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Les conventions dérogatoires au bail commercial de droit commun. Par Jean-Loïc Tixier-Vignancour, Avocat.
Parution : jeudi 16 janvier 2020
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Le contrat de bail commercial de droit commun emporte des contraintes importantes, notamment quant à sa durée, qui suscitent la recherche de solutions juridiques alternatives. On distingue principalement le bail de courte durée (I), la convention d’occupation précaire (II) et la location saisonnière (III).

L’usage du terme « bail précaire » est impropre et renvoie selon les interlocuteurs à l’un ou l’autre de ces 3 régimes dérogatoires.

I – Le bail commercial de courte durée.

Il est conçu comme un bail à l’essai, ayant pour finalité d’aboutir entre les parties à la conclusion d’un bail commercial de droit commun [1] (de 3-6-9 années).

A - Les conditions du bail de courte durée.

1. L’article L145-5 du Code de commerce exige que le bail soit conclu dès l’entrée dans les lieux du locataire,
2. La durée maximale du bail de courte durée est de 36 mois. Elle se calcule au jour près, depuis l’entrée dans les lieux du locataire [2],
3. La volonté des parties de conclure un bail de courte durée ne se présume pas. Elle doit clairement être exprimée dans le contrat de bail, les tribunaux accueillant difficilement de faire droit à un « consentement tacite ». Ainsi, le fait de fixer le bail pour une durée inférieure à la durée légale maximale ne suffit pas à caractériser un bail dérogatoire [3],
4. Par contre, il n’est aucunement nécessaire de justifier d’un quelconque motif.

B - Le régime juridique du bail de courte durée.

Le bail de courte durée est régi par les articles 1709 et suivants du Code civil, auxquelles les parties peuvent toutefois déroger aux termes du contrat de bail. Pour éviter toute conversion automatique en bail commercial de droit commun, le bailleur devra veiller à ce qu’aucune prolongation tacite du bail ne soit possible. Des états des lieux d’entrée et de sortie doivent être établis de manière contradictoire.

C – Situation à l’expiration du bail de courte durée.

C’est un bail à durée déterminée : il cesse de plein droit à l’arrivée du terme prévu au contrat, sans qu’il soit nécessaire de délivrer un congé à son cocontractant. Le locataire n’a pas le droit au renouvellement de son bail, et par voie de conséquence à une indemnité d’éviction quelconque.

A l’arrivée du terme prévu, les parties peuvent décider de conclure un nouveau bail de courte durée, à la condition que la durée totale des baux successifs n’excède pas la durée maximale de 36 mois.
Suivant les dispositions de l’article L145-5 §2 du Code de commerce, si au-delà de 36 mois, le locataire se maintient dans les lieux sans opposition du bailleur, il peut s’opérer un nouveau bail soumis au statut de droit commun. Mais il n’est formé que si à l’expiration des 3 ans, et au plus tard un mois à compter de cette échéance, le locataire reste et est laissé en possession des lieux par le bailleur.

Aussi, pour s’y opposer, le bailleur devra signifier à son locataire sa volonté de mettre fin à l’occupation des lieux avant le terme du 37ème mois suivant la prise de possession des lieux, de préférence par acte extra-judiciaire, afin de se ménager une preuve certaine.

Si le bail de courte durée s’est prolongé au-delà de la durée maximale de 36 mois, la revendication d’un bail commercial de droit commun suppose toutefois que le bail initial porte sur un local commercial (par opposition à un terrain non bâti), et que le locataire y exploite un fonds de commerce (ce qui exclut par exemple les activités libérales).

En cas de bail issu du maintien dans les lieux du locataire, il sera soumis aux mêmes clauses et conditions que le bail expiré [4]. Le nouveau loyer sera librement fixé par les parties. A défaut d’accord, il sera fixé à la valeur locative [5].

II – La convention d’occupation précaire.

Régie par les articles 145-5-1 du Code de commerce, la convention d’occupation précaire se distingue par le fait que l’occupation des lieux n’est autorisée qu’en raison de circonstance(s) indépendante(s) de la volonté des parties, et ce, quelle que soit sa durée. Le locataire dispose ainsi d’un droit précaire sur les lieux.

A – Précarité du droit de l’occupant précaire.

La précarité doit être spécifiquement visée à la convention mais sa qualification reste soumise au contrôle du juge. Sa durée peut être à durée déterminée ou indéterminée. La précarité de la convention ne réside donc pas dans sa brièveté mais sa fragilité, celle-ci pouvant se maintenir pendant plusieurs années [6].

Pour dénoncer la convention d’occupation précaire, aucun préavis obligatoire n’est à respecter. Mais les parties peuvent en prévoir un à la convention d’occupation précaire.

Les circonstances indépendantes de la volonté des parties qui fondent la précarité doivent exister au moment de la signature de la convention [7]. Ont par exemple été reconnus comme de telles circonstances : l’attente d’une procédure d’expropriation, l’attente de la création d’une zone industrielle ou commerciale, l’attente de la reconstruction d’un immeuble ou de la réalisation d’une promesse de vente sous conditions suspensives.

B – Régime juridique de la convention d’occupation précaire.

Le prix du loyer ou de la redevance payée doit être modique, c’est-à-dire inférieure à la valeur de marché pour un bail commercial de droit commun. Le locataire ne peut exiger du bailleur qu’il exécute quelques travaux que ce soient, notamment relativement à l’obligation de délivrance conforme des lieux. L’occupant ne bénéficie pas de la garantie d’éviction ou d’un droit au renouvellement.

Si le tribunal saisi estime que la précarité n’est pas établie, cela entraînera la requalification de la convention précaire en bail commercial de droit commun. C’est pourquoi le bailleur devra veiller à déterminer précisément à la convention d’occupation précaire le motif de recours à celle-ci.

III – La location saisonnière.

Aux termes de l’article L145-5 §4 du Code de commerce, une location est qualifiée de « saisonnière » lorsque le bail confère la jouissance des locaux pour une saison. Elle s’entend par saisie touristique, et non seulement d’une durée de trois mois.

Le locataire ne doit pas avoir la jouissance des locaux à l’expiration de la saison, même si le fonds de commerce n’est exploité que de façon saisonnière. Par contre, la succession de plusieurs baux saisonniers successifs avec le même locataire ne fait pas obstacle au bénéfice du régime.

En cas de litige, le tribunal saisi, en fonction des clauses du bail et de ses conditions d’exécution, décidera si le statut de location saisonnière est justifiée. Si le tribunal saisi estime que la saisonnalité n’est pas établie, cela entraînera la requalification de la location saisonnière en bail commercial de droit commun.

Quelque soit le bail dérogatoire choisi, le non paiement des loyers ou des redevances permettra au bailleur de rechercher la résiliation du contrat devant le Juge des référés.

Jean-Loïc TIXIER-VIGNANCOUR Avocat au barreau de Paris (01.44.76.09.20) http://www.tixier-avocats.com

[1Voir mon article à ce sujet ici.

[2Cass Civ. 3ème 30 mars 2017 n°16.10786 : RJDA 6/17 n°392.

[3Cass. Civ. 3ème 2 février 2005 : RJDA 5/65 n°511.

[4Cass. 3ème Civ. 6 novembre 2001 : RJDA 1/02 n°15.

[5Cass. 3ème Civ. 28 novembre 2012.

[6CA Versailles 14 avril 2005 n°04-441.

[7Cass. 3ème Civ. 29 avril 2009 n°08-13308.