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Salariés : quelques conseils pratiques pour se préparer à un éventuel licenciement. Par Hervé Grange, Avocat.
Parution : mardi 25 février 2020
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Le salarié victime d’un licenciement individuel ne l’a pas toujours anticipé. En effet, nouvelle direction, nouvelle stratégie, restructuration… ou tout simplement arrêt de plaire et un beau matin vous êtes convoqué par la DRH, sous un prétexte fallacieux et vous vous voyez alors remettre la fameuse convocation à un entretien préalable à un « éventuel licenciement » qui enclenche la procédure.

L’objet de cet article est de donner aux salariés des conseils pratiques afin d’être préparés au mieux à se défendre lors d’un licenciement, car "qui veut la paix, prépare la guerre".

1. Préparez en amont votre dossier avec un avocat.

Une convocation à un entretien préalable est un moment évidemment anxiogène et vous avez un temps limité pour vous y préparer.

En effet, l’entretien peut avoir lieu à partir du 6ème jour ouvrable suivant la première présentation de la lettre de convocation. Cela laisse peu de temps pour trouver un avocat, lui présenter votre cas et définir une stratégie.

Si vous avez le moindre doute sur votre avenir dans l’entreprise, la première chose à faire est donc de sélectionner un avocat, afin d’éviter de choisir dans l’urgence celui qui vous est recommandé par l’ami de l’ami de l’ami. Rencontrez-le afin de lui présenter votre cas et voir si le courant passe.

Cela vous coûtera le prix d’une consultation, mais en contrepartie vous aurez un avis juridique et un accompagnement sur mesure pour savoir ce que vous devez/pouvez faire ou ne pas faire, dire ou ne pas dire… C’est une sécurité, dont d’ailleurs l’aspect psychologique n’est pas le moindre des avantages.

2. Souscrivez à une assurance protection juridique.

Si vous n’avez pas encore d’assurance protection juridique (généralement liée à votre assurance habitation ou à une carte bancaire), pensez à en souscrire une. Pour une cotisation minime, une petite partie de vos frais d’avocat seront pris en charge.

Néanmoins, deux points sont à vérifier :
- Couvre-t-elle les conflits du travail ?
- Quel est le plafond par juridiction saisie ? Attention, ils sont souvent faibles comparés au coût d’une procédure.

Au titre de la protection juridique, vous conservez le libre choix de votre avocat.

3. N’hésitez pas à vous faire accompagner par un représentant du personnel.

Certains salariés sont réticents à se faire accompagner lors de l’entretien préalable [1] :
« Lors de son audition, le salarié peut se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise.
Lorsqu’il n’y a pas d’institutions représentatives du personnel dans l’entreprise, le salarié peut se faire assister soit par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise, soit par un conseiller du salarié choisi sur une liste dressée par l’autorité administrative »
, notamment les managers qui n’ont pas toujours une bonne image des syndicats ou encore les optimistes qui pensent pouvoir convaincre l’employeur qu’il s’agit d’un malentendu.

Pour les optimistes, il faut savoir qu’il est rare qu’un entretien préalable ne débouche pas sur un licenciement.

Le fait de se faire accompagner ne modifiera probablement pas la décision de l’employeur, mais cela présente de nombreux avantages :
- la plupart des représentants des syndicats, notamment dans les grandes entreprises, sont formés à l’exercice et connaissent bien le droit du licenciement ;
- la présence d’un tiers peut permettre de tempérer une situation conflictuelle ;
- coté employeur, ils seront souvent deux, donc autant être à armes égales ;
- le représentant prend des notes et souvent fait une synthèse de l’entretien, très utile par la suite. Il s’agit d’un moyen de preuve recevable devant les prud’hommes [2].

Afin de prévenir tout litige, l’employeur peut faire rédiger un compte-rendu d’entretien que le salarié est libre de signer ou non.

En ce qui concerne l’enregistrement de l’entretien, il ne peut être envisagé que si les parties y consentent. Aussi, un enregistrement effectué à l’insu d’une partie ne constituerait pas un moyen de preuve recevable, s’agissant d’un procédé déloyal.

4. Les documents qu’il convient de sauvegarder au fil de l’eau.

Un litige devant les Prud’hommes, c’est certes l’application de règles de droit, mais c’est d’abord de pouvoir prouver ce que l’on avance. En effet, si juridiquement vous avez raison, mais que vous ne pouvez pas le prouver, vous aurez beau avoir le meilleur avocat, l’issue du procès sera compliquée.

Or, un grand classique est qu’en même temps que votre lettre de convocation, vous recevez une mise à pied conservatoire. Ainsi, du jour au lendemain vous n’avez plus accès ni à votre bureau, ni à votre ordinateur, ni à votre messagerie, ni à votre agenda.

Par conséquent, il est indispensable de vous astreindre à conserver chez vous une copie de tous les éléments importants, tels que le règlement intérieur, la charte informatique, la charte de la déconnexion…

Bien évidemment, conservez tout ce qui est félicitations, bonus, remerciements des clients…

Tout comme les éventuels e-mails ou textos qui pourraient laisser à penser que vous subissez un harcèlement, si tel est le cas.

Une des difficultés classiques concerne la preuve des heures supplémentaires ou du non-respect des temps de repos obligatoires pour les cadres au forfait.

Si vous êtes au forfait jour et faîtes de gros horaires, gardez-en une trace. En effet, l’employeur est tenu de respecter les périodes de repos quotidien (11 heures consécutives) et hebdomadaire (35 heures consécutives). De plus, il doit s’assurer de manière régulière que l’équilibre entre votre vie professionnelle et votre vie personnelle est respecté, faute de quoi le forfait sera nul et les heures au-delà du temps légal seront considérées comme des heures supplémentaires.

En cas de litige relatif au nombre d’heures de travail effectuées, la preuve de la réalisation des heures de travail se fait en deux temps.

Tout d’abord, c’est au salarié de présenter préalablement des éléments de nature à fonder sa demande [3]. Ces éléments doivent être « suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l’employeur de répondre en fournissant ses propres éléments » [4]. Il s’agit en réalité pour le salarié d’apporter un commencement de preuve [5].

Ensuite, c’est à l’employeur de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Ce qui est logique car c’est plutôt lui qui détient ou devrait détenir ces éléments.

Par conséquent, il est utile de conserver toutes les preuves qui peuvent démontrer que l’employeur n’a pas respecté les horaires ou les temps de repos. Ces preuves peuvent être des notes de taxi, de parking, de commande de repas, des emails, voire l’historique de la géolocalisation de votre portable personnel.

5.Les précautions à prendre en termes de communication.

Des affaires récentes démontrent à l’envie que les moyens modernes de communication sont un piège. Sans tomber dans la paranoïa, lorsque vous adressez un email ou un texto, ayez toujours le réflexe de vous demander si un jour quelqu’un pourra s’en servir contre vous.

De plus, il convient d’avoir conscience que les éventuels échanges que produira votre employeur contre vous, seront sortis de leur contexte, donc avant toutes choses, posez-vous la question de savoir ce que pourrait en penser un tiers s’il lit le message. Ainsi, évitez l’humour, le deuxième degré…, car les juges n’en ont pas toujours.

Par ailleurs, séparez autant que possible le personnel du professionnel. Par exemple, si votre employeur vous prête un téléphone professionnel, n’utilisez celui-ci qu’à cet usage. Il en va de même de votre ordinateur.

En effet, même si la jurisprudence a établi que l’employeur ne peut utiliser en justice les messages marqués « personnel » ou « privé » ou encore les messages issus des messageries instantanées privées, car ils sont couverts par le secret des correspondances, cette protection n’est pas absolue. Tout d’abord, rien n’empêche l’employeur de les lire et surtout celui-ci peut toujours saisir le juge afin qu’un huissier soit nommé pour identifier les messages établissant l’attitude fautive du salarié [6] .

Enfin pour ce qui concerne les commentaires sur réseaux sociaux, si par principe la jurisprudence considère qu’un groupe est privé et que c’est à l’employeur de prouver que le groupe est public [7], il n’en reste pas moins qu’il convient d’éviter les « like » et les « posts » sur les murs de tiers qui eux peuvent être publics.

En synthèse, au-delà des règles de droit, pour le salarié la solidité de son dossier tient d’un côté aux preuves qu’il aura pu conserver et de l’autre à l’absence de preuves pouvant prouver les griefs de l’employeur. A ces conditions, le salarié et son Conseil seront beaucoup mieux armés afin de négocier un accord transactionnel avec l’employeur, si lui-même est bien conseillé.

Avocat au barreau de Paris Droit social www.grange-avocat.fr

[1Article L1232-4 du Code du travail.

[2Cour de cassation, soc., 27 mars 2001, n° 98-44666.

[3Cour de cassation, soc., 15 déc. 2004, n° 03-40238.

[4Cour de cassation, soc., 24 nov. 2010, n° 09-40928.

[5Cour de cassation, soc., 10 mai 2007, n° 05-45932.

[6Cour de cassation, civ. 1ère, 20 sept. 2017, n° 16-13082.

[7Cour de cassation, soc., 12 sept. 2018, n° 16-11690.