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Production de messages électroniques devant les prud’hommes : quelles règles de preuve ? Par Romain Darriere, Avocat et Henri de Charon, Juriste.
Parution : lundi 20 janvier 2020
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Dans un arrêt rendu le 23 octobre 2019 (n° pourvoi 17-28.448), la Chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que les messages envoyés par le salarié au moyen d’une boîte de messagerie personnelle distincte de sa boîte de messagerie professionnelle sont couverts par le secret des correspondances et ne peuvent donc servir à fonder un licenciement.

Cet arrêt est l’occasion de faire le point sur les règles qui, dans le cadre d’un litige prud’homal, régissent l’utilisation d’éléments issus d’une boîte de messagerie électronique.

Il convient avant tout de rappeler qu’en matière sociale et sous réserve de dispositions spéciales, la preuve est libre et peut se faire par tout moyen.

Cependant, « libre » ne veut pas dire « sauvage » et la production d’un document à titre de preuve doit par conséquent respecter certaines règles.

En effet, l’article 9 du Code de Procédure Civile dispose que la preuve doit être rapportée « conformément à la loi ».

Cela signifie que la preuve doit être licite et loyale. En d’autres termes, l’élément produit ne doit pas avoir été obtenu de manière illégale et/ou à l’insu de la personne visée.

En pratique, on observe principalement deux types cas : celui de l’employeur qui souhaite produire un élément émanant de la boîte de messagerie personnelle du salarié (I) et celui de l’ancien salarié qui souhaite produire un élément issu de sa boîte de messagerie professionnelle (II).

I. La preuve issue de la messagerie personnelle du salarié.

A. Le principe du droit au respect de la vie privée du salarié.

Aux termes des articles 8 de la CEDH, 9 du Code civil, 226-15 du Code pénal et L1121-1 du Code du travail, tout salarié a droit au respect de sa vie privée et au secret de ses correspondances. Ainsi, l’employeur doit nécessairement tenir compte de ces droits lorsqu’il consulte le contenu de l’ordinateur professionnel de son employé.

Aussi et de jurisprudence constante, la Cour de cassation considère que « les fichiers créés par le salarié à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels, de sorte que l’employeur est en droit de les ouvrir hors la présence de l’intéressé ».

Cette présomption de caractère professionnel des éléments stockés sur l’ordinateur de l’entreprise s’applique également aux courriers électroniques adressés par le salarié au moyen de sa boite de messagerie professionnelle, ce qui implique que l’employeur « est en droit de les ouvrir hors sa présence sauf si le salarié les a identifiés comme personnels ».

Toutefois, il n’en est pas de même lorsqu’il s’agit de la boîte de messagerie personnelle du salarié.

En effet, la chambre sociale de la Cour de cassation considère que cette présomption n’est pas applicable à la boîte de messagerie personnelle de l’employé lorsque celle-ci est « distincte de sa messagerie professionnelle ».

Par conséquent, le contenu de cette boîte de messagerie ne peut être consulté par l’employeur, ni produit en justice dans le cadre d’un litige prud’homal.

Ce principe s’applique tout autant aux boîtes de messagerie « classiques » qu’aux services de messagerie instantanée des réseaux sociaux, comme l’a confirmé la Cour de cassation, dans son arrêt du 23 octobre 2019 précité.

En l’espèce, il s’agissait de messages émis par une salariée au moyen du service de messagerie instantanée « MSN Messenger ».

Dans cette affaire, la Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel de Paris qui avait considéré que le service de messagerie instantanée du réseau social constituait une « boîte à lettre électronique personnelle distincte de la messagerie professionnelle dont la salariée disposait pour les besoins de son activité ».

La Haute juridiction en a conclu que les messages échangés au moyen de cette messagerie « étaient couverts par le secret des correspondances » et que leur contenu ne pouvait ni servir de fondement au licenciement de la salariée, ni être produit en justice.

Ainsi, dans le cas où de tels messages seraient soumis à l’examen de la juridiction prud’homale, celle-ci devra les écarter des débats.

En outre, le salarié pourra toujours demander à ce que l’employeur soit condamné à lui verser des dommages et intérêts sur le fondement de l’atteinte à sa vie privée, puisqu’il résulte de cette violation un préjudice distinct de celui généré par le licenciement, préjudice qui doit nécessairement être réparé.

De même, le fait que les propos aient été tenus au moyen d’un groupe de discussion auquel plusieurs personnes participaient ne suffit pas, là-encore, à rendre les propos publics.

En effet et de jurisprudence constante, la Cour de cassation considère que cette pluralité de participants n’est pas, en elle-même, de nature à conférer à la conversation litigieuse un caractère public.

Elle a ainsi jugé que sont dépourvus de caractère public les propos diffusés sur un compte de réseau social qui « n’est accessible qu’aux seules personnes agréées par son titulaire, en nombre très restreint ».

La Cour considère en effet que ces personnes forment entre elles une « communauté d’intérêts » et qu’en conséquence, leur conversation a nécessairement un caractère privé.

Ainsi, quand bien même quatorze personnes participeraient à une discussion au moyen du service de messagerie instantanée d’un réseau social, cette conversation conserve un caractère privé.

B. L’exception tenant à la divulgation volontaire des messages par le salarié.

Logiquement, il n’y a pas d’atteinte à la vie privée du salarié lorsque l’élément produit a été volontairement divulgué par le salarié.

Toutefois, le seul fait que l’élément produit ait été visible ou accessible ne suffit pas à démontrer une quelconque divulgation de la part du salarié.

L’employeur doit démontrer une réelle intention, une volonté caractérisée de divulgation de la part du salarié.

A défaut le contenu de sa messagerie personnelle reste et demeure de nature privée.

C’est ce qu’a rappelé la Cour d’appel de Toulouse dans un arrêt rendu le 2 février 2018 au sujet de propos tenus par une salarié au moyen de la messagerie instantanée du réseau social Facebook.

En l’espèce, l’employeur avait produit une attestation circonstanciée démontrant que la salariée avait intentionnellement dévoilé le contenu de sa messagerie.

En effet, interrogée sur ses propos, l’employée avait répondu à sa supérieure hiérarchique « qu’il s’agissait de ce qu’elle pensait d’elle et de l’entreprise, et qu’elle avait laissé sa session ouverte afin qu’elle en prenne connaissance ».

Par conséquent, la Cour en a très justement déduit que l’employé avait entendu dévoiler ses propos, leur faisant ainsi perdre leur caractère privé. Dans ce cas, l’employeur était alors autorisé à fonder le licenciement sur lesdits propos.

II. La preuve issue de la messagerie professionnelle du salarié.

A. Le principe de non atteinte au droit de propriété de l’employeur.

Si l’employeur peut produire en justice des éléments provenant de la boîte de messagerie professionnelle qu’il met à la disposition du salarié dans le cadre de ses missions (à condition, nous l’avons vu, que ces documents ne soient pas identifiés comme personnels), le sujet n’est pas aussi évident lorsque c’est le salarié qui entend produire de tels éléments.

En effet et en principe, les courriers et documents émis ou reçus au moyen de la boîte professionnelle du salarié appartiennent à l’employeur.

Ainsi, le fait pour l’employé de produire des éléments issus de sa boîte de messagerie professionnelle peut être constitutif des délits de vol et/ou d’abus de confiance, respectivement prévus aux articles 311-1 et 314-1 du Code pénal.

Dès lors, si l’on se réfère aux exigences traditionnelles de licéité et de loyauté de la preuve, les éléments obtenus par un salarié en violation du droit de propriété de l’employeur et/ou à l’insu de ce dernier devrait être jugés irrecevables puisque illicites et/ou déloyalement obtenus.

Toutefois, la Chambre sociale de la Cour de cassation admet une exception à cette irrecevabilité au bénéfice du salarié, exception qui réside dans l’exercice des droits de la défense.

B. L’exception tenant à l’exercice des droits de la défense.

De jurisprudence plus que constante, la Chambre sociale de la Cour de cassation considère que des documents appartenant à l’entreprise peuvent être produits par le salarié si ceux-ci sont « strictement nécessaires à l’exercice des droits de la défense du salarié ».

La Chambre criminelle considère quant à elle que cette exception constitue, dans un contexte prud’homal, un fait justificatif de nature à entraîner la relaxe du salarié des chefs de vol ou d’abus de confiance.

En ce qui concerne l’appréciation du caractère « strictement nécessaire » des documents soustraits, la Chambre criminelle estime qu’un salarié ne peut s’exonérer de sa responsabilité pénale si les documents découverts en sa possession sont bien plus nombreux que ceux pouvant être utiles à sa défense.

L’appréciation de ce caractère est donc fonction du nombre et de l’intérêt probatoire des éléments soustraits par le salarié.

Au surplus, dans un arrêt du 11 mai 2004, dont la solution a été confirmée en 2011, la Chambre criminelle de la Cour de cassation est venue ajouter une condition à la mise en œuvre de cette exception. Ainsi, il faut que les documents produits par le salarié aient été portés à sa connaissance « à l’occasion de ses fonctions ».

Enfin, il convient de rappeler que le salarié ne peut pas soustraire des documents à son employeur à n’importe quel moment.

Ainsi, la soustraction ne peut intervenir qu’à l’occasion d’une mise à pied ou, plus généralement, dès lors qu’un risque de litige avec l’employeur se profile sérieusement.

En conclusion, dans le cadre d’un litige l’opposant à son ancien employeur et sous réserve de respecter les conditions posées par la jurisprudence, le salarié peut tout à fait soumettre à l’examen de la juridiction prud’homale des emails ou autres documents issus de sa messagerie professionnelle et, plus largement, de son ordinateur professionnel.

Romain Darriere, Avocat au Barreau de Paris Henri de Charon, Juriste Cabinet d'avocats Romain Darriere www.romain-darriere.fr
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