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La résidence alternée en 2020 : règle ou exception ? Par Flora Labrousse, Avocat.
Parution : jeudi 23 janvier 2020
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Selon une étude de l’INSEE, d’une génération à l’autre, la résidence alternée ne cesse d’augmenter. En 2018, ce mode de résidence concernait 400.000 mineurs, ce qui représente un enfant de parents divorcés sur cinq.

La résidence en alternance des enfants de parents séparés pourrait bien un jour devenir la règle tant elle est plébiscitée et de plus en plus demandée par les pères.

A l’heure actuelle, lorsqu’il y a un désaccord entre les parents sur ce mode de résidence, les juges apprécient l’intérêt de l’enfant.

Dans de nombreux cas, le parent qui refuse la mise en place d’une résidence alternée allègue d’un conflit important rendant impossible toute forme de communication entre les parents. Il est courant de voir que le parent qui s’oppose fermement à un tel mode de résidence fait en sorte d’entretenir un conflit parfois ancien pour essayer d’échapper à la mise en place de la résidence alternée de l’enfant.

Quid de l’intérêt de l’enfant qui se retrouve dans une telle situation, tiraillé entre des parents qui ne se parlent plus voire qui font preuve d’une animosité exacerbée l’un envers l’autre ?

Il est primordial de rappeler que, lorsque les conditions psychologiques, matérielles et géographiques sont réunies et que les qualités parentales de chacun des parents ne sont pas remises en cause, l’intérêt supérieur de l’enfant est de bénéficier de la continuité et de l’effectivité des liens avec chacun de ses parents.

En exemple l’affaire d’un père, qui se sentait quotidiennement frustré de ne pas pouvoir nouer un lien avec sa fille âgée de 5 ans à d’autres moments que ceux qui étaient prévus dans un précédent jugement, à savoir un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires.

Le père avait déménagé pour se rapprocher du lieu d’habitation principal de son enfant et avait organisé sa vie pour mettre en place une résidence alternée. La mère, qui refusait catégoriquement de changer le mode de résidence de l’enfant, allait même jusqu’à refuser de donner des nouvelles de l’enfant au père et préférait l’inscrire au centre de loisirs les mercredis après-midis plutôt que de l’accompagner chez son père lorsque celui-ci était disponible.

A été mis en avant pour ce cas, un courant jurisprudentiel de plus en plus prégnant selon lequel le conflit parental ne saurait pas être, à lui seul, un motif suffisant de refus d’une résidence alternée. Si un parent continue malgré tout dans une attitude ultra conflictuelle, cela montre que ce parent n’est pas capable de respecter l’intérêt de l’enfant et il revient au Juge aux affaires familiales d’en tirer toutes les conséquences.

Aux termes d’un jugement rendu le 21 mars 2019, Monsieur le juge aux affaires familiales de Bobigny a considéré que : « Il sera rappelé que la résidence alternée ne constitue pas un « jugement de Salomon », mais bien une modalité édictée par l’article 373-2-9 du Code civil. Dans l’intérêt de l’enfant, la priorité est aujourd’hui de prévoir la modalité qui sera la plus à même d’apaiser le conflit parental : le bon développement de l’enfant ne dépendra pas du nombre de jours passés avec l’un ou l’autre, mais bien de la fin de cette discorde. »

D’autres jugements ont été rendus en ce sens, prônant un respect de la coparentalité par le biais de la résidence alternée.

Ces jurisprudences sont aussi pédagogiques qu’abondantes et retiennent essentiellement que :

« La résidence alternée des enfants permet d’atténuer, si ce n’est d’éviter, les risques de conditionnement des enfants par l’un ou l’autre des parents, et constitue un facteur d’apaisement des rivalités conjugales, en valorisant la fonction et les prérogatives parentales de chacun… » ; [1]
« Si la garde alternée suppose une entente entre parents, il n’en demeure pas moins que de refuser ce mode de garde au seul motif de l’existence d’un conflit conjugal peut avoir également pour effet d’inciter le parent réfractaire à alimenter ce conflit afin de faire échec à la mise en place d’une garde alternée. Dès lors que les conditions matérielles et affectives sont réunies, la garde alternée peut également inciter les parents à s’entendre dans l’intérêt de leur enfant et de leur faire prendre conscience de la nécessité de reconnaître la place de l’autre auprès de l’enfant » ; [2]
« Le partage classique entre résidence principale et droit de visite et d’hébergement chez l’autre parent contribue à fragiliser le lien entre l’enfant et le parent chez lequel il ne vit pas au quotidien. Il convient donc d’encourager ce type d’organisation de l’hébergement de l’enfant, condition d’une coparentalité réelle et élément fondamental pour lutter contre la précarisation de l’une ou l’autre des fonctions parentales ». [3]

« Les conditions difficiles de la séparation du couple sont sans rapport avec la question de la résidence de l’enfant […] l’enfant peut être confronté au conflit entre ses parents quelque soit son mode de résidence. […] l’intérêt de l’enfant, son équilibre et son épanouissement, commandent qu’il y ait une répartition la plus harmonieuse possible du temps passé avec chaque parent » [4].

En définitive, la résidence alternée est favorable à l’enfant qui pourra préserver des liens avec ses deux parents, dès lors que les aptitudes de chacun d’eux ne sont pas remises en cause et qu’il existe une proximité entre les deux domiciles aux fins d’éviter de longs trajets fatigants pour l’enfant.

Un tel mode de résidence permet de laisser à chaque coparent sa place auprès de l’enfant et de s’investir pleinement dans l’éducation et l’entretien de leur enfant.

L’alternance est également un mode de résidence privilégié en cas de familles recomposées en vertu du principe d’unité de la fratrie. Il a pu être retenu que : « Le père a eu un autre enfant depuis la séparation. Il est ainsi dans l’intérêt supérieur de l’enfant de pouvoir nouer des liens réguliers avec cet enfant, objectif que favorise la résidence alternée ».

Pour toutes ces raisons, il serait évidemment souhaitable que, dès lors que toutes les conditions sont réunies et qu’il n’est pas démontré qu’un tel mode de résidence est néfaste à l’enfant, la résidence alternée devienne la règle dès lors qu’elle est demandée par l’un des parents ; et ce malgré l’existence d’un conflit ou le jeune âge des enfants qui sont des motifs trop souvent retenus pour y faire échec…

Flora LABROUSSE, Avocat au Barreau de Paris Consultation : https://consultation.avocat.fr/cabinets/cabinet-flora-labrousse-75009-41967a87ce.html Site internet : https://9trevise-avocat.com/

[1Cour d’appel de Rennes, arrêt du 10 février 2003 (n°01- 03822).

[2TGI Pontoise, ordonnance du 28 février 2008 (n° 06-07776).

[3CA Paris, 10 février 1999.

[4CA Chambéry, 23 janvier 2017, n° 16/01313.

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