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L’apparence physique, enjeu du recrutement ? Par Sandy-David Noisette, Docteur en droit.
Parution : vendredi 21 février 2020
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Sauf pour certaines professions bien déterminées, l’apparence physique d’un candidat à l’embauche ne relève pas, en principe, des déterminants du recrutement. En effet, le physique n’est pas une compétence, et sa prise en compte relève alors de stéréotypes et de préjugés, sources de discriminations.

La recherche a tenté de montrer quelles sont les conséquences de comportements d’employeurs peu vertueux, rendant, dans le même temps, les sources normatives particulièrement ineffectives.

Position du problème.

L’apparence physique d’un(e) candidat(e) à l’embauche relève à la fois de ses caractéristiques physiques innées ou apparues, non modifiables [1], mais aussi des autres caractéristiques modifiables constituant la singularité de son style [2].

La recherche récente témoigne que l’apparence est au cœur des discriminations, alors même qu’elle s’insère dans un corpus juridique les prohibant expressément [3].

En accroissant les inégalités entre les salariés, ce qui est devenu un déterminant du recrutement et du parcours professionnel relève - in fine - du champ de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Cette thématique vient d’ailleurs de faire l’objet d’évolutions normatives dispersées avec, notamment, la loi du 5 septembre 2018 [4] et le décret du 8 janvier 2019 [5]. La jurisprudence se fait enfin plus fournie sur le sujet.

Autre témoin de l’éclatement d’un sujet résultant de prises de position dispersées du législateur, la thématique de l’apparence physique est concurremment traitée par des dispositions issues de plusieurs codes, au titre desquels la loi du travail tient bonne place. Parmi l’éclectisme des sources de discriminations entre les femmes et les hommes, l’apparence tient une place centrale, difficile à rationaliser.

La recherche [6] tente d’en comprendre les arcanes et les conséquences.

Le tri des candidatures est l’étape la plus sélective des procédures de recrutement : selon la DARES [7], c’est à ce moment-là qu’un candidat sur deux est éliminé. C’est aussi à cette phase que les risques liés à la discrimination directe sont les plus élevés. Pour les emplois de « cadre », il s’agit essentiellement de la date de naissance, de la photo du candidat, de ses nom et prénom, de l’adresse du domicile, de la situation matrimoniale, du nombre d’enfants, etc.

En dépit du risque de discrimination, la photo sur curriculum vitae (CV) est considérée par les recruteurs comme par les candidat(e)s comme un élément indispensable : 82% des jeunes diplômés la considèrent comme indispensable, 74% des cadres demandeurs d’emploi aussi, et 71% des cadres en poste.

Il est possible d’y voir une réponse tout aussi informelle qu’imparfaite à l’incomplétude du contrat de travail : what is beautiful is good ! Celle-ci va d’ailleurs croissant avec la tertiarisation de l’économie et la multiplication des emplois tournés vers le contact avec les clients, l’élévation du niveau de compétence et de qualification, ainsi que du développement de l’autonomie dans le travail. Au moment du recrutement, l’employeur connaît peu les qualités intrinsèques du candidat, alors même qu’elles se révèlent souvent être des facteurs d’efficacité économique.

Pourtant, en dehors des métiers de représentation, la photographie n’apporte a priori aucune information pertinente sur un candidat ou une candidate, sa présence risquant au contraire d’être un facteur induisant une discrimination. Les employeurs potentiels sont en effet tenus de ne demander que des informations ayant un lien direct et nécessaire avec le poste à pourvoir  [8]. On peut ici préciser qu’aux Etats-Unis, en Angleterre, en Australie ou au Canada, par souci de neutralité, les CV ne contiennent qu’exceptionnellement une photo [9].

L’apparence est source de discrimination.

L’enquête « Testing sur CV - Adia / Paris I - Observatoire des discriminations » conduite par le Pr. Jean-François Amadieu a validé l’hypothèse de discrimination sur l’apparence physique.

Pour ce faire, il a utilisé la méthode du testing, en s’appuyant sur le protocole suivant : méthode de « l’audit par couple » qui consiste à envoyer, en réponse à une offre d’emploi, deux CV qui ne diffèrent que par une caractéristique : la variable à tester. Le couple de CV est adressé à un échantillon d’entreprises, et plusieurs CV sont envoyés en réponse à une même offre d’emploi. En l’espèce, le testing concernait des postes de commerciaux de niveau BTS.

Plusieurs variables de discrimination ont été testées : genre, origine ethnique, lieu de résidence, visage beau ou disgracieux, âge, mention de handicap.

Au final, les convocations à un entretien d’embauche ont varié selon les paramètres testés.

Selon l’étude, le CV comportant une photo d’un candidat disgracieux a reçu un nombre très significativement moins élevé de réponses positives. Cela a pu confirmer l’hypothèse initiale, à savoir l’impact de la photo sur un CV.

La discrimination dont est victime une personne au visage disgracieux n’est toutefois pas limitée au traitement de son CV.

En effet, contrairement à d’autres cas de discrimination [10], l’entretien constitue une épreuve déterminante.

L’apparence réelle du candidat peut être différente de celle qui figure sur la photo. La discrimination globale en raison de l’apparence physique (ici du visage) est donc certainement plus élevée.

Selon d’autres études sur lesquelles s’appuie le Conseil Supérieur à l’Egalité Professionnelle (CSEP), des biais en faveurs des plus séduisants apparaissent. Par exemple, les candidates maquillées pour des emplois de vendeuses ont trois fois plus de chances d’obtenir une réponse positive. De même, les femmes qui portent un décolleté sur leur photo de CV ont significativement davantage de chances d’être recrutées pour des emplois de comptables ou de vendeuses.

L’ensemble des testing montre finalement qu’à la discrimination en raison du sexe (ou d’autres variables) s’ajoute celle relative à l’apparence physique : elle prend appui sur les CV et les réseaux sociaux, et se poursuit lors de l’entretien de recrutement.

Selon la docteure Hélène Garner-Moyer, son impact aurait cependant tendance à s’étioler au cours de la carrière, une fois que le candidat recruté est inséré dans le monde professionnel. En effet, l’information sur ses qualités intrinsèques est de meilleure qualité. L’incomplétude du contrat de travail s’amenuise. Selon la chercheuse, il n’en reste pas moins que des différences de parcours et de salaires ont été constatées entre individus, au profit des salariés les plus séduisants. C’est le cas notamment lorsque l’apparence a valeur d’enjeu pour l’entreprise : soit l’apparence de l’individu est associée à l’image de l’entreprise (apparence-vitrine) soit l’apparence de l’individu est représentative du poste occupé (apparence symbolique).

Un physique séduisant agit comme un signal dans une société dominée par le règne de l’apparence, et ce également dans le domaine professionnel. Ce despotisme est devenu tel, qu’il génère pour les individus n’acceptant pas ces normes, ou ne pouvant s’y conformer, des sanctions morales et sociales qui peuvent aller jusqu’à de la discrimination. Ces atteintes à la dignité sont pourtant régies par le Code du travail [11] et le Code pénal [12], mais la difficulté à apporter la preuve de la discrimination est telle, que les pratiques informelles de recrutement prennent finalement le pas sur le principe de non-discrimination, rendant le droit ineffectif.

Sauf dans certaines situations déterminées régies notamment par le Code du travail [13], et correspondant à certains métiers requérant des attributs corporels spécifiques [Esthéticiennes, comédiens, mannequins, etc.]], les employeurs sont invités par le Défenseur des droits à la vigilance :
- Prendre conscience de l’existence de stéréotypes et préjugés [14] ;
- Prendre conscience que le physique n’est pas une compétence [15].

L’apparence accroît les inégalités entre femmes et hommes.

La recherche fait aussi état d’inégalités hommes-femmes en raison de l’apparence physique. Il s’agit du courant des stéréotypes sexuels : une apparence séduisante est un atout seulement si le poste est considéré comme approprié avec le sexe du candidat.

L’apparence physique influence la décision de recrutement à condition que le candidat postule à un emploi en adéquation avec son sexe [16].

Si les femmes sont moins facilement embauchées pour des postes de direction et de management - car des compétences supérieures en ce domaine sont d’emblée attribuées aux hommes - les études montrent que l’impact de la beauté varie selon le niveau hiérarchique : pour un poste subalterne, le candidat attirant est préféré, mais pour un poste élevé, la beauté favorise les hommes et défavorise les femmes.

Ces dernières finissent par subir une double discrimination : à qualification équivalente, être une femme ne permet pas d’accéder en masse aux emplois de direction ; de plus, être une femme séduisante renforce cette discrimination : leur beauté serait à ce niveau synonyme de légèreté ou de futilité.

Quelles informations peuvent être demandées au candidat lors d’un recrutement ?

Quelle que soit la forme permettant leur collecte (questionnaire, entretien, production de documents écrits, etc.), les informations doivent avoir pour seul but d’apprécier la capacité du candidat à occuper l’emploi ou ses aptitudes professionnelles [17]. Dans les entreprises d’au-moins 50 salariés, les informations fournies ne peuvent être examinées que dans des conditions préservant l’anonymat [18].

Elles ne peuvent être collectées que par un dispositif qui a été préalablement porté à la connaissance du candidat [19]. Elles doivent par ailleurs avoir un lien direct et nécessaire avec l’emploi proposé [20]. Aussi, l’employeur ne saurait exiger de renseignements portant sur la vie privée du candidat [21].

Lorsque les demandes d’informations sont pertinentes au regard des caractéristiques de l’emploi proposé - l’âge par exemple s’il est justifié par un but légitime - le candidat est tenu d’y répondre de bonne foi [22], une fausse déclaration pouvant, si elle est déterminante pour l’exercice de la profession ou à l’origine d’une situation préjudiciable à l’employeur, justifier la rupture du contrat de travail : nullité du contrat de travail pour dol [23], licenciement motivé par la production de renseignements mensongers déterminants lors de l’embauche [24].

Enfin, aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions [25], ou pour avoir signalé une alerte [26] dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique [27].

Sandy-David Noisette, Docteur en droit, Aix Marseille Univ, CDS, Aix-en-Provence, France.

[1Couleur de peau, corpulence, handicap, etc.

[2Tenue vestimentaire, tatouages, coiffure, etc.

[3Art. 225-1 C. pén., L. 1132-1 C. trav.

[4Pour ses dispositions relatives à l’égalité des chances des femmes et à la formation professionnelle.

[5Relatif à l’index d’égalité des rémunérations.

[6Sciences de gestion et sociologie essentiellement.

[7Direction de l’Animation, de la Recherche, des Etudes et des Statistiques.

[8Art. L. 1221-6 C. trav.

[9Uniquement s’il s’agit d’un emploi de représentation.

[10Origine ethnique, lieu d’habitation, etc.

[11Article L. 1132-1.

[12Article 225-1.

[13Art. L. 1121-1 et L. 1133-1.

[14Homme en cravate = sérieux, femme mince = performante, etc.

[15Ex : des fonctions de juriste nécessitent d’avoir de la mémoire ou d’être créatif, mais pas forcément d’être agréable à regarder.

[16Avantages pour les femmes séduisantes sur des postes féminins, avantages pour les hommes séduisants sur des postes masculins.

[17Art. L. 1221-6 C. al. 1 C. trav.

[18Art. L. 1221-7 C. trav.

[19Art. L. 1221-9 C. trav.

[20Art. L. 1221-6 C. trav. al. 2.

[21Orientation sexuelle, appartenance politique, etc.

[22Art. L. 1221-6 C. trav. al. 3.

[23Art. 1137, al. 1 et 2 C. civ.

[24Soc., 25 nov. 2015, n° 14-21.521 ; Soc., 14 juin 2007, n° 06-41.637.

[25Art. L. 1132-3-3 C. trav.

[26Protection des « lanceurs d’alerte ».

[27Art. L. 1132-3-3, al. 2 C. trav.

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