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Agriculteurs en difficulté : le droit peut vous sauver ! Par Romain du Plantier, Avocat.
Parution : vendredi 14 février 2020
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Alors que le Salon International de l’Agriculture ouvrira ses portes le 22 février prochain au Parc des Exposition de Paris, il paraît intéressant de se pencher sur les solutions que le droit français offre aux exploitations agricoles en difficulté.

L’aide aux agriculteurs passe en effet par une meilleure information portant sur les divers dispositifs existants afin que, mieux éclairés, ils anticipent leurs difficultés et les traitent de manière plus précoce et donc plus efficace.

L’étude Altares sur les défaillances d’entreprises en France fait état, pour 2019, de 4.310 ouvertures de procédures de redressement et de liquidation judiciaires en région Nouvelle-Aquitaine, dont 291 dans le secteur de l’agriculture, soit une hausse de 9,4 % par rapport à 2018 pour ce type d’activité [1].

Les difficultés rencontrées par les exploitations agricoles résultent bien souvent d’aléas climatiques comme le gel, la grêle ou la sécheresse. Ainsi, en avril 2017, les épisodes de gel ont impacté plus de 60.000 hectares sur les 114.000 que compte le vignoble bordelais, engendrant une perte d’au moins 30% en volume sur la récolte [2].

Face aux difficultés, le risque est grand pour l’exploitant agricole de se replier sur lui-même, sa prise de conscience de la nécessité de chercher une solution en dehors du cercle familial étant souvent beaucoup trop tardive.

Ce phénomène est très bien décrit par l’association « Solidarité Paysans » qui lutte contre l’exclusion en milieu rural et qui rappelle ainsi sur son site internet la situation à laquelle sont confrontés bon nombre d’agriculteurs :

« A partir d’une situation de fragilité, il faut peu de chose pour basculer dans l’engrenage des difficultés. Il suffit d’une chute brutale des prix, d’un financement inadapté, d’un problème familial ou de santé... L’agriculteur se trouve alors très rapidement en rupture avec son environnement. Viennent ensuite l’isolement, le sentiment d’échec personnel, le risque de perdre un outil de travail auquel il est affectivement attaché, les menaces sur la maison d’habitation, l’impossibilité de trouver seul une issue. » [3].

Or, plus les difficultés d’une entreprise sont diagnostiquées et traitées en amont, plus ses chances de les surmonter sont importantes.

Il est donc essentiel que les exploitants agricoles prennent contact le plus rapidement possible avec des intervenants extérieurs, tels que des associations ou des professionnels du droit, afin de faire le point sur leur situation et de mettre en place les solutions adaptées.

Le droit prévoit en effet un certain nombre de dispositifs propres à permettre la résolution des difficultés des entreprises agricoles, qui se trouvent à la fois dans le Code de commerce et dans le Code rural et de la pêche maritime.

Dans ce cadre, l’objet du présent article est de présenter, de manière succincte et non exhaustive, les procédures dont peut bénéficier une personne exerçant une activité agricole.

Trois sujets seront ainsi abordés : les procédures de prévention des difficultés (1), les procédures de traitement des difficultés (2) et certaines spécificités des procédures collectives agricoles (3).

1. De quelles procédures de prévention des difficultés l’exploitant agricole peut-il bénéficier ?

Toute personne exerçant une activité agricole, aussi bien un agriculteur personne physique qu’une société agricole, est en principe éligible au mandat ad hoc et à la procédure de règlement amiable.

Le mandat ad hoc permet d’obtenir en justice la désignation d’un mandataire ad hoc, dont la mission est de faciliter la négociation et la conclusion d’un accord entre l’entreprise et ses créanciers. Le chef d’entreprise, qui est le seul à pouvoir solliciter cette désignation, n’est pas dessaisi de la gestion de son exploitation.

Ce mandat est confidentiel, ce qui signifie, d’une part, que seuls les partenaires de l’entreprise qui sont sollicités par le mandataire ad hoc en sont informés et, d’autre part, que ces partenaires sont tenus à une obligation légale de confidentialité.

Alors que le Code de commerce n’érige pas en critère l’absence de cessation des paiements de l’exploitation, certaines juridictions refusent pourtant, en pratique, de faire droit à une demande d’ouverture de mandat ad hoc lorsqu’il apparaît que cet état est existant [4].

Le règlement amiable est, quant à lui, destiné à prévenir et à régler les difficultés financières d’une exploitation agricole dès qu’elles sont prévisibles ou dès leur apparition. Peu importe donc que cette exploitation soit ou non en cessation des paiements.

Contrairement au mandat ad hoc, une restriction quant à son champ d’application est posée par le Code rural et de la pêche maritime, qui en exclut les sociétés commerciales exerçant une activité agricole, lesquelles relèvent d’une autre procédure préventive, la conciliation.

A titre d’exemple, dans un arrêt du 7 février 2017, la Cour d’appel de Bordeaux a décidé qu’une société à responsabilité limitée, ayant pour activité la production d’énergie par exploitation d’unités de méthanisation, ne pouvait pas prétendre au bénéfice d’une procédure de règlement amiable [5].

Comme le mandat ad hoc, le règlement amiable est ouvert par le Président du Tribunal judiciaire et il laisse le chef d’entreprise à la tête de son exploitation agricole. En revanche, cette ouverture peut intervenir à la demande soit du dirigeant, soit de l’un de ses créanciers.

La décision d’ouverture entraîne la désignation d’un conciliateur, dont la mission est de favoriser la conclusion d’un accord entre le débiteur et ses créanciers, portant sur des délais de paiement ou des remises de dettes. Cet accord pourra être soit constaté, soit homologué par le Président du Tribunal judiciaire.

L’une des particularités du règlement amiable est de permettre au Président du Tribunal judiciaire de prononcer la suspension provisoire des poursuites pour un délai n’excédant pas deux mois, pouvant être prorogé pour la même durée, ce qui confère une protection à l’exploitant agricole en difficulté.

Enfin, la confidentialité mentionnée au sujet du mandat ad hoc s’applique également au règlement amiable, avec toutefois deux exceptions. En effet, lorsque, d’une part, le Président prononce la suspension provisoire des poursuites et, d’autre part, l’accord est homologué, un avis est inséré au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales, ainsi que dans un journal d’annonces légales.

2. De quelles procédures de traitement des difficultés l’exploitant agricole peut-il bénéficier ?

Toute personne exerçant une activité agricole, aussi bien un agriculteur personne physique qu’une société agricole, est éligible à l’ensemble des procédures collectives prévues par le livre VI du Code de commerce.

En particulier, lorsqu’il n’est pas en cessation des paiements, l’exploitant agricole peut solliciter l’ouverture d’une sauvegarde, à la condition de justifier de difficultés qu’il n’est pas en mesure de surmonter. Cette procédure est destinée à faciliter la réorganisation de l’entreprise afin de permettre la poursuite de l’activité économique, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif.

Sa principale issue est l’adoption par le Tribunal d’un plan de sauvegarde, qui prévoit notamment des mesures de restructuration de l’exploitation et de remboursement du passif de l’entreprise.

En outre, dans le délai de quarante-cinq jours qui suivent sa cessation des paiements, il appartient à l’exploitant agricole de demander l’ouverture d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire, selon que son redressement est ou non manifestement impossible.

La procédure de redressement judiciaire poursuit les mêmes finalités que la sauvegarde et elle peut également s’achever par l’adoption d’un plan dit de redressement. En revanche, contrairement à la sauvegarde, un redressement judiciaire peut aboutir à la cession de l’entreprise à un tiers.

La liquidation judiciaire vise, quant à elle, à mettre fin à l’activité de l’entreprise ou à réaliser son patrimoine par une cession globale ou séparée de ses droits et de ses biens. Sa clôture peut être prononcée soit lorsque la poursuite des opérations est rendue impossible en raison de l’insuffisance de l’actif, soit plus rarement pour extinction du passif.

Enfin, un redressement ou une liquidation judiciaire peuvent être ouverts à l’égard de l’entreprise agricole sur l’assignation d’un créancier, en pratique souvent de la MSA. A cet égard, le Code de commerce prévoit l’obligation de saisir, préalablement à l’assignation, le Président du Tribunal judiciaire d’une demande tendant à l’ouverture d’un règlement amiable. Cette chronologie n’est toutefois pas imposée en présence d’une société commerciale exerçant une activité agricole, pour laquelle le créancier peut donc agir directement en ouverture d’une procédure collective.

3. Quelles sont les spécificités des procédures collectives ouvertes au bénéfice des exploitants agricoles ?

Les procédures collectives ouvertes au bénéfice des personnes qui exercent une activité agricole présentent un certain nombre de spécificités, dont la raison d’être est la nécessité de prendre en compte les contraintes liées à cette activité.

Deux au moins de ces particularités, qui ont trait à l’allongement de certains délais, méritent d’être signalées.

En premier lieu, il est rappelé que l’ouverture d’une sauvegarde ou d’un redressement judiciaire permet à l’entreprise de continuer son activité en bénéficiant d’une protection, qui se matérialise notamment par le gel de son passif.

Durant cette période, dite période d’observation, la cause des difficultés doit être identifiée et l’issue la plus adaptée à la situation du débiteur doit être déterminée et préparée.

En principe, la durée maximale de cette période d’observation est de six mois. Cette durée peut toutefois être renouvelée pour six mois au maximum et, de nouveau, exceptionnellement prolongée pour la même durée à la demande du procureur de la République, soit un total de dix-huit mois.

Par exception, en présence d’une exploitation agricole, le Tribunal peut cependant proroger la durée de la période d’observation en fonction de l’année culturale en cours et des usages spécifiques aux productions de l’exploitation.

Par ailleurs, en liquidation judiciaire, l’éventuel maintien de l’activité peut être autorisé pour une période qui ne peut excéder trois mois, pouvant être prolongée une fois pour la même durée à la demande du ministère public.

Le Tribunal peut toutefois décider de la poursuite de l’activité pour une durée fixée, là encore, en fonction de l’année culturale en cours et des usages spécifiques aux productions concernées.

A titre d’exemple, dans un arrêt du 19 mars 2008, la Cour d’appel de Bordeaux a autorisé la poursuite de l’activité d’un viticulteur de Bergerac en liquidation judiciaire jusqu’à la fin de l’année culturale en cours pour les besoins de la conservation de son patrimoine [6]. En pareil cas, il apparaît en effet préférable d’attendre la fin des vendanges pour que le domaine viticole soit vendu dans les meilleures conditions.

En second lieu, alors que la durée d’un plan de sauvegarde ou de redressement ne peut excéder dix ans, cette durée est portée à quinze ans pour les personnes exerçant une activité agricole.

En outre, la règle selon laquelle le montant de chacune des annuités prévues par le plan, à compter de la troisième, ne peut être inférieur à 5% de chacune des créances admises, ne s’applique pas dans le cas d’une exploitation agricole. Cette exception permet donc de prévoir des annuités d’un montant inférieur à 5%.

Ainsi, l’élaboration d’un plan au bénéfice d’un exploitant agricole en difficulté est-elle soumise à moins de contraintes légales que celle au profit des autres débiteurs éligibles aux procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire.

Romain du Plantier Avocat associé SELARL ELAYA 24 rue Vital Carles, 33000 Bordeaux https://elaya-avocat.fr/

[1Altares, Défaillances et sauvegardes d’entreprises en France, Bilan 2019, p. 44.

[2SudOuest.fr, Gel dans le vignoble bordelais : au moins 30 % de récolte perdue, 4 mai 2017.

[4Pour mémoire, la cessation des paiements se définit comme l’impossibilité pour une entreprise de faire face au passif exigible avec son actif disponible.

[5CA Bordeaux, 7 févr. 2017, n° 16/01472.

[6CA Bordeaux, 19 mars 2008, n° 05/06797.

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