1967 est arrivé. Par Laurent Gay, Avocat.
Parution : mercredi 8 janvier 2020
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« Mandatez, Mandatez, il en restera toujours quelque chose ! »
Il est parfois des forêts qui cachent un arbre, des réformes d’ampleur qui éludent une modification, en apparence minime. Et pourtant.
Le 27 juin 2019, le pouvoir réglementaire adoptait un décret portant diverses mesures relatives au fonctionnement des copropriétés et à l’accès des huissiers de justice aux parties communes d’immeubles.

Ce texte précise les conditions dans lesquelles les copropriétaires peuvent participer aux assemblées générales par communication électronique telle que visioconférence. Il évoque également les conditions d’accès des copropriétaires et des membres du conseil syndical à l’espace en ligne sécurisé mis à disposition par le syndic professionnel. Il apporte des précisions concernant la dématérialisation des échanges au sein de la copropriété, en permettant, sous réserve de l’accord exprès du destinataire, l’envoi d’appels de fonds par courrier électronique ou encore la notification des documents annexés à la convocation à l’assemblée générale par mise à disposition dans l’espace en ligne sécurisé. (Etc.)

Ce décret était pris en application notamment de l’article 211 de la loi ELAN du 23 novembre 2018, article inséré dans un chapitre V intitulé sobrement : « Améliorer le droit des copropriétés », au sein d’un Titre IV dénommé non moins sobrement : « Améliorer le cadre de vie ». Tout un programme…

Et ce programme passait apparemment aussi, pour les rédacteurs du décret du 27 juin 2019, par l’ajout d’un alinéa à l’article 55 du décret de 1967 sur la copropriété, un simple petit alinéa qui ne paraît rien, et qui est pourtant beaucoup. Pour rappel, l’alinéa 1er du texte dispose que le syndic ne peut agir en justice au nom du syndicat sans y avoir été autorisé par une décision de l’assemblée générale (sauf exceptions visées au désormais 3ème alinéa). C’est ce qu’il est convenu d’appeler l’habilitation du syndic à ester en justice, pour le compte du syndicat des copropriétaires.

Et dorénavant, donc : « Seuls les copropriétaires peuvent se prévaloir de l’absence d’autorisation du syndic à agir en justice. »

De prime abord, il est difficile d’imaginer le nombre de jurisprudences qui ont pu être rendues sur la base de l’ancien texte, lorsque les constructeurs, assureurs, voisins, précédents syndics, bref, tout ceux qui se voyaient assignés, pouvaient encore invoquer la nullité de fond de l’assignation pour défaut d’habilitation valable donnée au syndic par l’AG des copropriétaires (« Le défaut de pouvoir d’une personne assurant la représentation d’une partie en justice » – art. 117 du Code de procédure civile). Car c’est bien de cela qu’il s’agissait, à savoir la possibilité donnée aux tiers de venir contrôler et faire sanctionner le défaut d’information donnée aux copropriétaires, ou le non-respect de leur mandat par le syndic. Quels documents éclairants auraient dû être communiqués avec la convocation à l’AG ? Quelles précisions auraient dû être données dans la résolution sur les parties à assigner ? sur les demandes présentées ? les fondements juridiques ? la possibilité de faire appel ? etc.

A priori mineure, cette modification du texte enlève en réalité tout intérêt à ces nombreuses jurisprudences, qui deviennent sans objet. Enfin, en apparence seulement, puisqu’elle ne supprime pas le recours sur ce fondement : elle en limite seulement les auteurs possibles. Désormais, la seule personne qui pourra se prévaloir d’un défaut, ou plus précisément de « l’absence » de l’habilitation du syndic sera un copropriétaire. En quelque sorte, la nullité n’est plus absolue mais relative ; elle ne vise que la protection des intérêts particuliers des membres de la copropriété. Ce sont eux qui savent le mieux s’ils souhaitaient vraiment engager l’action en justice que le syndic mène pour leur compte, peu importe si la forme de l’habilitation n’est pas parfaite. Cela procède d’une certaine logique et évitera surtout la mise à néant de procédures, pourtant souhaitées par les copropriétaires, sous prétexte d’irrégularités, il faut bien le dire, parfois assez ridicules.

Mais comme souvent, si cette réforme ferme certaines portes de contentieux, elle en ouvre immédiatement d’autres. Par exemple, comment, concrètement, un copropriétaire pourra-t-il « se prévaloir de l’absence d’autorisation du syndic à agir en justice » s’il n’est pas partie au procès ? (ce qui sera en pratique très souvent le cas). Faudra-t-il qu’il intervienne volontairement pour solliciter la nullité de l’assignation ? De même, un copropriétaire qui n’a pas attaqué l’Assemblée Générale ayant donné mandat au syndic d’agir en justice, ou pire, qui aura voté pour cette résolution, conserve-t-il la possibilité de « se prévaloir » d’un défaut d’information qui viendrait vicier ledit mandat ?

On le voit, quoi qu’il en soit, puisqu’un recours reste possible, l’habilitation est toujours nécessaire. D’ailleurs, l’alinéa 1er de l’article 55 n’a pas disparu et le principe de la nécessité de cette autorisation d’agir en justice reste donc inchangé. En conclusion, Mesdames Messieurs les Syndics, veillez toujours scrupuleusement à vous faire correctement mandater avant d’engager un procès !

Laurent Gay, Avocat au Barreau de Marseille