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Droit et Psychologie : le cas des quérulents processifs. Par Gildas Neger, Docteur en droit.
Parution : mercredi 8 janvier 2020
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Pour celles et ceux qui s’intéressent à l’imbrication entre le droit et la psychologie, la question fondamentale est de savoir comment appréhender certaines demandes qui pourraient apparaître, a priori, dénuées de bon sens. Voire fantasques. Les avocats sont souvent confrontés à ce genre de questionnement. Les juges ne sont pas en reste...
La judiciarisation de la société a pour conséquence directe la subjectivisation. Donc la procédurisation. Situation qui offre aux quérulents processifs un boulevard élargi d’actions sur lequel ils avancent en qualité autoproclamée de Défenseurs, de Protecteurs, de Combattants...

Définitions

La notion de quérulence vient du latin querulus signifiant « qui se plaint » (de queror « se plaindre »).
Le mot allemand querulantenirrsein se traduit pour sa part comme étant la « manie des querelles, des procès » [1].

Les psychologues considèrent qu’il s’agit d’une tendance pathologique à la revendication, c’est un délire de revendication.

Observée chez des sujets de type paranoïaque ou hypocondriaque et revêtant quelquefois une forme processive cette tendance pathologique est, pour le psychiatre Antoine Porot [2], « une réaction hostile et revendicatrice de certains sujets qui se croient lésés et considèrent qu’il y a sous-estimation dans l’appréciation du préjudice causé ; de ce fait, ils passent facilement de la plainte à l’attaque, soit directement, soit en justice ».

Quérulence processive = mythe ?

Il apparaît extrêmement difficile, voire impossible, de décider qu’un individu très procédurier doive (puisse ?) être qualifiée de quérulent processif. Cela reviendrait en effet à le catégoriser. Et l’on connait trop bien les effets pervers de la dictature des cases. D’autant et de surplus que les psychiatres tiennent pour acquis que les « délires de quérulence » se développent exclusivement sur la base de faits réels.

S’il est avéré que ces derniers sont certes appréciés avec une importance démesurée, mais contenant néanmoins ce que Sigmund Freud qualifie de « noyau de vérité », il apparait dès lors impératif d’y regarder à deux fois avant de qualifier d’extravagant celui dont la plainte s’appuie sur un motif, fût-il futile a priori, mais juridiquement recevable.

L’article 1240 du Code civil constitue, en ce sens, une véritable boite de Pandore.

Un procédurier maladif.

Un quérulent processif est donc une personne très procédurière, chicaneuse, qui est amenée à initier des procédures sur la base d’un dommage effectif mais qui à propension à amplifier démesurément son préjudice [3]

Ainsi on va le retrouver dans les prétoires à exercer des recours en justice contre ceux qu’il considère comme faisant partie du mécanisme à l’origine du préjudice qu’il estime avoir subi.

C’est ainsi que même les acteurs du monde judiciaire (avocats, magistrats…) ne sont pas à l’abri des revendications du quérulent processif.

Pour Antoine Porot « la quérulence est une réaction hostile et revendicatrice de certains sujets qui se croient lésés et considèrent qu’il y a sous-estimation dans l’appréciation du préjudice causé ; de ce fait, ils passent facilement de la plainte à l’attaque, soit directement, soit en justice ».

En ce sens, le quérulent processif peut parfois user de violence, notamment lorsqu’il n’est pas donné suite à sa plainte.

La réponse de la justice.

Dans la mesure ou la quérulence peut être un obstacle à la bonne marche de la Justice, certains pays comme l’Angleterre, le Canada et l’Australie refusent les recours des plaideurs déclaré quérulents s’ils n’ont pas obtenu, préalablement, l’autorisation d’un juge désigné à cette fin.

Ainsi par exemple au Canada, il existe un Registre public des personnes déclarées quérulentes de la Cour du Québec. Toute personne faisant l’objet d’une mise en demeure peut vérifier, en saisissant par exemple les coordonnées du requérant, personne physique ou morale, si la personne à l’origine du recours a fait l’objet, ou non, d’une ordonnance d’assujettissement la déclarant plaideur quérulent. Le contenu de l’ordonnance (qui peut avoir été prononcée, entre autres, à la suite de nombreux recours judiciaires injustifiés) est également public.

S’agissant de la France où le droit d’agir en justice est un principe fondamental, il est difficile de se défendre contre un quérulent processif sauf à considérer l’abus dans l’exercice de ce droit qui peut être sanctionné.

En effet, l’article 32-1 du Code de procédure civile dispose que « celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10.000 €, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés ».

L’article 559 du même Code ajoute, à propos de la procédure en appel, qu’« en cas d’appel principal dilatoire ou abusif, l’appelant peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10.000 €, sans préjudice des dommages-intérêts qui lui seraient réclamés ». Ces dommages-intérêts sont alors accordés sur le fondement de l’article 1240 du Code civil.

On notera au passage que le montant de l’amende est passé, pour ces deux articles, de 3.000 € à 10.000 € suite au décret n°2017-892 du 6 mai 2017. Une certaine volonté de désengorger les tribunaux…

Entre tribunaux et asiles.

En décembre 2011, un dénommé Langevin a déposé à la Cour supérieure du Québec une requête visant à devenir propriétaire de la Terre, de Mercure, de Vénus, de Jupiter, de Saturne, d’Uranus, ainsi que des quatre lunes de Jupiter…

Il estimait que dans la mesure ou les Chinois avaient l’intention d’envoyer des stations orbitales dans l’espace, il n’était pas concevable qu’une autre ville chinoise exista dans l’espace, au-dessus de lui.

Sa requête a bien entendu été rejetée mais de surplus le sieur Langevin a été déclaré « plaideur quérulent ».

Je vous invite à prendre connaissance de la requête du sieur Sylvio Langevin ainsi que du jugement de l’honorable Président Alain Michaud [4].

Bon moment de détente en perspective... :-)

Ce cas d’école démontre à l’évidence combien il apparait indispensable d’élargir le champ des interactions entre le psychologue et le juriste en y incluant (au-delà du droit pénal qui se réfère aux experts judiciaires de manière ad hoc) tous les droits.

De la subjectivation des droits.

Emmanuelle Jaulneau explique dans sa thèse que « la subjectivisation, entendue comme le phénomène inflationniste des droits subjectifs, est considérée comme facteur de la crise des droits (La subjectivisation du droit, thèse de doctorat, 2007, Orléans).

Or force est de constater, à l’instar de Philippe Raimbault reprenant la thèse de Norbert Foulquier, l’effectivité du mouvement accru de subjectivation du droit. Si l’auteur effectue sa démonstration pour le droit public uniquement, l’ensemble des droits sont touchés par ce phénomène [5].

Dès lors, l’introduction de considérations psychologiques dans des questions juridiques, et alors même qu’elle aurait pour effet de subjectiviser le droit, pourrait amener à des situations dépendantes de circonstances particulières.

La notion de « bon père de famille » servant traditionnellement à l’appréciation in abstracto ayant malheureusement disparue du Code civil, la notion de normalité n’existe plus. Ne reste que l’appréciation in concreto pour permettre aux juges, hors les considérations d’ordre public, d’apprécier les circonstances de la cause.

Ainsi donc les quérulents ont encore de beaux jours devant eux.

Tous des fous ?

D’autant, comme le précise Benjamin Levy, que s’ils n’obtiennent pas satisfaction ils se changent alors en « défenseurs des valeurs civiques et morales, en protecteurs des droits des opprimés, en combattants universels pour la cause de la Justice et de la Liberté (…) le droit représente pour les quérulents, une instance tierce chargée de réinstaurer l’équilibre du monde. Il peut être d’une extrême importance, pour ces sujets en grande souffrance, que l’institution juridictionnelle n’ignore pas leurs appels et tienne compte de la singularité de leur position » [6].

Ils se transforment alors en Philocléon, dont Aristophane nous dit qu’il a « manie des procès » avec l’incoercible désir de juger... [7].

Entre les quérulents processifs et les nouveaux Philocléon, « défenseurs » des valeurs civiques et morales, « protecteurs » des droits des opprimés, « combattants » universels pour la cause de la Justice et de la Liberté… le psychiatre reconnaîtra les siens…

Gildas Neger Docteur en Droit Public

[1Richard Freiherr von Krafft-Ebing psychiatre germano-autrichien, in Lehrbuch der Psychiatrie, t. 2, p. 87, 1879

[2Source biographique Wikipedia.

[3Pour en savoir plus ici.

[4Pour en savoir plus ici.

[5Philippe Raimbault, Quelle signification pour le mouvement de subjectivation du droit public ? in La démocratie, entre multiplication des droits et contre-pouvoirs sociaux, 2012, pages 97 à 114

[6Benjamin Lévy, La psychologie juridique : pourquoi faire travailler ensemble psychologues, juristes et magistrats ?

[7Aristophane, Les Guêpes, trad. George-G. Toulouze, Talandier, Paris, 1945

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