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Léonard De Vinci, propriété intellectuelle et authentification de l’œuvre d’art. Par Ilaria Greta De Santis, Juriste.
Parution : lundi 3 février 2020
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L’exposition du Louvre dédiée à Léonard de Vinci, et ouverte depuis le 24 octobre dernier, fait couler beaucoup d’encre et contribue à enrichir le débat séculier sur l’œuvre du grand maître de la Renaissance italienne.

Le caractère exceptionnel de cette exposition est dû non seulement au fait qu’elle est organisée lors du cinquième centenaire de la mort de Léonard et par le Musée qui détient la plus importante collection de ses œuvres, mais surtout car elle réunit 163 œuvres de Léonard entre peintures, dessins et carnets, provenant pour cette occasion spéciale, des quatre coins du monde.

Or, il faut savoir que très peu d’œuvres sont reconnues comme étant de Léonard, on compte environ seulement une quinzaine de tableaux, bien qu’il nous soient également parvenus ses carnets contenants des dessins, des documents scientifiques ainsi que des réflexions sur la peinture. Si ce nombre exigu de tableaux est sans doute lié aux expérimentations constantes de Léonard, qui le conduisaient même à laisser inachevés « incompiuti » ses tableaux, cela est dû également à la difficulté d’authentification de ses œuvres.

Puisque les moyens permettant d’authentifier une œuvre d’art sont nombreux et peuvent parfois être contradictoires, l’exemple de Léonard permet d’introduire un thème qui soulève des nombreuses questions juridiques et notamment en droit de la propriété intellectuelle.

Encore un article sur Léonard pourrait-on dire ? Certes, mais celui-ci est tout particulier car il aborde l’œuvre du grand maître d’un point de vue juridique. D’ailleurs comme l’a si bien énoncé Nicolas Dissiaux, « Il y a mille et une manières de faire du droit !  ».

Introduction

L’authentification d’une œuvre d’art requiert des compétences qui vont au delà de la connaissance juridique. Cela implique bien évidemment une solide connaissance en histoire de l’art, l’utilisation parfois de moyens scientifiques notamment dans le cas des œuvres particulièrement anciennes comme celles de Léonard. En utilisant ces techniques on a pu lors de la restauration du tableau Vierge et enfant avec Saint Joseph, juqu’à lors attribué à Fra Bartolomeo, remarquer la présence d’une empreinte digitale similaire à celle qui apparaît dans le tableau de Léonard, La Dame à l’Hermine en relançant ainsi les débats sur l’attribution de l’oeuvre. Un rôle fondamental est également joué par les experts d’art. Ces derniers n’ayant pas un statut réglementé, en principe tout le monde pourrait se dire expert si ce n’était qu’il faut agir en connaissance de cause car ces professionnels peuvent voir leur responsabilité mise en cause.

D’autre part, il existent des indicateurs permettant d’authentifier une œuvre comme sa présence dans un catalogue raisonné ou la reconnaissance par une institution spécialisée. A cet égard, il est intéressant de remarquer que certains d’entre elles délivrent un certificat d’authenticité en se fondant sur le droit d’auteur. En effet, bien que la loi ne reconnaisse à personne, ni même à l’artiste, la possibilité d’établir dans l’absolu l’authenticité d’une œuvre, en réalité parfois, le marché de l’art donne ce pouvoir à une ou deux personnes, physiques ou morales. On pense ici pour exemple au Musée Rodin qui a pour vocation non seulement de faire connaître l’œuvre du sculpteur mais également de « faire respecter le droit moral qui y est attaché ».

Par ailleurs, il est intéressant de mentionner que certains artistes adoptent des systèmes d’authentification particuliers. C’est le cas pour exemple de Daniel Buren, qui a prévu qu’un « avertissement » doit être joint à chacune de ses œuvres afin d’en assurer l’authenticité. Il s’agit dans ce cas d’un mécanisme contractuel, mais le droit offre aussi des autres outils pour l’authentification des œuvres.

Dans cette article, on s’intéressera plus particulièrement à la contribution que peut apporter le droit de la propriété intellectuelle dans cette difficile tâche qu’est l’authentification d’une œuvre d’art.

I- Le rôle du droit d’auteur (et le droit de paternité).

En droit français, le droit d’auteur confère au créateur de l’œuvre un droit moral perpétuel, non cessible et imprescriptible. Cela lui permet d’exiger, s’il le souhaite, que son nom soit indiqué sur toute reproduction ou représentation de son œuvre, c’est ce qui est défini le droit à la paternité ; mais également de s’opposer à une divulgation non consentie de son œuvre ainsi qu’à une utilisation qui la dénaturerait.

Dans ce contexte, si une protection face à une copie à l’identique est plus aisée, cela se complique dans le cas où des différences plus importantes peuvent être constatées entre l’œuvre initiale et la nouvelle création. Dans ce cas en effet, il faudra constater si cette dernière constitue une utilisation illicite de l’œuvre initiale. Cela n’est point évident car comme l’indique Eugène Pouillet, « il est souvent difficile d’apprécier le moment où cesse la simple inspiration et où commence l’imitation ».

En effet, le processus de création implique bien souvent la reprise d’œuvres existantes. Ainsi, on constate que même Léonard n’est pas parti du néant, mais au contraire il a repris les recherches de ses prédécesseurs en les retravaillant et en les améliorant. Par ailleurs, son œuvre n’a jamais cessé d’influencer les générations futures, en premier lieux les maîtres du Seicento, tels que Giorgione, Dürer, Carreggio et Holbien mais également Michel Ange et Raphaël.

Nombreux sont également ceux qui lui ont rendu hommage. Pour ne citer qu’un exemple récent, cela est le cas des œuvres présentées dans l’exposition collective « Veni, vidi, vinci. L’art urbain face au génie », organisée en honneur de Léonard De Vinci au Fluctuart et dans laquelle des artistes de carrure internationale revisitent l’œuvre du grand maître.

Cependant de nombreux abus ont également été perpétrés au fil des siècles concernant les œuvres du grand maître, d’autant qu’un doute généralisé s’est installé quant à l’authenticité de certaines de ses œuvres. En est un exemple l’huile sur toile dont la datation est estimée entre 1490 et 1519, connu comme Salvador Mundi. Ce tableau, déjà décrit par le premier historien de l’art Giorgio Vasari, et ayant été vendu en 2017 par Christie’s à un collectionneur anonyme, est objet de débat quant à son attribution. En effet, si certains historiens de l’art le considèrent comme une œuvre de Léonard, d’autres contestent cette thèse.

Le spécialiste de la technique picturale du maître, Jacques Franck indique qu’il ne peut s’agir d’une œuvre de Léonard puisque on remarque « la rotation du majeur (de la main du Christ) sur lui même, (ce qui est) anatomiquement impossible » alors que Léonard, qui avait bien étudié l’anatomie, n’aurait jamais commis une telle erreur. Cet avis est partagé par le philosophe Daniel Salvatore Schiffer, lequel nie la paternité du tableau en estimant que « quand on analyse dans le détail, rien n’est de Léonard, ce n’est pas dans son esprit ».

Il adopte ainsi un raisonnement tout à fait juridique puisque en cas de contentieux sur l’attribution d’une œuvre, le juge se base sur le fait que pour pouvoir parler d’une œuvre il faut que l’idée concrétisée soit originale, en d’autres termes qu’elle reflète la personnalité de son auteur.

C’est probablement, entre autre, pour cette raison que ce Salvador Mundi n’est pas présent à l’exposition du Louvre qui, comme l’indique Daniel Salvatore Schiffer, risquerait de « tacher sa crédibilité et sa réputation » s’il exposait une œuvre sur laquelle subsistent des doutes. Cette crainte ne semble pourtant pas partagée par Christie’s qui d’après les mots de son porte-parole s’en tient aux « recherches approfondies qui ont conduit à l’attribution du tableau en 2010 ».

II- La distinction entre contrefaçon et faux artistique.

Ainsi, si le fait de s’inspirer d’ un autre auteur est admise ce que l’on ne peut pas imiter c’est la façon particulière qu’un autre a utilisé pour s’exprimer.

Toutefois, si la violation du droit d’auteur est avérée, le titulaire pourra mettre en œuvre tous les moyens légaux à sa disposition, tant sur le plan civil que pénal. A cet égard, il contribue par son action à l’identification des œuvres originales.

A ce stade, il est donc nécessaire d’opérer une distinction entre la contrefaçon et le faux artistique. En droit, la contrefaçon vise tout acte portant atteinte aux droits de propriété intellectuelle (droits patrimoniaux et droit moral) d’un auteur, tandis que le faux consiste en l’imitation ou la substitution frauduleuse de la signature ou du signe distinctif d’un artiste sur une œuvre d’art dans le but de tromper l’acheteur.

On pourrait penser que ces délits se rejoignent, le champ large de la contrefaçon semblant inclure celui du faux, mais la jurisprudence a jugé de longue date que le régime de la contrefaçon ne protégeait pas contre les faux : le droit de paternité permet à l’artiste d’exiger que son nom figure sur ses œuvres, mais ne l’autorise pas à demander la suppression de son nom sur une œuvre qui ne serait pas de lui.

Il peut cependant arriver que ces deux notions se superposent, comme ça a été le cas dans un jugement du 12 janvier 2013 du Tribunal de grande instance de Paris, concernant une toile attribuée au peintre Chagall. En effet, le Comité Chagall n’avait pas pu effectuer une action pénale pour faux artistique à l’encontre du propriétaire, puisque cette action ne peut être intentée qu’à l’encontre du faussaire lui-même ou des professionnels du marché de l’art ayant sciemment participé à la mise en circulation du faux considéré ; et avait donc demandé une saisie-contrefaçon de l’œuvre au titre de l’article L332-1 du Code de la propriété intellectuelle.

Le Tribunal a accueilli la requête en estimant que la toile litigieuse pouvait être considérée à la fois comme un faux, car réalisée dans le style et portant la signature d’un peintre qui n’en était pas l’auteur, et comme une contrefaçon, car reprenant certains éléments iconographiques d’un autre célèbre tableau de Chagall.

Certaines œuvres attribuées à Léonard ont pu également être considérées comme des faux. On peut rappeler en ce sens le tableau nommé « La Belle Princesse » estimé à plus de 150 millions d’euros. Alors que cette œuvre avait déjà été exposée en Italie et présentée comme une œuvre de Léonard, le célèbre faussaire anglais Shaun Greenhalgh affirme, après avoir été condamné pour son activité illicite en 2007, en être le véritable auteur. Il va même plus loin en précisant qu’il a pris comme modèle une caissière du supermarché dans lequel il travaillait à l’époque de la création du tableau.

Bien que des nombreuses preuves discréditant les affirmations de Greenhalgh ont été apportées, on pense pour exemple aux traces d’isotopes de plomb trouvés par un laboratoire spécialisé sur la joue du modèle confirmant qu’il doit avoir au moins 250 ans, il a suffi d’une simple affirmation pour faire germer le doute quant à la paternité de l’oeuvre. Cela permet d’illustrer par ailleurs, l’importance de la réputation dans le marché de l’art.

Quoi qu’il en soit personne ne peut agir pour faire respecter le droit moral de Léonard de Vinci, même si en principe cela serait possible puisque comme on l’a vu le droit moral est perpétuel et va même au delà de la mort de l’artiste, il n’existent pas d’ayants droit du grand maître.

En effet, il convient de rappeler qu’en principe, les œuvres du domaine public peuvent être utilisées sans autorisation même à titre commercial à condition de respecter le droit moral de l’auteur. Ce qui implique le fait d’associer le nom de l’auteur à l’œuvre et d’en respecter l’esprit. Suivant l’article L123-1 du Code de la propriété intellectuelle, l’oeuvre tombe dans le domaine public lorsque le droit patrimonial de l’auteur s’éteint, ce qui advient 70 ans après la mort de l’artiste. Mais ce n’est pas la la seule différence entre droit moral et droit patrimonial, en effet ce dernier peut également être cédé.
Cet écart entre droit moral et patrimonial, qui constitue une autre des particularités du droit d’auteur français, implique plusieurs conséquences.

Il peut notamment s’avérer que la titularité des différents droits de l’auteur soit répartie entre plusieurs personnes (physiques ou morales) qui peuvent avoir des opinions différentes quant à l’attribution d’une œuvre d’art. C’est pourquoi on remarque qu’une importance de plus en plus grandissante est donnée à la signature qui parfois est protégée en tant que telle au-delà de l’œuvre.

III- La protection de la signature par le droit des marques.

Si l’on aborde cette question sous l’angle du droit de la propriété intellectuelle la signature d’un artiste peut être objet de protection de la part du droit des marques, en ce qu’elle a pour fonction d’identifier l’œuvre en question. En effet, bien que ce ne soit pas une preuve absolue, la signature est un indice d’authenticité en ce qu’elle permet dans certains cas de confirmer que l’oeuvre a été exécutée par un certain artiste et qu’elle est, en principe, achevée. A cet égard le rôle de la signature peut être assimilé à la fonction distinctive de la marque qui a pour but de différencier un produit d’un autre. Si cette assimilation entre oeuvre d’art et produit de consommation semble absolument aberrante au premier abord, cela confirme malheureusement une tendance de plus en plus grandissante du marché de l’art. Ainsi, la qualification d’œuvre d’art semble aujourd’hui souvent liée à l’apposition d’une signature de la part de l’artiste.

Ainsi, Léonard De Vinci, signait la plupart de ses œuvres avec le sigle cryptique "iv", qui n’est pas immédiatement reconnaissable. A cet égard le professeur Enrico Guidoni affirme pour exemple que la Tavola Strozzi, conservée au Musée San Martino de Naples, serait une oeuvre de Léonard qui l’aurait signé au niveau de la digue du port. Il en va de même pour la Vierge aux rochers sur laquelle deux montagnes feraient apparaître la lettre "v". Il va de soi l’authentification des œuvres du grand maître se basent sur d’autres données factuelles et stylistiques, mais la présence d’une quelconque signature peut sans doute aider.

Ce qui conceptuellement est donc fort regrettable, en ce que les artistes doivent être libres de choisir de signer ou non leur oeuvre, cela peut dans certains cas se révéler utile pour les protéger et protéger leur création. Par ailleurs de signes distinctifs peuvent parfois être considérés comme une signature.

Ilaria Greta De Santis Juriste en Droit du Marché de l\'art Licenciée en Histoire de l’art à La Sorbonne