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Conflits de voisinage : au 1er janvier 2020, il faudra concilier ou médier avant de saisir le Tribunal judiciaire. Par Christophe M. Courtau, Juriste.
Parution : jeudi 9 janvier 2020
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2020 arrive avec sa cohorte de réformes et le Service public de la justice n’y échappe pas, 2 textes importants modifiant l’organisation des juridictions judiciaires et la procédure civile : La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice [1] et loi organique n° 2019-221 du 23 mars 2019 [2] relative au renforcement de l’organisation des juridictions avec des mesures « phare » comme la fusion des TGI et TI en tribunaux judiciaires, le développement des modes de règlement amiable des différends notamment en matière de conflits de voisinage et des litiges du quotidien, l’extension de la représentation obligatoire de l’avocat, la suppression de la tentative de conciliation obligatoire en matière de divorce.

Le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile [3] précise les cas dans lesquels le demandeur devra justifier, avant de saisir le tribunal judiciaire, d’une tentative de conciliation, de médiation ou de procédure participative, à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office. Quel est le domaine de cette obligation préalable de règlement amiable (§1) et sa portée mais aussi ses limites (§2) ?

§1. Les cas de recours obligatoire aux modes de résolution amiable des différends préalablement à la saisine du tribunal judiciaire : conflits de voisinage et litiges d’un montant n’excédant pas 5.000 €.

L’article 3 II de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 modifie l’article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle comme suit :
« Art. 4.-Lorsque la demande tend au paiement d’une somme n’excédant pas un certain montant ou est relative à un conflit de voisinage, la saisine du tribunal de grande instance (NDLR au 1er janvier 2020 le Tribunal judiciaire) doit, à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, être précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation, telle que définie à l’article 21 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, ou d’une tentative de procédure participative, sauf :
« 1° Si l’une des parties au moins sollicite l’homologation d’un accord ;
« 2° Lorsque l’exercice d’un recours préalable est imposé auprès de l’auteur de la décision ;
« 3° Si l’absence de recours à l’un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime, notamment l’indisponibilité de conciliateurs de justice dans un délai raisonnable ;
« 4° Si le juge ou l’autorité administrative doit, en application d’une disposition particulière, procéder à une tentative préalable de conciliation.
 ».

La modification de cet article 4 retire au conciliateur de justice son monopole accordé depuis 2016, de tenter une conciliation obligatoire préalable pour tout litige n’excédant pas 4.000 € (taux de ressort applicable avant le 1er janvier 2020), le justiciable ayant désormais le choix entre la conciliation conduite par un conciliateur, une médiation par un médiateur (avocat, notaire, huissier renommé commissaire de justice ou non) ou une procédure participative mise en œuvre par un avocat ; Quel critère de choix pour le justiciable ? Essentiellement le coût de l’intervention du professionnel, l’accès gratuit au conciliateur par opposition à l’accès payant à la médiation ou à la procédure participative.

Le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 vient préciser quels sont les litiges soumis à cette obligation préalable de règlement amiable : litiges d’un montant n’excédant pas 5.000 € et les conflits de voisinage c’est-à-dire ceux relatifs aux fonds dont les parties en litige sont propriétaires et qui relèvent jusqu’au 1er janvier 2020, de la compétence du tribunal d’instance (COJ, art. R. 221-12 et R. 221-16) savoir : l’action en bornage ; les actions relatives à la distance prescrite par la loi, les règlements particuliers et l’usage des lieux pour les plantations ou l’élagage d’arbres ou de haies ; les actions relatives aux constructions et travaux mentionnés à l’article 674 [4] du Code civil ; les actions relatives au curage des fossés et canaux servant à l’irrigation des propriétés ou au mouvement des usines et moulins ; les contestations relatives à l’établissement et à l’exercice des servitudes instituées par les articles L. 152-14 à L. 152-23 du Code rural et de la pêche maritime, 640 et 641 du Code civil ainsi qu’aux indemnités dues à raison de ces servitudes ; les contestations relatives aux servitudes établies au profit des associations syndicales prévues par l’ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires.

§2 Portée et limites de l’obligation préalable de règlement amiable pour les litiges du quotidien.

Inciter puis aujourd’hui obliger pour certains litiges, à recourir à une tentative de règlement amiable pour les litiges du quotidien, part de l’idée « qu’accord vaut mieux que plaid » mais aussi d’un constat « d’engorgement » des juridictions par un contentieux de masse, l’obligation préalable de concilier ou de médier constituant l’un des moyens de le réduire à moindre coût pour le budget de l’État.
Néanmoins, obliger de tenter de concilier ou de médier plutôt qu’y inciter, est contraire à la nature même de tout mode amiable, c’est-à-dire son caractère libre et volontaire et soulève plusieurs interrogations :

Une surcharge de travail pour les conciliateurs de justice « bénévoles de bonne volonté » :

leur accès gratuit va sans doute inciter les justiciables à choisir la conciliation avec des délais d’attente accrus ; Le nouvel article 4 précité a d’ailleurs tenté de prévenir ce risque en prévoyant une dispense de cette obligation en cas de motif légitime, notamment l’indisponibilité du conciliateur de justice dans un délai raisonnable. Le décret du 11 décembre 2019 modifiant l’article 751-1 du CPC n’apporte que peu de précision de cette notion d’indisponibilité du conciliateur dans un délai raisonnable : « … une indisponibilité entraînant l’organisation de la première réunion de conciliation dans un délai manifestement excessif au regard de la nature et des enjeux du litige ».
Ces dispositions restent dans le flou avec le recours aux termes de « délai manifestement excessif », « de nature et enjeux du litige » qui devront être précisés par les juges du fond.
Enfin, aucune contrepartie n’a été accordée aux conciliateurs restant soumis à un statut réglementaire pour l’essentiel inchangé depuis 1978, alors que leur mission a considérablement évolué ainsi que les exigences de l’engagement citoyen, notamment celui des salariés si peu nombreux à exercer cette fonction, au service de l’État et en l’espèce de la justice.

La notion de « petits litiges » soumis à l’obligation de règlement amiable : confusion entre leur faible montant, la difficulté juridique soulevée et leur aspect relationnel :

Les conflits de voisinage et les litiges n’excédant pas 5.000 € « se prêtent particulièrement à un rapprochement amiable des positions des parties » selon les observations du gouvernement sur la loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice, reçues au greffe du Conseil constitutionnel le 14 mars 2019 [5].
Sauf que d’une part, leur forte dimension relationnelle, passionnelle et parfois pathologique, notamment pour les litiges de voisinage, rend difficile voire impossible la mise en place d’un dialogue constructif entre les parties à l’aide d’un tiers neutre, le mis en cause y voyant souvent, une immixtion dans sa vie privée, familiale et sa liberté.
Et d’autre part, un litige d’un montant modeste, peut néanmoins soulever une question de droit complexe et il n’est pas certain que chacune des parties, notamment dans le cas d’un litige opposant un professionnel à un particulier, ce dernier ne se voit pas imposer les termes d’un accord qui lui seront défavorables, le conciliateur n’ayant pas toujours la compétence juridique suffisante.

Enfin sur la formation, certification ou agrément du tiers intervenant : une formation et moyens suffisants notamment pour les conciliateurs en « première ligne » ?

Le législateur n’impose aucun diplôme ou formation préalable ou continue pour l’exercice de la fonction de conciliateur de justice ou de médiateur, mais impose la justification d’une expérience professionnelle et/ou une certification ou un agrément du tiers intervenant afin de garantir un minimum de compétence professionnelle de ce dernier.

- Le conciliateur de justice : il doit justifier « d’une expérience en matière juridique d’au moins trois ans, que leur compétence et leur activité qualifient particulièrement pour l’exercice de ces fonctions » (art. 2 al. 2 du Décret n°78-381 du 20 mars 1978) et est nommé par les cours d’appel ; Néanmoins, le décret 2018-931 du 29 octobre 2018 impose l’obligation pour le conciliateur , sans sanction, de justifier d’une formation minimale initiale et continue en droit et gestion des conflits dispensée par l’E.N.M via les formateurs conciliateurs présents dans chaque cour d’appel.

- Le médiateur : En cas de médiation conventionnelle, il doit posséder, « par l’exercice présent ou passé d’une activité, la qualification requise eu égard à la nature du différend ou justifier, selon le cas, d’une formation ou d’une expérience adaptée à la pratique de la médiation » (art. 1533 2° du C.P.C).
En cas de médiation judiciaire, il doit en plus, « justifier, selon le cas, d’une formation ou d’une expérience adaptée à la pratique de la médiation » (art. 131-5 du C.P.C) et être inscrit sur une liste établie par chaque cour d’appel (article 8 de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle et décret n° 2017-1457 du 9 octobre 2017).

Enfin, pour la médiation de la consommation, les médiateurs doivent être référencés par la Commission d’évaluation et de contrôle de la médiation de la consommation (C.E.C.M).

Attention, tentative de conciliation, médiation ou procédure participative préalable obligatoire ne signifie pas OBLIGATION pour les parties de conclure un accord amiable mettant un terme au litige, mais simplement de rencontrer un conciliateur, un médiateur ou un avocat, chacune des parties pouvant à tout moment se retirer sans motif, de ce processus amiable ou refuser de signer un accord ou certaines clauses et cela sans incidence sur l’éventuelle procédure judiciaire à venir, ces deux procédures amiables étant couvertes par le principe de confidentialité opposable au juge qui aurait à connaître du litige.

Enfin, le justiciable et/ou son conseil, pourra échapper à cette obligation en « gonflant » le montant de la demande : Supposons un principal demandé de 2.000 €, il sera rajouté une demande de 3.100 € de dommages et intérêts et le seuil de 5.000 € sera donc atteint [6].

Christophe M. COURTAU, Diplômé d'études supérieures en droit de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Conciliateur de Justice près le Tribunal d'Instance de Versailles.

[4Article 674 du code civil qui dispose : « Celui qui fait creuser un puits ou une fosse d’aisance près d’un mur mitoyen ou non, celui qui veut y construire cheminée ou âtre, forge, four ou fourneau, y adosser une étable, ou établir contre ce mur un magasin de sel ou amas de matières corrosives, est obligé à laisser la distance prescrite par les règlements et usages particuliers sur ces objets, ou à faire les ouvrages prescrits par les mêmes règlements et usages, pour éviter de nuire au voisin. »

[5Réforme de la procédure civile : cas de recours préalable obligatoire aux modes de résolution amiable des différends par Géraldine Maugain, Dalloz Actualité du 16 décembre 2019.

[6Maîtres VALON & PONTIER Avocats.

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