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Les chantiers actuels de réformes de la justice environnementale. Par Andréa Rigal-Casta, Avocat.
Parution : jeudi 6 février 2020
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La transition écologique ne peut être réalisée sans un système judiciaire et un arsenal juridique adaptés aux enjeux modernes de la protection de l’environnement.

Des réformes des systèmes judiciaires dans ce sens sont ainsi réalisées à travers le Monde. Là où certains Etats choisissent de faire de la nature (ou de ses composantes) un sujet de droit, d’autres préfèrent répondre à la grande spécificité du droit de l’environnement par la création de juridictions dédiées à cette matière.

Quelle position la France adopte-t-elle dans ce grand mouvement d’ensemble ?

La France s’inscrit directement dans ce mouvement puisqu’une réforme de la "justice environnementale" a été présentée le 29 janvier 2020 au Conseil des Ministres par Madame la Garde des Sceaux Nicole Belloubet (I.), sujet sur lequel une mission conjointe du Conseil général de l’environnement et du développement durable (le « CGEDD ») et de l’Inspection générale de la Justice (« IGJ ») a réalisé un rapport publié dès le lendemain (II.).

I. Les grands axes de la réforme envisagée par la Garde des Sceaux.

Le projet du ministère de la Justice s’articule autours de plusieurs propositions d’envergure.

Il s’agirait, d’une part, de créer une juridiction spécialisée dans la résolution des contentieux environnementaux à trois niveaux : la justice « du quotidien » qui comprendrait les litiges portant sur le cadre de vie des citoyens, la création d’une juridiction rattachée aux Cour d’appel pour les affaires considérées comme plus techniques (ICPE, sites et sols, etc) ainsi que la mise en place de deux pôles à compétence nationale dédiés aux risques industriels spécifiques et de grandes envergures (accidents industriels, infractions en matière de droit du nucléaire, etc.) à Paris et à Marseille.

Autres propositions majeures du Gouvernement, créer un nouveau délit d’atteinte grave et de mise en péril de l’environnement et de la biodiversité et adapter la procédure de Convention judiciaire d’intérêt public aux affaires environnementales en créant une « Convention Judiciaire écologique ».

Pour rappel la Convention judiciaire d’intérêt public, créée par la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique de 2016, permet au Procureur de proposer à une personne morale mise en cause pour un ou plusieurs délits en matière de corruption, de trafic d’influence ou de blanchiment d’infraction de fraude fiscale de conclure une convention. Cette convention comprend alors des obligations à l’égard de la personne mise en cause (paiement d’une amende, mise en conformité de ses actions) en échange d’une extinction totale de l’action publique en ce qui la concerne.

Le projet de réforme du ministère de la Justice vient ainsi proposer des évolutions qui, dans leurs grandes lignes, apparaissent comme favorables à un meilleur traitement des litiges environnementaux, bien qu’il demeure pour l’instant trop peu détaillées. Le CGEDD et l’IGJ, quant à eux, développent des propositions dans un rapport bien plus complet et plus audacieux.

II. La réforme globale souhaitée par le CGEDD et l’IGJ.

Dans son rapport réalisé en octobre 2019 mais publié le 30 janvier 2020, intitulé « Une Justice pour l’environnement » [1] , une mission conjointe du CGEDD et de l’IGJ a fait le constat de l’insuffisance des dispositifs juridiques et judiciaires applicables à la protection de l’environnement.

Sur la base de ces constats, ces deux organes d’inspection ont formulé plusieurs recommandations dans une idée globale de renforcement de la réponse judiciaire aux infractions et litiges environnementaux.

Tout d’abord, la mission partage avec le projet du ministère de la Justice plusieurs axes d’évolution.

Elle propose en effet la création de la Convention judiciaire écologique ainsi que l’adoption d’un délit d’atteinte grave à l’environnement.

Le rapport de la mission s’oriente également vers la création de juridictions spécialisées, mais dans une forme différente de celle présentée par la Garde des Sceaux.

Là où le Ministère de la Justice propose de créer un juge spécialisé à trois niveaux différents, le CGEDD et l’IGF préfèrent voir apparaitre une « juridiction pour l’environnement » ou « JPE » auprès des 35 Cours d’appel françaises. Ces JPE auraient la charge du contentieux civil et pénal de l’environnement, incluant les litiges en lien avec le préjudice écologique pur.

Les magistrats des JPE seraient soumis à une formation particulière et bénéficieraient d’un statut singulier, limitant leur mobilité et incitatif. Ils seraient en outre assistés de juristes formés aux différentes composantes de la protection de l’environnement ainsi que d’assistants spécialisés provenant, par exemple, du Ministère de la transition écologique et solidaire ou d’autres organes de polices administratives compétentes.

Sur ce point, il est clair qu’entourer les magistrats des JPE d’assistants spécialisés ne peut être qu’une mesure favorable à une meilleure qualité des décisions judiciaires en matière environnementale. On peut cependant regretter que la mission n’envisage pas de détacher auprès de ces juridictions d’autres profils que ceux ayant un lien hiérarchique direct avec le Ministère de la transition écologique et solidaire.

Au-delà des interrogations que la proposition de la mission pose en termes de séparation des pouvoirs, on peut s’interroger sur les raisons de se priver des lumières d’autres établissements publics qui seraient, soit, sous la tutelle d’un Ministère mais qui bénéficieraient d’une plus grande autonomie à son égard.

On penserait par exemple à l’ANSES pour les problématiques de santé en lien avec l’environnement, à l’INERIS s’agissant des risques industriels ou encore au Muséum National d’Histoire Naturelle s’agissant des atteintes à la biodiversité.

Aux côtés des propositions précitées, le rapport des corps d’inspection présente des axes de réflexions qui lui sont propres.

Il propose, par exemple :
- la création d’une procédure de référé judiciaire dont le but serait, à la manière du référé pénal récemment mis en place, de traiter en urgence les affaires nécessitant de faire cesser une atteinte à l’environnement au plus vite ;
- l’institutionnalisation des échanges d’informations entre autorités de polices administrative et judiciaire, via la création d’un comité opérationnel départemental de défense de l’environnement (ou « CODDE ») co-présidé par le Préfet de département et le Procureur de la République ;
- l’instauration d’un service national d’enquête judiciaire environnemental, sous la tutelle d’un magistrat de l’ordre judiciaire.

Le rapport dégage également plusieurs pistes relatives à la pénalisation des infractions environnementales.

Le CGEDD et l’IGJ suggèrent en effet de rassembler dans un titre unique du code pénal les infractions en lien avec la protection de l’environnement.

Cette concentration des textes permettrait en effet de faciliter la lisibilité des sanctions encourues et serait peut-être également l’occasion de mettre en cohérences les régimes juridiques rattachés à ces sanctions.

Par exemple, la possibilité pour les associations qui ne sont pas agréées pour la protection de l’environnement de se constituer partie civile diffère suivant l’infraction invoquée. Là où une telle association pourra réclamer des dommages et intérêts devant le juge pénal lorsqu’une condamnation est prononcée sur la base d’une infraction présente dans le code pénal [2], celle-ci ne pourra en faire de même si l’infraction était inscrite dans le code de l’environnement.

Ainsi, rassembler les infractions « environnementales » au sein d’un seul et même titre du code pénal (ou de l’environnement) serait l’occasion d’harmoniser le régime de la constitution de partie civile pour les associations et, ainsi, de faciliter l’accès au prétoire pour tout justiciable.

S’agissant justement des associations agréées pour la protection de l’environnement, le rapport constate les difficultés qu’elles rencontrent s’agissant de l’accès aux informations détenues par l’administration. Il propose ainsi la création d’une obligation de transmission systématique des procès verbaux émis par les autorités aux associations agréées.

Concernant l’arsenal pénal relatif aux infractions environnementales, le rapport souligne la nécessité de renforcer les peines encourues.

Ce renfort des sanctions passerait par plusieurs dispositifs :
- une correctionnalisation de la procédure en cas de contravention dont les conséquences sur l’environnement revêtent une gravité certaine ;
- la mise en place d’une proportionnalité de certaines amendes en fonction du profit généré par l’infraction en suivant le niveau d’atteinte à l’environnement ;
- le recours récurent à des peines complémentaires telles que l’interdiction d’accès aux marchés publics ou l’obligation d’affichage de la sanction sur le site internet commercial de la personne morale condamnée.

Enfin, le rapport s’inscrit dans le courant représenté actuellement par Monsieur Julien Bétaille, Maître de conférences à l’Université Toulouse 1, et préconise l’institution d’une autorité indépendante en charge de la défense de l’environnement.

Cette autorité présenterait des garanties d’indépendance (nomination de son président pour 6 ans, non révocable, non renouvelable), d’un collège scientifique et aurait notamment pour mission de soutenir les actions citoyennes, d’émettre des avis indépendants sur les sujets scientifiques relatifs à la protection de l’environnement, d’intervenir lors des procédures liées au devoir de vigilance mais également de rendre des comptes par la publication d’un rapport annuel.

On ne peut que saluer l’ensemble des propositions réalisées par la mission commune du CGEDD et de l’IGJ, notamment en ce qu’elle propose de prendre à bras le corps les faiblesses qu’elle identifie dans le système judiciaire actuel pour dégager des solutions concrètes et pertinentes.

Les recommandations de son rapport, à la fois larges et audacieuses, mériteraient d’être soumises au débat parlementaire en ce qu’elles portent les promesses de véritables révolutions judiciaires.

Le ministère de la Justice a choisi, parmi les quelques pistes qu’il a retenu au sein du rapport de la mission commune, l’une des plus emblématiques. En effet, l’apparition de juridictions françaises spécialisées dans la protection de l’environnement représenterait un progrès évident.

Cette réforme sera cependant d’envergure ou ne sera pas. Elle devra alors faire exception à la politique gouvernementale actuelle « des petits pas » et prévoir des moyens dignes des objectifs de protection de l’environnement de notre pays.

Andréa Rigal-Casta Avocat associé au sein du cabinet Géo Avocats Barreau de Paris

[2Article 2-13 du Code de procédure pénale.