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Exclusion du droit des contrats en cas de violation d’une licence en droit d’auteur : quelles conséquences ? Par William Mak, Avocat.
Parution : mardi 21 janvier 2020
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A la suite d’un arrêt du 18 décembre 2019 (CJUE, 18 décembre 2019, C-666/18, IT Development) , la CJUE a mis un terme définitif à la possibilité de recourir aux règles de la responsabilité contractuelle de droit commun en cas de la violation d’un contrat de licence en droit d’auteur. Une telle décision est particulièrement importante puisqu’elle remet en cause nombre de règles qui était considérées jusqu’à alors parfaitement établies.

I. Introduction.

Alors que nombre d’auteurs et de praticiens s’attendaient à ce que la Cour de justice confirme la possibilité de se fonder sur le régime contractuel en cas de violation d’une licence en droit d’auteur, la Cour de justice a pris à contrepied tout le monde et a affirmé, au contraire, la totale autonomie de l’action en violation d’une des dispositions des directives droit d’auteur.

Pour rappel, l’arrêt du 18 décembre 2019 indique que le fait pour un licencié de ne pas respecter les termes d’un contrat de licence constitue de manière exclusive un acte de contrefaçon.

Ce faisant, il ne peut obéir à un régime juridique distinct, dont notamment le régime contractuel de droit commun français, même si le manquement est rattachable à une inexécution contractuelle.

En consacrant de manière surprenante la totale autonomie du régime de la contrefaçon, la Cour de justice remet de ce fait en cause de manière profonde les règles françaises et même la pratique contractuelle des licences de droit d’auteur.

La présente étude visera à s’intéresser à ces possibles conséquences et ses répercussions pratiques à court terme.

II. Modification de l’application des règles de droit dans le temps.

Une des premières conséquences possibles de cette décision tient à la loi applicable dans le temps.

En principe, la responsabilité extracontractuelle est gouvernée par la loi applicable au jour du délit ou quasi-délit alors que la responsabilité contractuelle est régie par la loi en vigueur au moment où la convention a été formée [1] , sauf dérogation expresse du législateur, ou règles d’ordre public [2]. Peu importe donc en principe la date du fait générateur de la responsabilité contractuelle.

L’exclusion de toute possibilité d’avoir recours à la responsabilité contractuelle a ainsi potentiellement pour conséquence directe en droit français l’application de la loi actuelle pour tout acte de contrefaçon, quand bien même il découlerait de la violation d’une licence.

Plus généralement, le fait que le régime contractuel de droit commun soit exclu suggère aussi que toutes les licences se doivent de respecter le droit applicable au jour le jour, et non plus simplement au jour où elle ont été conclues, ce qui constitue nécessairement une difficulté pratique des moins négligeables.

Ainsi, indirectement, si une nouvelle disposition vient en contradiction avec une règle antérieure, c’est la nouvelle règle qui s’applique de facto au contrat, peu importe qu’il ait été conclu sous un régime antérieur puisque le régime de la contrefaçon écarte les règles de la responsabilité contractuelle de droit commun.

III. Modification des juridictions territorialement et matériellement compétentes pour juger de la violation d’une licence par l’une des parties à celle-ci.

Un autre impact de la décision susvisée concerne la question de la juridiction compétente tant au niveau matériel que territoriale.

A. Exclusion du Tribunal de commerce et Exclusivité de la compétence du Tribunal judiciaire.

L’exclusion du régime de droit commun exclue désormais toute possibilité de saisir une juridiction alternative que le Tribunal judiciaire qui est exclusivement compétent pour les questions de droit d’auteur et de contrefaçon.

Sur la compétence matérielle, historiquement, la jurisprudence était tolérante sur la question d’inexécutions d’obligations relatives à une licence, considérant que, dans l’hypothèse où les moyens soulevés se fondent uniquement sur des manquements contractuels, le Tribunal de commerce pouvait être compétent pour résoudre ces questions tant que les Parties se contentaient de se limiter aux règles de responsabilité contractuelle et n’invoquaient aucun moyen sur les règles spécifiques à la propriété intellectuelle [3].

Désormais, au vu de l’autonomie du régime de la contrefaçon et l’exclusion des règles de la responsabilité contractuelle, le Tribunal de commerce ne saurait être compétent en toute hypothèse.

Toute violation d’une obligation d’une licence rattachable de près ou de loin à un texte de droit d’auteur est un acte soumis à ses règles spécifiques, et doit donc être évoquer devant le Tribunal judiciaire (anciennement Tribunal de grande instance).

B. Sur la compétence territoriale.

Concernant la compétence territoriale, en droit interne, en principe, conformément à l’article 42 du Code de procédure la juridiction compétente est celle du lieu où demeure le défendeur.

L’article 46 du CPC donne cependant une option. En effet, le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur :

- en matière contractuelle, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l’exécution de la prestation de service ;

- en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi ;

Désormais, en excluant la responsabilité contractuelle, seul le domicile du défendeur ou le lieu du fait dommageable pourront être excipé.

Bien sûr, il s’agira de combiner cette règle avec l’article D211-6-1 du Code de l’organisation judiciaire, qui pour rappel, désigne un Tribunal judiciaire par ressort de Cour d’appel afin de connaître des litiges concernant le droit d’auteur.

IV. Exclusion possible de la possibilité de limiter sa responsabilité.

En matière de licence et de pratique contractuelle, il est habituel pour les Parties de limiter leur responsabilité par une clause limitative de responsabilité.

Outils pour sécuriser les relations et pour chiffrer le risque maximum d’un contrat, il permet aux Parties de chiffrer le risque contractuel.

Sa légalité ne fait plus débat en matière contractuelle aujourd’hui au regard de la jurisprudence [4].

Mais cette validité pourrait être remise en cause.

En effet, la jurisprudence annule toutes les conventions relatives à la responsabilité extracontractuelle puisqu’elle considère que les régimes de réparation extracontractuelle sont par principe d’ordre public [5]. La question peut donc se poser désormais pour savoir si la contrefaçon est bien un régime d’ordre public dont on ne peut limiter préalablement l’indemnisation.

Une telle conséquence est particulièrement impactante puisqu’elle va renforcer l’insécurité juridique dans les relations contractuelles en laissant un doute quant aux risques générés par un contrat.

Ce changement est d’autant plus impactant que l’assiette de la réparation se trouve modifiée.

V. Modification de l’assiette de réparation.

Peu importe le régime de responsabilité, le fautif doit normalement réparer le dommage causé dès lors qu’il a été causé par un fait illicite.

Ce préjudice doit être certain, direct, personnel et légitime en principe.

Cependant, alors que l’auteur d’un délit ou quasi-délit est tenu de réparer tous les dommages subis, le débiteur contractuel, conformément à l’article 1231-3 du Code civil, n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qui pouvaient être prévus lors de la conclusion du contrat, sauf lorsque l’inexécution est due à une faute lourde ou dolosive.

L’exclusion du régime contractuel de droit commun semble donc faire échapper de manière totale la réparation du préjudice aux règles contractuelles, qui sont plus limitatives.

Le seul texte de référence en la matière est désormais l’article L.331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle qui a pour intérêt d’énoncer certains types de préjudice réparable, sans pour autant que cette liste soit limitative.

Cette liste, ayant été introduite afin d’augmenter le quantum des condamnations, est désormais d’autant plus primordiale qu’elle constitue le seul référentiel de réparation en matière de violation de licence de droit d’auteur.

VI. Conclusions.

Sans pour autant prétendre à l’exhaustivité, la présente revue de manière montre les risques générés par la décision du 18 décembre 2019 mais surtout les nombreux questionnements qu’elle doit générer.

L’exclusion des régimes de responsabilité de droit commun renforce en effet l’autonomie du droit d’auteur, le rendant d’autant plus opaque pour les non-initiés ce qui n’est jamais une bonne chose.

En toute hypothèse, la jurisprudence française devrait rapidement apporter un premier éclaircissement sur cette autonomie puisque l’affaire est désormais renvoyée devant la Cour d’appel de Paris.

Le droit est mort, vive le droit !

William Mak Avocat au barreau de Paris / Mandataire d\'artistes et d\'auteur / Enseignant à l\'université

[1Cass., 1ère Civ. 1re, 12 juin 2013, n°12-15.688

[2Cass., 1ère Civ., 4 décembre 2001, n° 98-18.411

[3Pour un exemple en matière de brevet mais transposable à tout acte de contrefaçon : Cass., Com., 7 juin 2011, 10-19.030 ; Pour un exemple plus ancien en droit d’auteur : Cass., Com., 23 novembre 2010, 09-70.859

[4Cass., Com., 7 février 2018, 16-20.352

[5Pour un exemple pour 1240 du Code civil (anciennement 1382) Cass, 2ème Civ., 17 février 1955, 55-02.810 ; Pour un exemple pour l’article 1384 du Code civil : Cass., 2ème Civ., 4 novembre 2010, 09-65.947