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Bataille de titres entre avocats, le tribunal tranche : pas de contrefaçon du titre du livre « L’avocature ». Par Béatrice Cohen, Avocat.
Parution : mercredi 22 janvier 2020
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Le 21 novembre dernier, le Tribunal de grande instance de Paris a débouté l’avocat parisien Daniel Soulez-Larivière de ses demandes, estimant que le titre « L’avocature » n’était pas une création originale, refusant de lui reconnaître une protection sur le terrain du droit d’auteur et du parasitisme.
TGI Paris, 3e chambre, 1e section, 21 novembre 2019, n° 18/09903.

Rappel de l’affaire :

En 1982, le célèbre avocat pénaliste parisien Me Daniel Soulez-Larivière publie un ouvrage intitulé « L’avocature » dans lequel il livre ses réflexions sur la profession d’avocat.

L’avocate toulousaine Me Aurore Boyard a écrit une trilogie littéraire sur le parcours d’une jeune avocate parisienne, Léa, dont le titre du deuxième tome est dans sa dernière version « L’avocature - l’avocation tome 2 ». En 2018 sort le troisième volet de cette trilogie, « L’avocatesse - l’avocation tome 3 ».

Découvrant la publication de cette trilogie et la reprise de son titre « L’avocature », Me Soulez-Larivière voit rouge. Estimant que le titre de son roman est une œuvre originale qu’on lui a volé, il assigne alors sa consœur toulousaine en contrefaçon de titre et parasitisme.

Aux termes d’une procédure qui aura agité le monde judiciaire, le Tribunal de grande instance de Paris a tranché : le titre « L’avocature » n’était pas une création originale, refusant de lui reconnaître une protection sur le terrain du droit d’auteur et du parasitisme.

I. Le titre « L’avocature » n’est pas protégeable par le droit d’auteur.

Rappelons qu’un titre peut bénéficier de la protection par le droit d’auteur, sous réserve du respect de la condition d’originalité. En ce sens, l’article L112-4 al. 1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que « le titre d’une œuvre de l’esprit est protégeable dès lors qu’il présente un caractère original ».

Ainsi, pour voir le titre de son roman-essai « L’Avocature » protégé par le droit d’auteur l’avocat pénaliste devait convaincre les juges de son originalité, ce qui revenait à expliquer en quoi « il porte l’empreinte de sa personnalité » et dénote l’effort créatif de son auteur, l’originalité s’appréciant au jour de la création du titre.

Me Soulez-Larivière considère que le terme « L’avocature » est un néologisme qu’il a inventé en 1982 pour le titre de son premier ouvrage en s’inspirant de certaines tournures existantes dans des langues étrangères et qu’il n’est pas un nom commun de la langue française. Il verse au soutien de sa démonstration une expertise d’un professeur de littérature comparée qui relève que seules 33 références étrangères dans des ouvrages et revues parues entre 1855 et 1913 feraient apparaître ce terme.

Toutefois, les juges n’ont pas été conquis par cette démonstration et ont refusé de reconnaître l’originalité de ce titre.

Reprenant les développements de l’avocate toulousaine, ils notent que le terme « avocature » était utilisé en France pour désigner la profession d’avocat, de 1860 à 1961, soit avant la date d’édition du premier ouvrage de l’avocat pénaliste et qu’ainsi le mot « avocature » n’était pas une création de Me Soulez-Larivière.

Les juges concluent ainsi à l’absence d’originalité du titre en précisant que « la seule reprise en tant que titre d’un ouvrage d’un mot existant exclut tout effort créatif de Me Daniel Soulez-Lariviere ».

II. L’absence de protection du titre sur le terrain du risque de confusion et du parasitisme.

Classiquement dans ces affaires de contrefaçon d’œuvres de l’esprit, le demandeur a formé des demandes subsidiaires fondées au titre du risque de confusion et du parasitisme.
Mais les juges ont considéré qu’il n’existait aucun risque de confusion pour les lecteurs et ont écarté la qualification de parasitisme.

1. L’absence de risque de confusion pour le public.

Aux termes de l’article L.112-4, alinéa 2, du Code de la propriété intellectuelle, « nul ne peut, même si l’oeuvre n’est plus protégée, utiliser un titre pour individualiser une oeuvre du même genre, dans des conditions susceptibles de provoquer une confusion ».

En application de ce texte qui met en place une protection sui generis proche des règles gouvernant la concurrence déloyale, un titre qui n’est pas protégeable par le droit d’auteur ne peut être repris dès l’instant où les conditions d’utilisation du titre second pourraient provoquer un risque de confusion dans l’esprit du public.

Ainsi, selon le demandeur, Me Boyard ne pouvait reprendre le titre « L’avocature » de l’ouvrage de Me Daniel Soulez-Larivière qui était susceptible de provoquer un risque de confusion entre les deux livres dans l’esprit du public.

Toutefois, les juges ont considéré qu’il n’existait aucun risque de confusion entre les deux œuvres.

Pour le tribunal, les deux oeuves ne « relèvent manifestement pas du même genre », l’essai de l’avocat parisien, « solennel et sérieux », vise un public « déjà sensibilisé au monde judiciaire » dans lequel l’auteur livre ses réflexions personnelles sur la profession d’avocat.

Le roman-fiction de l’avocate toulousaine emprunte quant à lui un ton humoristique et léger visant « un public plus large découvrant notamment l’univers de la justice à travers les aventures de son héroïne ».

En outre, pour définitivement écarter tout risque de confusion, le Tribunal observe que « plus de 20 ans séparent la publication des deux ouvrages « L’avocature » et « L’avocation - L’avocation Tome 2 » » dont les titres diffèrent ainsi que les visuels de couverture.

2. L’absence de parasitisme.

Le Tribunal a également écarté toute qualification de parasitisme qui « consiste dans le fait (…) de profiter volontairement et déloyalement des investissements (…) d’autrui produisant une valeur économique individualisée et générant un avantage concurrentiel ».

Les juges considèrent qu’au regard de la fréquence d’utilisation du terme « avocature » par la doctrine dans les revues juridiques avant la parution du roman, l’avocate toulousaine « n’a fait que reprendre une dénomination usuelle pour désigner la profession d’avocat sans chercher à bénéficier d’une quelconque notoriété attachée à l’essai de M. Daniel Soulez-Lariviere » notoriété de l’essai d’ailleurs non démontrée selon le Tribunal qui observe que le demandeur est resté silencieux sur le chiffre de vente de l’ouvrage.

Le célèbre avocat parisien ne sort pas indemne de ce procès qu’il a souhaité. Le Tribunal le condamne à payer 20.000 euros à sa consœur et 10.000 euros à l’éditeur de cette dernière au titre des frais de justice.

Rappelons enfin qu’en la matière, la contrefaçon et le parasitisme sont appréciés in concreto par les juges.
Dans une décision récente, la Cour d’appel de Paris a ainsi reconnu la contrefaçon du titre du livre « Mémoire fauve » roman rédigé en 2014 dénonçant la société du monde médiatique par « Mémoires fauves », roman paru en 2015 dénonçant les violences faites aux enfants.

En l’espèce, les juges ont reconnu l’originalité du titre protégé « Mémoire fauve » en expliquant que même si les termes « mémoire » et « fauve » pris isolément « ne présentent par eux-même aucune originalité, ils ne sont pas généralement utilisés en association l’un avec l’autre ». Pour qualifier la contrefaçon, la Cour d’appel a noté que le titre « Mémoires fauves » ne différait de l’autre titre « que par l’ajout du pluriel à « mémoire » et à « fauve » et gardait « la même sonorité », ce qui ne permettait pas de différencier les titres. »
Dans cette affaire, la Cour a ainsi condamné l’auteur du second roman à payer la somme de 10.000 euros et a interdit la commercialisation de son livre « Mémoires fauves ».

Le Cabinet recommande vivement aux écrivains d’être particulièrement vigilants avant de choisir le titre de leur prochain ouvrage, de consulter les bases disponibles en la matière et de faire une recherche étendue des éventuelles antériorités existantes.

Maître Béatrice COHEN www.bbcavocats.com