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La Saisie conservatoire. Par Raphael Tedgui, Avocat.
Parution : lundi 3 février 2020
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Le terme de mesure conservatoire désigne la mesure qu’un créancier est autorisé à prendre sur autorisation judiciaire sur les biens de son débiteur afin que celui-ci ne les dissipe ou ne les dissimule, et compromette ainsi toute possibilité future d’exécution.

Autrement dit, c’est une mesure qui permet de « bloquer » un élément du patrimoine du débiteur (sommes d’argent, bien mobiliers) afin que ce dernier soit dans l’impossibilité de le donner, de le vendre ou de le détériorer.

La mesure conservatoire a donc un caractère préventif et permet au créancier de s’assurer que son débiteur ne puisse pas organiser son insolvabilité.

Il existe deux mesures conservatoires : les saisies conservatoires et les sûretés judiciaires.

C’est l’article L511-1 du Code des procédures civiles d’exécution qui définit la saisie conservatoire : « Toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement. La mesure conservatoire prend la forme d’une saisie conservatoire ou d’une sûreté judiciaire. »

Si le juge donne son accord, le débiteur ne pourra plus donner, vendre ou détériorer les biens qui ont été provisoirement saisis.

L’objectif pour le créancier demeure donc de rendre indisponibles certains biens appartenant au débiteur.

Le ou les biens restent dans le patrimoine du débiteur en attendant que le créancier porteur d’un titre exécutoire puisse éventuellement le vendre pour se payer sur le prix.

L’intérêt essentiel de la saisie conservatoire réside dans son effet de surprise.

En outre, l’indisponibilité est immédiate, dès la première intervention de l’huissier de justice, sans commandement préalable ni un quelconque avertissement.

Une fois condamné à payer sa dette, si le débiteur ne rembourse pas le créancier, les biens saisis peuvent être vendus avec la procédure de saisie-vente.

L’autorisation préalable du juge n’est pas nécessaire si le créancier dispose d’un titre exécutoire ou en cas de défaut de paiement d’une lettre de change acceptée, d’un billet à ordre, d’un chèque ou d’un loyer resté impayé dès lors qu’il résulte d’un contrat écrit de louage d’immeubles [1].

Sur les conditions d’applications.

Il ressort de l’article L511-1 du Code des procédures civiles d’exécution précité que pour procéder à la saisie conservatoire deux conditions sont exigées :
- Une créance paraissant fondée en son principe ;
- Une créance menacée dans son recouvrement.

1. S’agissant de la première condition, la créance ne doit pas forcément être certaine, liquide et exigible. Ce sont les trois critères retenus classiquement par le droit français et les tribunaux pour caractériser l’existence d’une créance.

En effet, il n’est pas nécessaire que la créance soit certaine, une créance vraisemblable en apparence peut suffire [2], cette créance ne devant pas forcément être chiffrée de manière précise [3].

Ce sera le juge qui appréciera au cas par cas la réalité de la créance avec les pièces que lui produira le créancier.

En outre, une créance paraissant fondée en son principe n’a pas besoin d’être liquide [4]. La créance est liquide lorsqu’elle peut être évaluée en argent ou lorsque le titre contient tous les éléments permettant son évaluation.

Enfin, la créance ne doit pas forcément être exigible, une saisie-conservatoire peut être obtenue pour une créance à terme non-échu [5].

2. S’agissant du fait que la créance soit menacée dans son recouvrement, il faut que le créancier démontre que la créance est en péril. En effet, il ne suffit pas que le débiteur refuse de payer : la saisie conservatoire ne pourra être ordonné si le créancier ne rapporte pas la preuve d’un risque d’insolvabilité.

La preuve de cette insolvabilité avérée ou en cours peut être rapporté par tout moyen.

A titre d’exemple, la Cour de cassation a considéré qu’un créancier pouvait solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une saisie conservatoire s’agissant d’une créance d’une société qui n’avait pas déposé ses comptes annuels, dont le résultat de l’exercice faisait état d’un déficit important et qui n’avait pas déféré à la sommation du créancier de régler sa dette ainsi qu’à plusieurs mises en demeure.

Sur les compétences juridictionnelles, les délais et les modalités d’applications.

Sur la compétence du juge.

S’agissant des modalités de la procédure, la demande d’autorisation prévue par le Code de procédure civile d’exécution [6] est formée par requête [7] et est donc non contradictoire.

Cette requête doit être formée en double exemplaire [8].

Le juge compétent sera le juge de l’exécution du lieu où demeure le débiteur [9] sauf lorsque la créance est commerciale et dans ce cas c’est le président du Tribunal de commerce qui est compétent.

Il convient d’indiquer que le dépôt d’une requête en autorisation d’une mesure conservatoire n’étant pas une citation en justice, elle n’interrompt pas la prescription [10].

Si le juge rejette la demande, le créancier peut interjeter appel dans un délai de 15 jours.

Le juge rendra une ordonnance autorisant la saisie mais il devra, à peine de nullité, indiquer le montant des sommes pour la garantie desquelles la mesure est autorisée et la nature des biens concernés par la mesure [11].

Le Code des procédures civiles d’exécution [12] confère au juge le pouvoir de procéder à un réexamen de sa décision.

Dans ce cas le juge fixera dans l’ordonnance la date de l’audience sans préjudice du droit pour le débiteur de le saisir à une date plus rapprochée [13].

Une fois l’ordonnance du juge obtenu, la saisie conservatoire doit être effectuée par un huissier.

Sur les délais à respecter.

Il existe un délai pour exécuter la mesure conservatoire (1) et un délai pour obtenir un titre exécutoire (2).

1. L’ordonnance sera caduque si la mesure conservatoire n’a pas été exécutée dans un délai de trois mois à compter de l’ordonnance [14].

Le point de départ du délai est l’ordonnance d’autorisation accordée par le juge.

Le non-respect du délai entraîne la caducité de l’autorisation accordée, elle ne pourra plus servir de fondement à aucune autre mesure conservatoire.

Si le créancier veut mettre en œuvre une nouvelle mesure conservatoire, il devra solliciter à nouveau une autorisation du juge.

2. Etant provisoire la mesure conservatoire n’a pas vocation à perdurer en raison de son effet paralysant sur les biens qu’elle frappe d’indisponibilité.

Le but poursuivi par le créancier est soit de confirmer les inscriptions provisoires, soit de convertir la saisie conservatoire en saisie exécution.

Excepté les cas où la mesure conservatoire a été pratiquée avec un titre exécutoire, le créancier, dans le mois qui suit l’exécution de la mesure, à peine de caducité, introduit une procédure ou accomplit les formalités nécessaires à l’obtention d’un titre exécutoire [15].

En revanche, le délai ne court pas si le créancier est déjà muni d’un titre exécutoire ou s’il a accompli les diligences requises avant même d’exécuter la mesure conservatoire.

La notion de procédure à introduire est interprétée favorablement au créancier par la jurisprudence et peut comprendre notamment :
- Le cas où le créancier a déjà assigné avant de procéder à la mesure conservatoire, une nouvelle citation n’est alors pas nécessaire [16] ;
- Une demande en divorce accompagnée d’une demande de révocation de donation entre époux [17] ;
- Une notification par l’administration fiscale d’une procédure de vérification de comptabilité [18] ;
- Une plainte avec constitution de partie civile contre le débiteur [19].

Sur les biens saisissables.

S’agissant des biens saisissables, l’article L521-1 du Code des procédures civiles d’exécution dispose que :
« La saisie conservatoire peut porter sur tous les biens mobiliers, corporels ou incorporels, appartenant au débiteur.
Elle les rend indisponibles.
Sous réserve des dispositions de l’article L523-1, un bien peut faire l’objet de plusieurs saisies conservatoires.
 »

En revanche, la saisie conservatoire ne peut pas porter sur des biens insaisissables listés par l’article R112-2 du Code des procédures civiles d’exécution tels que par exemple les denrées alimentaires, le linge de maison, les souvenirs à caractères personnel ou familial [20], les animaux d’appartements ou de garde, la literie etc.

En outre, la saisie conservatoire ne peut pas porter sur des biens frappés d’une clause d’inaliénabilité [21] ou appartenant à une indivision [22].

Sur les contestations du débiteur.

Le débiteur peut demander au juge la mainlevée de la saisie conservatoire s’il estime qu’elle n’est pas justifiée, même lorsqu’une autorisation préalable n’est pas requise [23].

Il incombe au créancier de prouver que les conditions requises pour la saisie conservatoire sont réunies [24].

Les frais occasionnés par une mesure conservatoire sont à la charge du débiteur, sauf décision contraire du juge et lorsque la mainlevée a été ordonnée par le juge, le créancier peut être condamné à réparer le préjudice causé par la mesure conservatoire [25].

Si le juge ordonne la mainlevée, le créancier peut être condamné à réparer le préjudice causé par la mesure conservatoire.

Conversion en saisie-vente.

Après avoir obtenu un titre exécutoire, le créancier pourra alors, si le débiteur ne paie pas sa dette, engager la conversion de la saisie conservatoire en saisie-vente.

Le créancier devra faire appel à un huissier de justice qui dressera un acte de conversion qui comprendra notamment la référence au procès-verbal de saisie conservatoire, la mention du titre exécutoire qui a constaté la créance, le décompte précis des sommes à payer et l’indication du taux des intérêts, un commandement de payer cette somme faute de quoi il sera procédé à la vente des biens saisis.

Dans le cas où le débiteur ne s’exécute pas dans le délai requis par l’huissier de justice, il disposera alors d’un délai d’un mois pour vendre lui-même les biens saisis et rembourser le créancier faute de quoi la vente forcée des biens saisis pourra être diligenté.

Raphael TEDGUI Avocat à la Cour Membre de l'Institut des Avocats Conseils Fiscaux (IACF) [->rt@tedgui-avocat.com]

[1Article L511-2 du Code des procédures civiles d’exécution.

[2Cass. 2e civ., 6 sept. 2018, n° 17-21.069.

[3Com. 14 déc. 1999, n°97-15-361.

[4Cass. com., 14 déc. 1999, n° 97-15.361.

[5Civ. 3e 19 avr. 1977.

[6Article L511-1.

[7Article R511-1.

[8Article 494 du Code de procédure civile.

[9Article R511-2 du Code des procédures civiles d’exécution.

[10Cass. 2e civ., 22 sept. 2016, n° 15-13.034.

[11Article R511-4 du Code des procédures civiles d’exécution.

[12Article R511-5.

[13Article R511-5, al. 2 du Code des procédures civiles d’exécution.

[14Article R511-6 du Code des procédures civiles d’exécution.

[15Article R511-7 du Code des procédures civiles d’exécution.

[16Cass. 2e civ., 30 mai 2002, n° 99-21.597.

[17Cass. 2e civ., 4 mars 1999, n° 97-11.316.

[18Cass. 2e civ., 4 oct. 2001, n° 99-19.986.

[19CA Aix-en-Provence, 14 févr. 2014, n° 2014/120.

[20Voir Cass. 2e civ., 12 mai 2016, n° 15-15.158.

[21Article 900-1 du Code civil.

[22Article 815-17 du Code civil.

[23Article L512-1 du Code des procédures civiles d’exécution.

[24Cass. 2e civ., 6 oct. 2005, n° 04-12.063.

[25Article L512-2 du Code des procédures civiles d’exécution.

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