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Logiciel : être ou ne pas être… un dispositif médical, telle est la question ! Par Céline Hullin, Avocat.
Parution : jeudi 6 février 2020
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Le développement des innovations technologiques ces dernières années a fortement accru l’utilisation des logiciels dans le domaine de la santé.
La règlementation s’est adaptée à cette évolution et se durcit également avec l’entrée en vigueur du règlement 2017/745 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2017 relatif aux dispositifs médicaux qui impose de nouvelles règles de classification spécifiques aux logiciels (Règlement 2017/745, annexe VIII, chapitre III « règles de classification », 6.3, règle 11).
Son entrée en vigueur est prévue pour le 26 mai 2020.

Tout éditeur doit s’interroger quant à la possibilité que son logiciel constitue un dispositif médical, et le cas échéant, élaborer une stratégie adéquate avant mise sur le marché afin d’éviter toute contravention à la règlementation.

Ainsi, la définition du dispositif médical mentionnée aux articles L5211-1 du Code de la santé publique et 2.1 du règlement 2017/745 fait-elle expressément référence aux logiciels.

Par dispositif médical, il est entendu tout instrument, appareil, équipement, logiciel, implant, réactif, matière ou autre article poursuivant des finalités :
- de diagnostic, de prévention, de contrôle, de traitement ou d’atténuation d’une maladie ;
- de diagnostic, de contrôle, de traitement, d’atténuation ou de compensation d’une blessure ou d’un handicap ;
- d’étude, de remplacement ou de modification de l’anatomie ou d’un processus physiologique ;
- de maîtrise de la conception [1].

Le règlement 2017/745, compte tenu de l’utilisation croissante de l’intelligence artificielle dans le domaine de la santé et du développement récent de logiciels innovants, a élargi la définition du dispositif médical et y intègre désormais les finalités médicales de « prédiction et pronostic » d’une pathologie (article 2, 1).

La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), dans un arrêt du 22 novembre 2012, a précisé que selon le considérant 6 de l’article 2 de la directive 2007/47, un logiciel en lui-même est un dispositif médical lorsqu’il est spécifiquement destiné par le fabricant à être utilisé dans un ou plusieurs des buts médicaux figurant dans la définition d’un dispositif médical, un logiciel à usage général utilisé dans un environnement médical ne constituant pas un dispositif médical [2].

Ce rappel figure dans le Règlement 2017/745 qui précise quant à lui que les logiciels destinés à des usages ayant trait au mode de vie ou au bien-être ne constituent pas des dispositifs médicaux [3].

Il n’est pas toujours aisé de savoir avec certitude si un logiciel entre ou non dans le champ du dispositif médical impliquant une classification de celui-ci et le respect des règles qui s’appliquent à la classe dont il relève (4 classes : I, IIa, IIb, III). Pour faciliter cette recherche, la Commission européenne a élaboré en juillet 2016 un guide d’application pour les logiciels MEDDEV 2.1/6 « Qualification and classification of stand alone software » permettant aux fabricants de déterminer, selon certains critères, si le logiciel constitue ou non un dispositif médical.

L’ Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM) propose quant à elle un logigramme reprenant celui figurant dans le guide MEDDEV précité mais intégrant les apports de l’arrêt rendu par la CJUE le 7 décembre 2017 [4]. Il constitue une aide à la qualification d’un logiciel en tant que dispositif médical.

Il ressort de ce logigramme que les principales interrogations que l’éditeur de logiciel doit être amené à se poser afin de déterminer si celui-ci est couvert par la règlementation des dispositifs médicaux sont les suivantes :
- le logiciel possède-t-il une fonctionnalité dont l’action permet l’exploitation des données ?
- cette fonctionnalité réalise-t-elle une action sur ces données différentes d’un stockage, d’un archivage, d’une compression sans perte, d’une communication ou d’une simple recherche ?
- l’action sur ces données est-elle au bénéfice de patients individuels ?
- la finalité de cette action est-elle médicale au sens de l’article 1.2a de la Directive 93/42/CEE ?

Une réponse affirmative à chacune de ces différentes questions fait entrer le logiciel dans le champ de surveillance de l’ANSM qui peut décider de sanctions en cas de non-respect de la règlementation. L’application de celle-ci peut se révéler très contraignante et onéreuse pour l’éditeur d’un logiciel « dispositif médical » qui devra suivre des étapes réglementaires particulières dont la complexité varie en fonction de la classe de risque du produit avant de pouvoir le mettre sur le marché.

L’éditeur de logiciel devenu fabricant de dispositifs médicaux est contraint notamment de respecter les obligations suivantes :
- démontrer la conformité aux exigences essentielles concernant la sécurité et la santé des patients, des utilisateurs et des tiers applicables aux dispositifs médicaux,
- réaliser une analyse de risque et une documentation technique,
- mettre en place un système de vigilance et de surveillance après mise sur le marché ainsi qu’une démarche qualité,
- effectuer les déclarations et communications auprès des autorités compétentes des produits mis sur le marché.

Après commercialisation du logiciel, la vigilance de l’ANSM continue de s’exercer. Elle intervient ainsi si elle constate que le fabricant est en infraction avec la réglementation des dispositifs médicaux.

A titre d’illustration, par décision du 9 juillet 2019 l’ANSM a suspendu la mise sur le marché, la mise en service, la distribution et l’utilisation des modules « Prescription », « Positionnement » et « Fiche de suivi patient » des logiciels Onchronos/Oncorus, et ce jusqu’à leur mise en conformité avec la réglementation applicable.

Ces logiciels, utilisés tout au long de la chaine de traitement en radiothérapie, permettaient entre autres d’effectuer la prescription, le calcul de la dosimétrie par fraction, le calcul de dose équivalente ou encore la validation de la planimétrie.
Sur les treize modules des logiciels, seuls les trois modules précités comportaient une finalité médicale répondant ainsi à la définition du dispositif médical [5].

L’ANSM a indiqué que les modules « Prescription » et « Fiche de suivi patient » n’atteignaient pas les performances attendues et a précisé que les versions des logiciels Onchronus/Oncorus mises en service étaient des versions en cours de développement, non stabilisées et non exempts de « dysfonctionnements ».

Les applications santé sont aujourd’hui de plus en plus nombreuses sur le marché :
- applications santé pour prescrire la pratique d’entrainements sportifs,
- logiciels d’application d’observance d’un traitement, de calcul de dose,
- logiciels de gestion administrative,
- application de télésurveillance du patient, logiciel d’aide à la dispensation…

Toutes n’ont pas vocation à être qualifiées de dispositif médical. Il appartient au fabricant de s’interroger en amont sur la nature de son produit sans perdre de vue que la réglementation a accru le niveau de contrôle des logiciels dispositifs médicaux suite à l’entrée en vigueur des nouvelles règles de classification précitées.

Céline Hullin Avocat en droit de la santé à Paris https://www.clhullin-avocat.com

[1Article R5211-1 du code de la santé publique.

[2CJUE, 22 nov. 2012, Aff. C-219/11, Brain Products GmbH c/ BioSemi VOF, points 16 et 17.

[3Règlement 2017/745, considérant n°19.

[4CJUE, 7 déc. 2017, Aff. SNITEM c/Ministère des affaires sociales et de la santé Affaire C-329/16.

[5Articles L5211-1 et R5211-1 du Code de la santé publique.