Village de la Justice www.village-justice.com

Usurpation d’identité et paiement de la taxe foncière. Par Ndeye Rokhaya Thiam, Juriste.
Parution : jeudi 20 février 2020
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/usurpation-itentite-paiement-taxe-fonciere,33869.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

L’usurpation d’identité prend de plus en plus d’ampleur, et la sophistication des moyens techniques utilisés pour ce faire rend de plus en plus difficile la possibilité de détecter les différences entre de vrais documents d’identité et des documents falsifiés.

Ce qui accroît d’autant l’obligation de vigilance et de vérification qui pèse particulièrement sur certains professionnels (banquiers et notaires).

Par ailleurs, il est important pour les victimes d’usurpation d’identité d’être informées sur les actions dont elles disposent pour faire cesser les troubles auxquels elles sont confrontés.

La Loi d’Orientation et de Programmation pour la Performance et la Sécurité Intérieure (LOPPSI) a institué un nouvel Article 226-4-1 du Code pénal lequel réprime l’usurpation d’identité en ces termes :

« Le fait d’usurper l’identité d’un tiers ou de faire usage d’une ou plusieurs données de toute nature permettant de l’identifier en vue de troubler sa tranquillité ou celle d’autrui, ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende.
Cette infraction est punie des mêmes peines lorsqu’elle est commise sur un réseau de communication au public en ligne ».

Le premier réflexe d’une victime d’usurpation d’identité est d’introduire une procédure au pénal afin d’une part que soit identifié l’auteur de l’infraction, et, d’autre part, que cessent les troubles causés par cette usurpation.

Cependant, parallèlement à la procédure pénale, la victime doit également agir devant les juridictions civiles et administratives afin de sauvegarder ses droits.

En effet, il est fréquent que l’usurpateur utilise l’identité de la victime afin de réaliser plusieurs actes de la vie courante : création d’une société, conclusion d’un contrat de bail, souscription d’un prêt immobilier…

Nous axons notre réflexion sur l’acquisition d’un bien immobilier avec l’identité usurpée ainsi sur certaines conséquences de cette acquisition du côté de la victime.

1. La souscription d’un prêt immobilier.

Afin d’obtenir le financement nécessaire à l’acquisition d’un bien immobilier, l’usurpateur dépose un dossier de demande de prêt soit auprès d’un courtier, soit directement auprès d’un établissement bancaire. Il s’agit d’une procédure classique à ceci près que les pièces d’identité annexées au dossier de demande de prêt sont celles frauduleusement obtenues.

Parfois peu vigilants, les établissements de crédit accordent ainsi le prêt sollicité sans procéder à une vérification sérieuse des pièces d’identité versées au dossier.

2. La réalisation de la vente et la publication de l’acte de vente contenant l’identité usurpée.

Le notaire est garant de l’efficacité de l’acte, et doit à ce titre s’assurer de la conformité des documents qui lui sont remis dans le cadre de la réalisation d’une vente, sauf à engager sa responsabilité.

Certains notaires sont cependant tentés d’effectuer des vérifications sommaires (ou de ne procéder à aucune vérification) dès lors qu’un autre professionnel est réputé avoir procédé à un examen préalable des pièces du dossier, souvent la banque prêteuse de deniers.

Or, comme cela a été jugé par la Cour de cassation, le notaire est tenu de vérifier les informations qui lui sont communiquées même dans l’hypothèse où des vérifications ont été faites par d’autres [1].

Par ailleurs, après la régularisation de la vente, et conformément à ses obligations légales, le notaire procède alors à la publication de l’acte de vente au service de la publicité foncière territorialement habilité à recevoir la conservation dudit acte. S’opère ainsi une mutation cadastrale substituant le nouveau faux acquéreur à l’ancien propriétaire du bien immobilier.

3. La notification de la taxe foncière à la victime de l’usurpation.

A compter du 1er janvier suivant la publication de la vente, les mutations cadastrales étant effectuées avec une fausse identité, la victime d’usurpation d’identité est ainsi susceptible d’être destinataire d’une taxe foncière.

En effet, conformément aux dispositions de l’Article 1380 du Code général des impôts, les propriétés bâties situées en France sont, sauf exonération expresse, soumise à la taxe foncière.

Afin de déterminer le redevable de cette taxe, il convient de se référer aux Articles 1400 et 1415 du Code général des impôts qui prévoient que la taxe foncière est « imposée au nom du propriétaire actuel », le nom du propriétaire devant être celui figurant sur le registre cadastral au 1er janvier de l’année d’imposition.

En d’autres termes, à partir du moment où il ressort du fichier cadastral que le propriétaire du bien est celui faussement mentionné dans l’acte de vente, la taxe foncière est due par la victime de l’usurpation d’identité puisque ce sont ses pièces d’identité qui ont permis d’établir l’acte de vente.

Il serait tentant de ne pas s’acquitter de cette taxe puisque les victimes considèrent cette taxe comme une « injustice » supplémentaire.

4. L’impossibilité d’obtenir un dégrèvement en l’absence de régularisation du fichier cadastral et le recouvrement de la taxe foncière par l’administration fiscale.

Toute démarche auprès de l’administration fiscale informant celle-ci de l’usurpation d’identité serait opportune mais privée d’efficacité, puisque insuffisante à obtenir le dégrèvement de la taxe foncière.

En effet, aux termes de l’Article 1403 du Code général des impôts : « Tant que la mutation cadastrale n’a pas été faite, l’ancien propriétaire continue à être imposé au rôle, et lui ou ses héritiers naturels peuvent être contraints au paiement de la taxe foncière, sauf leur recours contre le nouveau propriétaire ».

Par ailleurs, en cas de résistance de la personne victime d’usurpation d’identité, l’administration fiscale ne manquera pas d’user des prérogatives qu’elle tient des Articles L262 et L263 du Livre des procédures fiscales en procédant à la saisie des comptes bancaires ou des salaires de la victime.

5. Le rétablissement de la victime dans ses droits et décharge de la taxe foncière.

Afin d’obtenir le dégrèvement de la taxe foncière, la victime devra contester la propriété indiquer dans l’acte vente devant les juridictions civiles en vertu de l’article 1404 du Code général des impôts.

La contestation de la propriété devra être précédée par la contestation de l’acte de vente.

Ceci étant, il est prévu à l’article 2 du décret n°55-22 du 4 janvier 1955 que la modification de la situation juridique de l’immeuble ne peut intervenir qu’à la publication de l’acte ou de la décision judiciaire modifiant cette situation juridique.

S’agissant d’un acte de vente devant faire l’objet d’une publication au service de la publicité foncière, l’article 4 alinéa 1 du décret n°55-22 du 4 janvier 1955 dispose que les actes devant faire l’objet d’une publicité sont dressés en la forme authentique.

Or, les actes authentiques font foi jusqu’à inscription de faux en application des dispositions de l’article 1371 du Code civil.

Il convient par conséquent, pour rétablir la victime dans ses droits, d’introduire une action en inscription de faux à titre principal conformément aux Articles 303 et suivants du Code de procédure civile.

La décision définitive rendue à l’issue de cette procédure, et reconnaissant que l’acte de vente est un faux, fera l’objet d’une publication au registre de la publicité foncière. Le relevé cadastral du bien immobilier sera ainsi mis à jour et la victime pourra obtenir le dégrèvement de la taxe foncière, et s’assurer de ne pas recevoir ladite taxe à l’avenir.

Ndeye Rokhaya Thiam Juriste en contentieux des affaires

[1Cass. civ 1ère., 14 février 2018, n°16-27263.

Comentaires: