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Un fonctionnaire en congé maladie à Koh Lanta. Par Pauline Lagarde, Avocat.
Parution : vendredi 10 janvier 2020
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Un fonctionnaire en congé maladie à Koh-Lanta. Cet agent encourt-il une sanction disciplinaire telle que la révocation ? C’est la question à laquelle le Tribunal Administratif de Clermont-Ferrand a répondu [1] lors d’une affaire largement relayée par les médias.

Le Tribunal a également rappelé les règles applicables en matière de cumul d’activités au sein d’une collectivité publique combinées aux obligations liées aux congés de maladie.

La révocation de l’agent a été confirmée pour avoir, alors en congé de maladie, participé à des compétitions sportives d’escrime de haut niveau, dispensé des enseignements de gymnastique au sein d’une association et participé à des émissions de télé-réalité, et cela sans demande d’autorisation de cumul d’activités à la collectivité employeur.

Dans cette affaire, Mme F., agent territorial titulaire depuis 2004, a été affectée comme maître-nageur au sein de la collectivité Clermont-Communauté.

Elle a ensuite connu de longues périodes de congés de maladie de 2009 à 2014 avant d’être déclarée inapte aux fonctions qu’elle occupait, au motif d’une allergie au chlore.

Après plusieurs propositions de reclassement et un bilan de compétences financé par la collectivité, Mme F. a fini par réintégrer un poste administratif à partir de novembre 2016.

Cependant, la collectivité employeur ayant eu connaissance des activités de l’agent pendant ses congés de maladie, une procédure disciplinaire a été engagée à son encontre.

Après avoir recueilli l’avis favorable du conseil de discipline, l’employeur a prononcé la révocation de cet agent.

Toutefois, le conseil de discipline de recours saisi par l’agent a considéré qu’une exclusion temporaire de deux ans, dont un avec sursis, était davantage appropriée en l’espèce.

La collectivité, désormais Clermont Auvergne Métropole, a alors saisi le Tribunal de l’avis du conseil de discipline de recours en date du 11 septembre 2017 qui a substitué la décision de révocation.

La juridiction a rappelé les dispositions des articles 89 et 91 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, qui établissent, d’une part, l’échelle des sanctions disciplinaires et d’autre part, la procédure devant le conseil de discipline de recours.

Le point 6 du jugement a été également l’occasion d’insister sur les règles en vigueur en matière de cumul d’activités des agents publics :
« 6. Aux termes de l’article 25 de la loi du 13 juillet 1983 : "I – Les fonctionnaires et agents non titulaires de droit public consacrent l’intégralité de leur activité professionnelle aux tâches qui leur sont confiées. Ils ne peuvent exercer à titre professionnel une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit. (…)".
Aux termes de l’article 1er du décret du 2 mai 2007, applicable à l’époque des faits : "les fonctionnaires peuvent être autorisés à cumuler une activité accessoire à leur activité principale, telle que définie aux articles 2 et 3 du même décret, sous réserve que cette activité ne porte pas atteinte au fonctionnement normal, à l’indépendance ou à la neutralité du service."
L’article 4 du décret prévoit que "le cumul d’une activité exercée à titre accessoire mentionnée aux articles 2 et 3 avec une activité exercée à titre principal est subordonné à la délivrance d’une autorisation par l’autorité dont relève l’agent intéressé"
 ».

Les juges ont ensuite mentionné qu’en matière disciplinaire, ils exercent désormais un contrôle entier de l’erreur manifeste d’appréciation [2].

Le juge administratif doit en effet rechercher : si les faits reprochés à l’agent public ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction, si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes et si la sanction proposée par le conseil de discipline de recours est proportionnée à la gravité des fautes qui lui sont reprochées.

En l’espèce, trois catégories de fautes étaient reprochées à l’agent :
- sa participation à des compétitions sportives d’escrime pendant des périodes de congé de maladie, en octobre 2014 en Hongrie et en mai 2016 en Grande Bretagne ;
- le fait d’avoir dispensé, auprès d’une association, des cours rémunérés de gymnastique sans autorisation de la collectivité et toujours pendant ses congés maladie ;
- et enfin, sa participation à des émissions de téléréalité dont la 15ème saison de Koh Lanta [3].

Toutes ces activités, diverses et variées, ont eu lieu alors que ses congés de maladie comportaient pourtant des restrictions médicales aux activités physiques intenses.

En application des textes précités par le Tribunal, l’agent, alors en congé de maladie et s’affranchissant de toute autorisation pour exercer ses activités malgré les mises en garde de son employeur, a confirmé ses nombreux comportements fautifs.

De plus, pour le Tribunal, l’image de la collectivité a été atteinte car : « ces participations, largement médiatisées, ont entravé le bon fonctionnement du service, instaurant parmi les collègues de cet agent un sentiment d’injustice et des difficultés managériales, les interventions télévisuelles de Mme F. ayant notamment été relayées par affichage sur son lieu de travail alors que ses collègues étaient sollicités au titre de son remplacement, l’intéressée étant en congé de maladie ».

Dans des conclusions dignes d’intérêts, publiées par le tribunal, le rapporteur public relevant que cette affaire était « à ce point caricaturale de tout ce qu’un fonctionnaire honnête, loyal et digne se doit de ne pas faire », n’a pu que proposer d’annuler la position du conseil de discipline de recours et valider ainsi la sanction de révocation décidée par la collectivité.

Tel un conseil de la tribu réunifiée, la deuxième chambre du tribunal a suivi son rapporteur public et a confirmé que la révocation était bien une sanction proportionnée.

La sentence est (presque) irrévocable, l’agent ayant fait appel.

Ce jugement démontre, dans les circonstances de l’espèce, l’incompatibilité évidente entre le statut du fonctionnaire en congé de maladie et sa participation à une émission de téléréalité.

Pauline Lagarde Avocat à la Cour Docteur en droit

[1TA Clermont-Ferrand, 12 juillet 2019, n° 1702333.

[2CE, 16 février 2015, commune de Saint-Dié des Vosges, n°369831