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L’entreprise face à un signalement de « harcèlement » : osez la médiation ! Par Lionel Gonzales, Juriste.
Parution : mercredi 19 février 2020
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Lanceurs d’alertes, référents harcèlement, obligation de sécurité, lutte contre les risques psychosociaux… La liste des obligations des entreprises en lien avec la gestion relationnelle et le bien-être au travail, devient longue.

En cas de difficulté avancée, les alertes de ressenti de harcèlement se multiplient.

Comment l’entreprise peut elle organiser une enquête impartiale et prendre les mesures correctives les plus adaptées ?

La loi ne dit pas grand-chose sur la gestion d’un signalement…

La loi ne dit rien sur la façon dont l’entreprise doit agir en présence d’une alerte. Elle doit agir, c’est là l’essentiel imposé par les textes.

La Cour de Cassation vient de rappeler, par un arrêt du 27 novembre 2019, que l’employeur doit toujours agir en présence d’un signalement, même s’il semble infondé.

Une enquête de l’employeur, impartiale et confidentielle, s’impose systématiquement. A défaut, l’employeur engage sa responsabilité, même si le harcèlement n’est pas avéré.

L’enquête doit permettre à l’employeur de se prononcer sur le caractère « professionnel ou non professionnel » du comportement dénoncé, afin de faire cesser la situation de mal être et d’envisager toutes mesures correctives utiles.

L’objectif de l’enquête n’est pas de donner une qualification juridique, « harcèlement » ou « pas harcèlement ». Une telle qualification relève du juge du travail et du juge pénal.

Lors d’une alerte, chaque personne en présence doit être accompagnée. Ce qui inclut la personne « accusée ». Dans beaucoup de cas le « coupable » présumé est étiqueté « harceleur » très rapidement.

Les juges admettent que l’employeur peut lui-même intervenir. Parfois, en associant judicieusement le CSE (Comité Social et Economique). Ce schéma n’est pas toujours le plus confortable. C’est humainement complexe d’être en posture « d’enquêteur » avec des collègues que l’on croise tous les jours.

Le coupable n’est pas toujours harceleur… et le harceleur toujours un être humain. Dans la majorité des interventions il faut aussi organiser le possible maintien au poste et la poursuite de la collaboration…

Et la médiation ?

En cas d’alerte harcèlement, le code du travail, prévoit explicitement en son article L1152-6, qu’une procédure de médiation peut être engagée.

Même si l’employeur est toujours légitime à intervenir lui-même, dans ce contexte difficile la médiation est un outil plus sécurisé et structuré. Le médiateur accompagne l’entreprise et l’ensemble des personnes afin que chacun puisse être entendu avec humanité et équitablement.

L’idée médiation est en générale une proposition de l’employeur, des élus ou du service RH.

L’employeur qui assume le risque et qui est responsable de l’enquête, ne peut pas complètement laisser les parties gérer seules le choix du médiateur.

La procédure de médiation proposée par le code du travail, est assez originale. Elle s’organise en deux phases :
1. « Le médiateur s’informe de l’état de leurs relations, tente de les concilier et leur soumet des propositions qu’il consigne par écrit dans un procès-verbal en vue de mettre fin au harcèlement » ;
2. « En cas d’échec de la conciliation, il informe les parties des éventuelles sanctions encourues et des garanties procédurales prévues en faveur des victimes tant pénales que civiles ».

Ce texte est très déroutant, car on est assez loin de la démarche classique d’un médiateur conventionnel. Le législateur a voulu prendre en compte les spécificités de l’entreprise et les contraintes liées à une accusation grave.

Cette procédure a le mérite de mettre la médiation en avant et de proposer une démarche à l’écoute de chacun. C’est déjà pas si mal en cas de situation complexe.

Les propositions et les comptes rendus devront toujours être validés par les médiés eux même, afin que le médiateur reste neutre et impartial.

Confidentialité et obligations professionnelles :

Au titre de son obligation légale de prévention et de sécurité, l’employeur doit être à même de prendre toutes les mesures correctives qui s’imposent. Les interventions et plans d’actions de l’entreprise peuvent difficilement rester totalement confidentielles.

Les éventuels manquements professionnels ou disciplinaires, ne peuvent pas disparaître et devenir confidentiels du seul fait de la médiation, alors même que ces faits sont déjà connus de tous !

Le médiateur doit organiser la confidentialité de son espace de médiation. Notamment pour les informations personnelles n’ayant pas de lien avec l’alerte.

Mais, ce qui est déjà porté à la connaissance de tous ne doit pas être confidentialisé. Les « victimes » comme les accusés ont besoin que les choses puissent être dites. La confidentialité totale, imposerait un « blanchiment » des « fautes professionnelles », impossible à envisager en entreprise.

Coordination des intervenants :

De nombreuses personnes interviennent en cas d’alerte : juristes, médecin du travail, comité social et économique, managers, collègues de travail, ont parfois besoin d’être associés et de s’exprimer.

Le médiateur en « mode harcèlement » est la clef de voûte d’un processus complexe. Sa posture d’écoute et de neutralité sera une véritable aide pour l’entreprise et les salariés impliqués.

Au fil de nombreuses interventions dans un format "médiation", celle-ci est apparue comme un formidable outil d’accompagnement. Je ne peux qu’encourager chaque entreprise, chaque juriste et chaque médiateur à se lancer dans cette expérience !

Lionel Gonzales Juriste en droit du travail; Médiateur en entreprise, référencé auprès de la Cour d'appel de Paris; Conseiller prud'hommes Conseil en négociations et médiations stratégiques