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Tour d’horizon de la justice climatique en France. Par Olivia Macri, Juriste.
Parution : mardi 11 février 2020
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Le réchauffement climatique est souvent présenté comme le défi de notre siècle. A juste titre, des actions en justice se développent partout dans le monde ainsi qu’en France. Ce nouveau contentieux soulève plusieurs questions juridique et politique. On espère qu’il apportera également des solutions.

Introduction.
Depuis 2018, on assiste en France aux premières actions effectives en matière de justice climatique. Dans le sillon de l’affaire Urgenda, intentée contre l’Etat des Pays-Bas en 2015 et gagnée en appel en octobre 2018, l’association « Notre affaire à tous » poursuit l’État en justice pour inaction climatique.
D’abord lancée sous la forme d’une pétition appelant l’État à prendre des mesures à la hauteur de ses engagements climatique, « L’affaire du siècle » dépassait les 2,1 millions de signatures en moins d’une semaine. Ne recevant pas de réponse satisfaisante, l’association entama la phase contentieuse. Le mercredi 19 juin, le géant Total était mis en demeure de s’aligner aux obligations issues de l’Accord de Paris de limiter le réchauffement climatique à 2°C par rapport à l’ère préindustrielle.

Définition.
La justice climatique n’est pas une notion arrêtée, au contraire cette notion récente est l’objet de nombreuses réflexions. Les définitions proposées se veulent plus ou moins large.
Cet article retiendra la définition retenue lors du colloque à Paris I sur “Les contentieux climatiques : dynamique en France et dans le monde” soit : l’ensemble des recours juridiques sur les problématiques du climat, plus précisément l’ensemble des recours portés devant les juridictions administratives ou judiciaires soulevant des questions de droit ou de fait concernant le changement climatique et les efforts visant à atténuer ses effets ou pour s’y adapter.
Il y est question de « changement climatique », de « réchauffement planétaire », « réduction des émissions de gaz à effet de serre », « élévation de niveau des mers ».
Ces actions peuvent être dirigée contre les acteurs publics comme l’État mais aussi contre des acteurs privés, souvent des entreprises.

La justice climatique dépasse les frontières du droit de l’environnement (que l’on trouve dans le Code de l’environnement). En tant que nouveau type de recours, ses contours ne sont pas clairement délimités.
Par exemple, la lutte contre le réchauffement climatique et la réduction des gaz à effets de serre entre dans son champ d’application, mais la réponse est moins tranchée concernant la lutte contre les pesticides. A ce titre, on peut citer l’emblématique tribunal symbolique « Monsanto ». Ce faux tribunal avait pour mission de rendre un avis sur les impacts négatifs de Monsanto en se basant sur le droit positif et de se prononcer sur l’opportunité de reconnaître le crime d’écocide. Cette notion reflète justement la difficulté d’établir une frontière étanche entre justice climatique et justice environnementale.

Justice climatique ou justice environnementale ?
La justice climatique part de l’idée que l’environnement doit être protégé, lequel est menacé en partie du fait du réchauffement climatique.
Pourquoi parle-t-on alors d’une justice climatique plutôt qu’environnementale ?

L’environnement, au sens large, recouvre deux aspects : le climat et la biodiversité. Or le réchauffement climatique est largement causé par les émissions de gaz à effet de serre, combustion fossiles et autres activités industrielles.
Dès lors la lutte contre le réchauffement climatique par la justice environnementale supposerait de reconnaître des droits et des devoirs à la nature. Or, ni la nature ni les êtres vivants non-humain n’ont de personnalité juridique, ce qui signifie qu’aucun droit subjectif ne peut leur être attaché. Le versant climat a donc été privilégié par le droit pour faire face à l’urgence (régulièrement rappelée par la communauté scientifique, et notamment le GIEC) et est, parallèlement, utilisé pour protéger l’environnement dans son ensemble.
En 2015, avec l’Accord de Paris, les États se sont légalement engagés à limiter le réchauffement climatique global à 2°C par rapport à l’ère préindustrielle.
C’est le premier accord universel contraignant sur le climat. Si certains États avaient commencé à légiférer à l’échelle nationale en la matière, cet accord met à leur charge des obligations internationales contraignantes les enjoignant à prendre des mesures suffisantes.
Concrètement, chaque Etat s’est fixé un objectif propre en terme de réduction des gaz à effet de serre sur son territoire par l’intermédiaire de ce qu’on appelle les « contributions déterminées au niveau national » (ou NDCs, nationally determined contributions). Leur mise en œuvre passe nécessairement par le renforcement de l’arsenal légal pour lutter contre le réchauffement climatique -voire par sa création dans les États où il est inexistant...
L’Accord de Paris et les normes qui en découlent représentent ainsi autant de sources légales supplémentaires invocables à l’encontre des Etats.

Enjeux.
Il y a une responsabilité de l’humanité, ainsi que des Etats, à l’égard du réchauffement climatique. Une responsabilité individuelle qui entraine un devoir de réparation des dommages causés et une responsabilité collective c’est-à-dire des obligations positives à la charge des Etats de limiter le réchauffement climatique, lequel s’exprime par leur dispositif légal.
La justice climatique est un nouvel outil dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Parce que cette nouvelle matière s’inscrit dans un environnement juridique préexistant, sa mise en oeuvre soulève plusieurs difficultés. D’abord concernant l’échelle géographique et temporelle à retenir. Aucune des approches globale, individuelle ou étatique (prise isolément), ne semble dégager une réponse satisfaisante.
Au contraire, il apparaît nécessaire d’agir de façon coordonnée à chacune de ces échelles. Or, le fractionnement du monde oblige à tenir compte des frontières et souverainetés étatiques alors que le réchauffement climatique ne connaît justement pas de frontière.

La participation incomplète de la communauté internationale au Protocole de Kyoto, l’ambivalence de la position du gouvernement américain face au changement climatique, l’insuffisance des contributions déterminées au niveau national par les États parties à l’Accord de Paris témoignent de la difficulté des Etats d’agir ensemble à chacun des niveaux concernés et montre la nécessité de développer une justice climatique efficace qui soit accessible aux justiciables.
Les questions de l’urgence, de la pertinence et de l’adéquation du droit international et national sont au cœur de la réflexion sur la justice climatique.

Les modes d’action légaux préexistants, de même que les théories juridiques, n’ont pas été conçues pour répondre à la question du réchauffement climatique. Dès lors, le droit tel qu’il a été pensé se révèle inadéquat et peu efficace pour y faire face efficacement et rapidement. En effet, outre la complexité du domaine visé, le facteur temporel joue un rôle primordial dans cette réflexion.

Ensuite, la justice climatique s’avère extrêmement complexe. Elle soulève des enjeux interdisciplinaires : scientifiques, économiques, sociaux, sanitaires, vise plusieurs responsables (Etats, entreprises, individus), met en jeu plusieurs types d’obligations juridiques de différentes natures (internationale, nationale, privée, publiques, contractuelle, délictuelle, civile, pénale etc.), ce qui a nécessairement une incidence sur la juridiction à saisir. La finalité des recours est également riche, variée et audacieuse. A titre d’exemple, les requérants demandent au juge de reconnaitre que la responsabilité civile puisse être engagée pour seulement avoir contribuer à l’aggravation du dérèglement climatique, que l’Etat puisse être reconnu responsable pour ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour prévenir la dite aggravation, ne pas y avoir remédier ou ne pas l’avoir réparer. La finalité des recours devient plus politique. Plus qu’une réparation du dommage allégué, les requérants exigent une plus grande cohérence entre les activités et les engagements étatiques en terme de réduction d’émission de gaz à effet de serre, un changement des politiques publiques. Mais le juge a-t-il ce pouvoir ? Dans ce contexte il est important de bien comprendre l’outil que représente le droit dans la lutte contre le réchauffement climatique, ses limites et ses perspectives.

Cet article vise à exposer le contexte juridique dans lequel s’implante la justice climatique à la lumière de quelques expériences à l’étranger et comment le droit peut être saisi pour lutter contre le réchauffement climatique (I) de façon utile et efficace (II).

Dans cette analyse, accessible dans son intégralité dans le document ci-après, seront abordés notamment les points suivants :
I. Le droit applicable à la justice climatique en France.
II. Les enjeux de la justice climatique.

Tour d’horizon de la justice climatique en France, Olivia Macri.
Olivia Macri, Juriste; Membre active de l'association Jeunes Ambassadeur pour le Climat au pôle rédaction et publication d'articles