Village de la Justice www.village-justice.com

Interdictions de déplacement : le Conseil d’Etat siffle la fin des abus. Par Pierrick Gardien, Avocat.
Parution : jeudi 23 janvier 2020
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/interdictions-deplacement-conseil-etat-siffle-fin-des-abus,33550.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Saisi en référé par l’Association nationale des supporters, le Conseil d’Etat a autorisé en urgence les supporters du club de l’AS Nancy Lorraine à se déplacer à Belfort pour assister au 16ème de finale de coupe de France de football. Ce faisant, la Haute juridiction siffle la fin des abus concernant les interdictions de déplacement de supporters.

C’est une décision bienvenue.

Comme le rapporte L’Équipe [1], le Conseil d’Etat saisi en référé par l’Association nationale des supporters a autorisé en urgence les supporters du club de l’AS Nancy Lorraine à se déplacer à Belfort pour assister au 16ème de finale de coupe de France de football ASM Belfort/AS Nancy Lorraine.

Ce faisant, le Conseil d’Etat est revenu sur une ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Besançon et a surtout suspendu les effets de l’arrêté du préfet du Territoire de Belfort portant interdiction totale de déplacement pour ce match pour atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Rembobinons.

Le préfet du Territoire de Belfort avait pris par arrêté une interdiction totale de déplacement relative au 16ème de finale de coupe de France de football ASM Belfort/AS Nancy Lorraine qui s’est déroulé samedi 18 janvier 2020 à 15 heures.

Cet arrêté préfectoral portait interdiction à toute personne se prévalant de la qualité de supporter du club de l’AS Nancy Lorraine de circuler ou de stationner aux abords du stade Serzian de Belfort et d’accéder au stade.

L’acte administratif avait été contesté en référé liberté par l’ANS devant le tribunal administratif de Besançon, qui avait décidé de maintenir l’interdiction en se fondant sur les éléments suivants :
- Les forces de sécurité ne seraient pas disponibles en nombre suffisant pour assurer la sécurité des personnes le jour du match compte tenu des manifestations se déroulant dans l’ensemble du pays, y compris à Belfort, de façon quasi quotidienne et, notamment, le samedi après-midi ;
- Le club de l’AS Nancy Lorraine a fait l’objet de la part des instances disciplinaires de la fédération française de football de plusieurs sanctions, dont une, prononcée le 27 décembre 2019 à raison de l’utilisation d’engins pyrotechniques et de chants homophobes entonnés également par les supporters de ce club lors d’un match précédent de la coupe de France ;
- L’intention de ces supporters de se déplacer à Belfort fait ainsi craindre un risque de débordements ;
- Le club de l’ASM Belfort, qui évolue dans une catégorie inférieure à celle de l’ASNL et qui atteint pour la première fois ce niveau de la coupe de France, ne dispose pas de moyens suffisants pour assurer la sécurité d’une rencontre l’opposant à un club soutenu par des supporters nombreux, organisés et s’étant déjà illustrés pour des troubles à l’ordre public, notamment contre l’équipe de la ville de Sochaux, située à proximité de Belfort.

Saisi en appel par l’ANS, le Conseil d’Etat a annulé l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Besançon et enjoint au Préfet de Belfort de laisser les 50 supporters de l’AS Nancy Lorraine munis de billets accéder au stade.

Le Conseil d’Etat a considéré que l’interdiction totale de déplacement pour ce match portait en effet une atteinte grave et manifestement illégale à au moins une liberté fondamentale dont se prévalait l’ANS (la liberté d’aller et venir, la liberté d’association, la liberté d’expression et la liberté de réunion).

La Haute juridiction s’est notamment appuyée sur la méconnaissance par le Préfet de la procédure préalable issue de la circulaire du ministre de l’intérieur du 18 novembre 2019 (édiction de l’arrêté au moins 10 jours avant le match et organisation d’une réunion de sécurité au moins trois semaines avant la rencontre - France 3).

C’est un signal fort envoyé par le Conseil d’Etat par cette décision. Force est en effet de constater que les interdictions totales de déplacement se sont multipliées de manière exponentielle ces derniers mois.

Motivées de manière toujours plus hasardeuse par la crise des gilets jaunes ou le moindre incident isolé, il était à craindre que les interdictions totales de déplacement devinssent la norme, et les autorisations l’exception.

Or on ne répétera jamais assez que les supporters même ultras ne sont ni des hooligans ni des criminels, et que tous les matchs ne sont pas « à risque ».

De la même manière, il faut rappeler que, dans un Etat de droit, la liberté est la règle, et la restriction de police l’exception [2]. C’est pourquoi les pouvoirs publics doivent toujours, avant de prendre une mesure de police, s’interroger sur le caractère excessif, ou pas, de la mesure par rapport au risque de trouble à l’ordre public [3]. En définitive pour qu’une mesure de police soit légale, il faut qu’elle tende à maintenir l’ordre public par les moyens les moins rigoureux possible [4].

Or si l’interdiction totale de déplacement de supporters est la solution de facilité pour les pouvoirs publics, elle est surtout souvent excessive compte tenu du contexte des différents matchs de football qui ont lieu chaque semaine. En rappelant le principe même de la proportionnalité de la mesure de police, le Conseil d’Etat siffle la fin des abus. Espérons que les pouvoirs publics en tiennent compte à l’avenir.

Pierrick Gardien Avocat Droit Public Barreau de Lyon [->contact@sisyphe-avocats.fr] 07 80 99 23 28 http://www.sisyphe-avocats.fr/ http://twitter.com/avocatpublic

[1Voir l’article ici.

[2CE, 10 août 1917, Baldy, n°59855.

[3CE, 19 mai 1933, Benjamin, n° 17413.

[4CE, 21 janvier 1994, Commune de Dammarie-Les-Lys, n°120043.