Village de la Justice www.village-justice.com

MARD : Approche et transformation constructive des conflits (ATCC). Par Gwenaëlle Bouille, Avocate et Hervé Ott, Formateur.
Parution : mercredi 5 février 2020
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/approche-transformation-constructive-des-conflits-atcc-sortir-sentiment,33680.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Le conflit est le plus souvent ce qui conduit les clients à pousser la porte des cabinets d’avocats. Ils ont besoin de leur accompagnement pour traverser les conflits qu’ils vivent et travailler en toute confidentialité à l’élaboration d’une « solution ».

En tant que garant professionnel, leur rôle est fondamental dans la définition et le respect du cadre, tant dans la relation client, que dans la mise en place d’une négociation, cela afin d’instaurer un climat de confiance.

Or, investir leur posture de garant implique la reconnaissance de leurs propres besoins et valeurs (garant pour soi) afin de renforcer leur savoir être et leur savoir-faire, et ainsi de sortir ou éviter des situations de blocage pouvant engendrer un sentiment d’impuissance.

Ce qui caractérise notre approche des conflits.

Les conflits sont intrinsèques aux mouvements de la Vie : ils sont la manifestation d’un blocage dans ces mouvements de démultiplication et de créativité. Ces blocages résultent de la frustration de nos besoins psychologiques (amour, reconnaissance, orientation, sécurité, autonomie et sens), qui se manifestent par les émotions (colère, peur, etc..).

Les conflits sont en même temps des leviers de changement, de transformation, de créativité, d’innovations relationnelles, sociales, organisationnelles, techniques et mêmes culturelles. Les transformations majeures et constructives des modes de vie de l’humanité sont le résultat d’adaptations opérationnelles provoquées par des blocages qu’il a fallu transcender. La première innovation consiste en un changement de regard sur la dynamique interne des conflits.

Deux formes de conflits sont principalement identifiables :

- les conflits d’objet, d’intérêts qui peuvent se transformer de manière constructive et ainsi donner lieu à un accord négocié, équilibré, durable et accepté de tous les protagonistes ;
- les conflits de personnes ou d’identités qui surgissent lorsque la confiance a disparu et se traduisent par des accusations, dévalorisations et agressions verbales pouvant dégénérer en agressions physiques, depuis la rixe jusqu’à la guerre.

Toute transformation des conflits nécessite au préalable l’instauration ou la restauration d’un climat de confiance entre les protagonistes.

L’instauration d’un climat de confiance par le garant professionnel.

La confiance (du latin confides, confidere : cum, « avec » et fidere « se fier ») « ne tombe pas du ciel », elle se construit et s’entretient.

La confiance qu’on croie souvent « obligée » (Fais-moi confiance !), « aveugle » (Je vous fais confiance !), ou « coupable » (Je vois que tu ne me fais pas confiance !) est en réalité un processus à construire à partir de règles transparentes et communément convenues, dans le but de renforcer la sûreté et sécurité de chacun(e), dans un rapport entre adultes, non parental-infantile.

La confiance nécessite l’accord explicite des deux parties sur des modes de communication et de comportement caractérisés par le respect mutuel. Ce contrat discuté et signé par les parties est à l’initiative de la personne qui agit en tant que « garant professionnel ». Tiers non partisan et empathique, il doit prévoir les clauses d’expression respectueuse et respectée des différends, les étapes et moyens mis en œuvre, comme les conditions financières à l’exécution du contrat.

Et c’est par l’accueil et le respect des émotions que peut s’enraciner un climat de confiance.

L’accueil et le respect des émotions sont au cœur de la dynamique de la confiance.

En ayant une vision trop négative, par notre éducation très cartésienne, nous avons tendance à refouler, vouloir maîtriser les émotions parce qu’elles peuvent provoquer des écarts de langage ou de comportement préjudiciables à notre réputation et notre sécurité.

De fait, le processus même de refoulement, de maîtrise, transforme inconsciemment l’énergie des émotions en projections « contre » : dévalorisations, accusations, comparaisons, conseils.

Pourtant en tant que source d’énergie de protection (colère, peur, dégoût, honte, tristesse) les émotions sont en fait les gardiennes de la satisfaction de nos besoins et valeurs : si la « colère contre » produit des injures, des accusations ou des coups dirigés vers la personne qui, même involontairement a réveillé une de nos blessures, la « colère pour » sert à protester, à défendre sa dignité, sa liberté, la justice, ... par la résistance etc…

Le refoulement des émotions peut par ailleurs conduire à la perception d’un sentiment d’impuissance ou de toute-puissance (violence) dans les conflits, qui caractérisent respectivement les rôles de victime et d’agresseur.

Les sentiments d’impuissance ou de toute-puissance sont en fait des cocktails de deux ou trois émotions qui se neutralisent et qu’il importe de dés-imbriquer : la peur d’être jugé(e) peut conduire à refouler la colère, la honte ou la tristesse, d’où l’impossibilité d’agir ; la peur de la tristesse, de la honte, peut provoquer de la colère d’où une sur-réaction agressive (rôle d’agresseur) avec une intention d’attaquer pour se protéger etc. Dans ce dernier cas, une réaction agressive est la trace d’un rôle de victime nié : il faut revenir à la blessure de victime.

Il est donc indispensable d’accueillir avec bienveillance pour soi, pour les autres, chacune des émotions qui peuvent en masquer une autre. Une fois ce travail fait, il est alors possible d’en utiliser l’énergie depuis son rôle de victime, pour l’orienter avec une intention de bienveillance, de coopération à l’égard de l’autre ou de protection pour soi. Ce mouvement est indispensable pour retrouver un rôle de garant, garant de soi/ de ses valeurs ou garant professionnel (garant de la loi / des règles, des orientations, du cadre), qui est en principe dénué d’émotion, sinon limité à de l’empathie.

Perspectives.

Investir la posture d’avocat-garant requiert à la fois des compétences techniques et aussi des compétences relationnelles : ces dernières ont été reléguées à l’arrière-plan par la réduction des conflits à une dimension purement technique, à une gestion de rapports de forces et finalement à la restauration paradoxale et involontaire de la loi du plus fort.

Il s’agit donc aujourd’hui de renforcer ses compétences relationnelles par le développement de son intelligence émotionnelle : accueillir avec bienveillance ses propres émotions comme celles de ses clients, partenaires, collègues, pour contractualiser des rapports de confiance qui vont permettre la satisfaction des besoins individuels en cohérence avec les valeurs qui donnent du sens à notre humanité.

Me Gwenaëlle BOUILLE Avocat en droit des affaires - droit commercial Formatrice et consultante en approche et transformation constructive des conflits, membre de l\'ATCC-Institut Praticien et formatrice en processus collaboratif, membre de l\'AFPDC et de Cap-collaboratif Présidente d\'Aide et Action France
Comentaires: