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Les professionnels de santé face à la procédure disciplinaire. Par Isabelle Brient, Avocate.
Parution : lundi 10 février 2020
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Les professions médicales (médecins, chirurgiens-dentistes ou sages-femmes, pharmaciens) sont organisées en ordres professionnels. Il en est de même pour certaines professions paramédicales comme les infirmiers, les masseurs-kinésithérapeutes et les pédicures- podologues.

L’ensemble de ces praticiens doivent respecter des devoirs et des obligations professionnels qui figurent au Code de déontologie spécifique à leur profession et dont le Conseil de l’Ordre est le gardien.

En cas de manquement aux règles déontologiques (atteinte à l’honneur ou à l’indépendance de la profession, devoir de loyauté, de probité...) ces professionnels de santé peuvent faire l’objet d’une procédure disciplinaire.

C’est la juridiction ordinale qui est en charge de sanctionner ces praticiens.

Juridiction spécialisée, elle demeure autonome par rapport aux juridictions de droit commun : une action civile, pénale, administrative ou une action menée par les Caisses peut donc être intentée parallèlement à cette action. La sanction disciplinaire prononcée ne s’impose donc pas aux autres juridictions.

I. Qui peut porter plainte ?

La plainte peut être initiée par différentes catégories de plaignants :

1ère catégorie :
- Le Conseil national de l’Ordre ;
- Le Conseil départemental de l’Ordre où exerce le praticien : les deux peuvent agir de leur propre initiative ou à la suite d’une plainte qui peut qui être formée par les patients ou leurs ayants droit ;
- L’Article 1 du décret n°2019-1286 du 3 décembre 2019 prévoit que désormais « si une plainte est dirigée contre un praticien qui n’est plus inscrit au tableau, mais l’était à la date des faits, le Conseil départemental ayant qualité pour l’introduction de l’action disciplinaire est le dernier Conseil au tableau duquel l’intéressé était inscrit » [1] ;
- Les organismes locaux d’assurance maladie obligatoires, les médecins-conseils ou responsables du service du contrôle médical placés auprès d’une caisse ou d’un organisme de sécurité sociale ;
- Une association de défense des droits des patients.

2ème catégorie :
- Le Ministre de la santé ;
- Le Préfet de département, le DGARS (Directeur Général de l’ARS : Agence Régionale de Santé) dans le ressort de laquelle le praticien intéressé est inscrit au tableau ;
- Le Procureur près du TGI où exerce le praticien à titre habituel [2].

3ème catégorie :
- Un Syndicat ou une association de patients.

Il existe une exception concernant les médecins chargés d’une mission de service public à titre d’exemple : un médecin des hôpitaux ou un médecin-conseil de la sécurité sociale ne peut être traduit devant la chambre disciplinaire de première instance à l’occasion des actes exercés dans le cadre de sa mission que par le ministre de la Santé, le représentant de l’Etat dans le département, le Directeur de l’Agence Régionale de Santé (ARS), le Procureur de la République, le Conseil national ou le conseil départemental de l’Ordre des médecins où il est inscrit.

Les pharmaciens, les infirmiers et les pédicures-podologues font l’objet de dispositions particulières [3].

II. Formalisme de la plainte disciplinaire ?

La plainte doit être adressée de préférence par lettre recommandée avec accusé de réception au Conseil départemental de l’Ordre du praticien concerné. Elle doit expliquer les faits reprochés au praticien et si possible mentionner les Articles du Code de déontologie susceptibles d’avoir été violés. Le praticien sera informé de la plainte déposée à son encontre [4].

III. Quelles sont les issues d’une plainte disciplinaire ?

Si la plainte est initiée par l’Ordre, le Ministre, un syndicat ou une association de patients, la plainte est directement introduite devant la chambre disciplinaire de première instance. Dans les autres cas, la plainte sera examinée par une commission de conciliation.

A) La phase amiable.

Après réception de la plainte, le Conseil départemental de l’Ordre organise obligatoirement une conciliation dans un délai d’un mois en présence du plaignant, du praticien mis en cause et de conseillers ordinaux. Le praticien peut se faire assister d’un avocat. Un procès-verbal de conciliation, de non-conciliation ou de conciliation partielle sera dressé. En cas d’échec de la conciliation et si la plainte est maintenue, le Conseil départemental de l’Ordre la transmet à la Chambre Disciplinaire de Première Instance (CDPI) avec son avis motivé. Si la plainte est jugée recevable, l’affaire est alors instruite.

B) La phase contentieuse.

L’Article 3 du décret du 3 décembre 2019 (Voir Note 1) précise que : "dans toutes les instances, le Président de la chambre disciplinaire de première instance et le Président de la chambre disciplinaire nationale, peuvent par ordonnance motivée, sans instruction préalable » statuer sur « les affaires relevant d’une série » (série qui n’appelle pas de nouvelle appréciation ou de qualification de fait) qui présentent des questions identiques déjà tranchées.

Autre nouveauté importante de ce décret, l’Article 4 (qui complète l’Article R4126-8 du CSP) : « lorsque des chambres disciplinaires de première instance sont saisies simultanément de demandes distinctes mais connexes, relevant normalement de leur compétence territoriale respective, chacun des présidents intéressés saisit le président de la chambre disciplinaire nationale et lui adresse le dossier de la demande ».

C’est « Le Président de la chambre disciplinaire nationale qui se prononce sur l’existence d’un lien de connexité et détermine la chambre disciplinaire de première instance pour connaître des demandes ».

1) La Chambre disciplinaire de première instance.

Une fois saisie, la chambre disciplinaire de première instance doit statuer dans les six mois du dépôt de la plainte [5].

Le praticien qui a reçu la plainte, le mémoire et les pièces jointes pourra produire un mémoire en défense et toutes pièces utiles : témoignages, publications scientifiques ou des pièces du dossier du patient... [6].

Le professionnel de santé a la faculté de se faire assister soit par un avocat soit par un confrère inscrit au tableau de l’ordre auquel il appartient, soit par l’un et l’autre [7].

Dès que la plainte est enregistrée au greffe, le Président désigne un rapporteur parmi les membres de la chambre disciplinaire. Ce rapporteur a qualité pour entendre les parties, recueillir l’ensemble des pièces et procéder à toutes constations utiles à la manifestation de la vérité [8].

Le rapporteur va dresser un procès-verbal de chaque audition. Une fois le rapport rédigé, le rapporteur le remet au Président de la chambre.

Les parties sont convoquées à l’audience, la convocation doit parvenir aux parties 15 jours au moins avant la date de l’audience [9]. L’audience est publique mais le Président peut à la demande des parties ou d’office interdire l’accès à la salle pendant toute la durée de l’audience ou juste pendant une partie dans l’intérêt de l’ordre public, de la vie privée ou si le secret médical le justifie [10].

La décision est prise à la majorité des voix, en cas de partage, le Président a une voix prépondérante [11] et elle est rendue publique par voie d’affichage [12].

2) La chambre disciplinaire nationale (juridiction d’appel).

Le praticien sanctionné par la chambre disciplinaire de première instance a 30 jours à compter de la notification de la décision pour interjeter appel auprès de la chambre disciplinaire nationale [13].

Cette structure d’appel est présidée par un magistrat professionnel : conseiller d’Etat et elle est composée d’assesseurs qui sont des praticiens élus au niveau ordinal.

L’appel est suspensif, la décision est suspendue jusqu’à l’extinction des voies de recours.

3) Le Conseil d’Etat (pourvoi en cassation).

La décision rendue par la chambre disciplinaire nationale (de nature administrative) peut faire l’objet d’un recours en cassation devant le Conseil d’Etat dans un délai de deux mois à compter de sa notification. Par principe, le pourvoi n’a pas d’effet suspensif sauf si la chambre disciplinaire en décide autrement. Dans la négative, la suspension de la sanction peut toutefois être sollicitée auprès du Conseil d’Etat [14].

4) Quelles sanctions disciplinaires ?

Ces sanctions sont diverses :
- L’avertissement ;
- Le blâme ;
- L’ interdiction temporaire d’exercer avec ou sans sursis pour une durée maximale de trois ans ;
- La radiation du tableau. Le praticien ne peut plus exercer en France et la radiation est communiquée à tous les conseils départementaux. Elle est généralement considérée comme une faute grave, il peut s’agir d’un défaut d’information ou encore tous les comportements déviants comme le viol ou les abus.

Quand les faits reprochés aux médecins, aux chirurgiens-dentistes ou aux sages-femmes ont révélé l’insuffisance des compétences professionnelles, la chambre disciplinaire de première instance peut enjoindre à l’intéressé de suivre une formation.

Il est important de souligner que la loi ne prévoit aucun délai de prescription en matière disciplinaire. Par conséquent, le professionnel de santé peut être poursuivi toute sa vie pour faute disciplinaire, seul le décès du praticien mettra fin à l’action disciplinaire.

Isabelle BRIENT Docteur en Droit Avocate Conseillère juridique auprès de la DRSM Bretagne D.I.U "Responsabilité médicale et droit des malades" Activités dominantes: droit de la responsabilité médicale, droit des malades, droit du dommage, droit corporel, droit de la sécurité sociale. Autres domaines d'activités: droit pénal, droit administratif, droit des assurances,, droit de la famille; D.U "Réparation juridique du dommage corporel"

[1Décret n°2019-1286 du 3 décembre 2019 portant « modification des dispositions relatives à la procédure disciplinaire des ordres des professions médicales et paramédicales », publié au JO le 5 décembre 2019 et entrée en vigueur le 6 décembre 2019. Ce décret « rationalise » le fonctionnement des juridictions ordinales médicales et paramédicales.

[2Article R. 4126-1 du CSP.

[3En ce qui concerne les pharmaciens (Article R4234-1), les masseurs-kinésithérapeutes, les infirmiers (Article R4312-92) et les pédicures-podologues (Article R4323-3) du Code de la Santé Publique (CSP).

[4Article R4126-12 du CSP.

[5Article L4124-1 du CSP.

[6Article R41236-12 du CSP.

[7Article R4126-13 du CSP.

[8Article R4126-17 du CSP.

[9Article R4126-25 du CSP.

[10Article R4126-26 du CSP.

[11Article R4126-17 du CSP.

[12Article R4126-37 du CSP.

[13Article R4126-44 du CSP.

[14Article R4126-48 du CSP.

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