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Retard dans la mise en place du CSE : quelles conséquences et sanctions pour les entreprises défaillantes ? Par Elisabeth Graëve et Anaël André, Avocats.
Parution : mercredi 22 janvier 2020
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Les entreprises avaient jusqu’au 1er janvier 2020 au plus tard pour mettre en place le nouveau Comité Social et Economique (CSE).

Quels risques et quelles sanctions pour celles n’ayant pas encore rempli leur obligation de mise en place ?

Les entreprises dont l’effectif atteint au moins 11 salariés pendant 12 mois consécutifs avaient jusqu’au 1er janvier 2020 au plus tard pour mettre en place le nouveau Comité Social et Economique (CSE).

La date fatidique est désormais expirée.

La demande commune de la CGT, de FO, de la CFE-CGC et de la CFTC en vue de faire reporter l’échéance du 1er janvier 2020 a été refusée par le ministère du Travail, considérant que les entreprises avaient déjà eu un délai de 2 ans et demi pour s’y préparer.

Les entreprises qui n’ont pas encore mis en place un CSE risquent un certain nombre de sanctions et de voir leurs projets de développement paralysés lorsque la consultation préalable du CSE est requise.

Tour d’horizon des risques et sanctions encourus par les entreprises retardataires.

1) Fin des mandats des anciennes instances.

A titre liminaire, il convient de rappeler que les mandats des élus des anciennes instances (CE, DP, CHSCT) ont pris fin depuis le 31 décembre 2019 à minuit peu important que le CSE ait été mis en place ou non.

L’article 9, II de l’ordonnance 2017-1386 du 22 septembre 2017 prévoit en effet :

« Le comité social et économique est mis en place au terme du mandat des délégués du personnel ou des membres élus du comité d’entreprise, de la délégation unique du personnel, de l’instance regroupée mise en place par accord du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, lors du renouvellement de l’une de ces institutions, et au plus tard le 31 décembre 2019 ».

Le ministère du Travail indique également dans son « 100 questions-réponses » sur le CSE :
« Au 1er janvier 2020, tous les mandats des anciennes instances représentatives du personnel auront pris fin et le comité social et économique devra avoir été institué ».

En conséquence, si le CSE n’a pas été mis en place au 1er janvier 2020, il n’existe plus de représentation élue du personnel au 1e janvier 2020.

A noter que le Ministère du Travail a précisé sur son site internet :
« un accord, même unanime, ne peut donc permettre de proroger les mandats au-delà de cette date, l’échéance étant impérative ».

Concernant les mandats syndicaux :
- Pour les délégués syndicaux, deux situations doivent être distinguées selon le ministère du Travail :
- Dans les entreprises de moins 50 salariés, la loi lie explicitement le mandat de DS (délégué syndical) à celui de DP titulaire (délégué du personnel. Par conséquent, le mandat syndical cesse de plein droit à l’échéance du mandat de DP.
- Dans les entreprises employant au moins 50 salariés, le DS n’est pas nécessairement un élu, l’organisation syndicale représentative pouvant désigner un DS parmi des candidats non élus ou à défaut parmi ses adhérents au sein de l’entreprise ou parmi ses anciens élus. Par suite, le mandat syndical se poursuit jusqu’à l’organisation du premier tour des élections du CSE.

- Le mandat des représentants syndicaux au CE prend en principe fin lors du renouvellement de l’instance [1]. En conséquence et selon nous, le CE ayant disparu au 1er janvier 2020, les mandats de RS au CE ont également disparu.

2) Délit d’entrave.

L’absence de mise en place du CSE peut entrainer la condamnation du chef d’entreprise personne physique et de la société personne morale pour entrave à la constitution du CSE ou à la libre désignation.

Cette infraction est punie d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 7.500 € (L.2317-1 du Code du travail).

3) Dommages-intérêts aux salariés de l’entreprise.

Tout salarié pourra réclamer des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l’absence de représentation du personnel.

Il est de jurisprudence constante que l’employeur commet une faute causant nécessairement un préjudice aux salariés qui sont privés d’une possibilité de représentation et de défense de leurs intérêts, lorsqu’il n’accomplit pas les diligences nécessaires à la mise en place d’institutions représentatives du personnel et en l’absence d’établissement d’un PV de carence [2].

Il s’agit là d’une dérogation à la jurisprudence de 2016 qui a mis un terme à la notion de préjudice automatique, exigeant que les salariés justifient d’un préjudice dont les juges du fond appréciant souverainement l’existence et le quantum [3].

4) Dommages intérêts aux organisations syndicales de l’entreprise.

Une organisation syndicale pourrait sans doute également solliciter des dommages intérêts en raison de la faute commise par l’employeur du fait de l’absence d’organisation des élections [4].

5) Information/consultation du CSE.

En l’absence de CSE, l’employeur ne pourra procéder à aucune consultation et sera donc bloqué sur un grand nombre de sujets et de projets nécessitant une consultation obligatoire du CSE.

A titre d’exemples, la jurisprudence antérieure concernant l’absence de consultation du CE est transposable au CSE :

Licenciement pour inaptitude d’origine professionnelle ou non professionnelle : L’employeur doit, préalablement à sa proposition de poste de reclassement, consulter le CSE sur les possibilités de reclassement du salarié (L1226-2 ; L1226-10 ; L1226-20).

Cette consultation est obligatoire.
A défaut, le licenciement notifié au salarié est illicite et sera jugé sans cause réelle et sérieuse.
Le non-respect de cette obligation de consultation pourra également à nouveau constituer un délit d’entrave…

Licenciement d’un salarié protégé :
L’employeur est tenu de consulter le CSE en cas de licenciement d’un salarié protégé. L’absence de consultation du CSE rend le licenciement automatique nul [5].
NB : les élus dont le mandat a pris fin restent protégés durant 6 mois soit jusqu’au 30 juin 2020.

Licenciement collectif pour motif économique :
L’employeur est tenu de consulter le CSE sur un projet de licenciement collectif selon des modalités variant en fonction du nombre de licenciements envisagés et de l’effectif de l’entreprise (L1233-8).

En l’absence de consultation, la procédure de licenciement pour motif économique est irrégulière (L1235-15).
Les conséquences de cette irrégularité sont multiples : indemnisation du salarié en fonction du préjudice subi, délit d’entrave, etc.

Mise en place ou mise à jour d’un règlement intérieur :
La mise en place ou la mise à jour du RI de l’entreprise doit être soumise à l’avis du CSE (L1321-4). A défaut, le RI mis en place ou ses mises à jour sont inopposables au salarié et une sanction notifiée sur la base d’un RI inopposable doit être annulée [6].

Dénonciation d’un usage :
La dénonciation d’un usage doit être portée à l’information des salariés et du CSE. A défaut, la dénonciation est irrégulière et est inopposable aux salariés [7].

Le défaut de consultation du CSE dans des matières où celle-ci est obligatoire, peut également entrainer la suspension de nombreux projets :
- Utilisation d’un outil de pilotage commercial comme moyen de contrôle de l’activité des salariés [8] ;
- Projet de filialisation d’un établissement [9] ;
- Projet de transfert d’entreprise [10] ;
- Mise en place d’un code de conduite [11] ;
- Mise en place d’un système de vidéosurveillance ;
- Mise en place d’un système de géolocalisation.

En cas d’absence de CSE, un employeur pourrait être tenté de continuer à faire fonctionner les anciennes instances après le 01er janvier 2020 et donc de les consulter ce que nous déconseillons naturellement.

La CAA de DOUAI a en effet jugé que « l’irrégularité dans la composition des instances a eu pour conséquence de retirer toute portée aux avis recueillis et de vicier les consultations » [12].

Cette décision semble logique dès lors que ces consultations avaient été réalisées avec des instances n’ayant plus d’existence ni de personnalité juridique.

La décision du Conseil d’Etat devra être surveillée de près…

6) Sort des accords collectifs conclus avec le CE.

Il convient de distinguer 2 types d’accords :

a) Les accords concernant le CE.

Ces accords « cessent de produire effet à compter de la date du premier tour des élections des membres de la délégation du personnel du comité social et économique » [13].

Selon nous et par analogie, ces accords cessent néanmoins de produire leurs effets.

b) Les accords conclus par le CE.

Quel que soit le type d’accord conclu par le CE (accord atypique, accord de participation, accord d’intéressement), ces accords, valables lors de leur conclusion, subsistent à notre sens, même en l’absence de CSE, ce dans une logique de sécurité contractuelle.

7) Patrimoine du CE.

L’article 9, II de l’ordonnance 2017-1386 du 22 septembre 2017 prévoit les modalités de transmission du patrimoine (biens, droits et obligations, créances et dettes) du CE au CSE.

En principe :
- Le CE décide lors de sa dernière réunion de l’affectation des biens de tout nature dont il dispose à destination du futur CSE et, le cas échéant, des conditions de transfert des droits et obligations, créances et dettes relatifs aux activités transférées.
- Le CSE décide lors de sa 1ère réunion à la majorité de ses membres, soit d’accepter les affectations prévues par le CE soit de décider d’affectations différentes.

En l’absence de mise en place du CSE, plusieurs questions se posent :
- Que devient le patrimoine du CE ?
A notre sens, ce patrimoine survit et est seulement mis en sommeil jusqu’à la mise en place du CSE.

Si le CE n’a pas décidé de l’affectation de ces biens, droits et créances lors de sa dernière réunion, le CSE actera de la dévolution et décidera de la répartition lors de sa première réunion.

- L’employeur est-il tenu de verser la subvention de fonctionnement ainsi que la contribution patronale aux activités sociales et culturelles ? Deux situations doivent être distinguées ici :
- Soit le CSE n’est pas mis en place dans une entreprise où il existait un CE : le CE est seulement mis en sommeil et les subventions restent dues [14]. Ce point est confirmé par le ministère du Travail : « Si le CSE n’est pas en place au 1er janvier 2020, les budgets de l’ancien CE sont bloqués dans l’attente de l’élection du CSE. La subvention de fonctionnement et la contribution pour le financement des activités sociales et culturelles continuent à être versées par l’employeur ».
- Soit le CSE n’est pas mis en place dans une entreprise où il n’existait pas de CE : les subventions ne sont pas dues quand bien même la création est retardée par suite de la défaillance de l’employeur. Il a en effet été jugée que le CE ne peut pas être créancier de sommes correspondant à la subvention destinée à son fonctionnement pour une période antérieure à sa création [15].

Elisabeth GRAËVE Anaël ANDRE GRAËVE Avocats

[1Cass. soc., 10 mars 2010, n°09-60.347.

[2Cass. soc., 17 mai 2011, n°10-12.852 ; Cass. soc. 17 octobre 2018 n°17-14.392 ; Cass. soc. 15 mai 2019 n°17-22.224.

[3Cass. soc. 13 avril 2016 n° 14-28.293.

[4Cass. soc., 7 mai 2002, n°00-60.282.

[5CE, 29 octobre 1997, n° 154.967.

[6Cass. soc., 26 octobre 2010, n°09-42740 ; Cass. soc., 12 décembre 2013, n°12-22642 ; CA Rennes 7 septembre 2016 n° 14/04110.

[7Cass. soc. 16 novembre 2005 n° 04-40.339.

[8Cass. soc., 10 avr. 2008, no 06-45.741.

[9TGI Nîmes, 14 mars 2005, n°05/00062.

[10CA Versailles, 24e ch. réf., 29 juill. 2005, no 05274.

[11TGI Nanterre, ord référé, 6 oct. 2004, no 04/0286.

[12CAA Douai, 26 septembre 2019, n°19DA01528.

[13Ordonnance 2017-1718 du 20 décembre 2017.

[14Cass. soc. 22 novembre 2017 n° 16-12.952.

[15Cass. soc. 27 mars 2012 n° 11-11.176.