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Lutter contre l’affichage sauvage en période électorale. Par Valérie Farrugia, Avocat.
Parution : vendredi 28 février 2020
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A l’approche des prochaines élections municipales des 15 et 22 mars 2020, il apparaît intéressant de faire un point sur les différentes procédures qui permettent de lutter contre l’affichage sauvage qui est pratiqué par certains militants voire candidats.

Le droit de l’affichage correspond à l’ensemble des dispositions réglementant l’installation et le support des affiches. Il vise à protéger le cadre de vie contre la prolifération de la publicité, des enseignes et des pré-enseignes.

Ce droit trouve sa source essentielle dans le Code l’environnement. Toutefois, en période électorale des règles spécifiques viennent s’y superposer.

Pourtant, à l’approche d’un scrutin, les militants, voire les candidats, n’hésitent pas à méconnaître cette réglementation en apposant des affiches à finalité électorale en dehors des emplacements autorisés.

Face à cette pratique qualifiée d’ « affichage sauvage » que faire ?

Plusieurs textes permettent d’intervenir :

a) Le Code électoral réglemente l’affichage en le limitant aux seuls panneaux officiels et ce pendant les six mois précédant le premier jour du scrutin. A cet effet, l’alinéa 3 de l’article L51 du Code électoral dispose que :

« pendant les six mois précédant le premier jour du mois d’une élection et jusqu’à la date du tour de scrutin où celle-ci est acquise, tout affichage relatif à l’élection, même par affiches timbrées, est interdit en dehors de cet emplacement ou sur l’emplacement réservé aux autres candidats, ainsi qu’en dehors des panneaux d’affichage d’expression libre lorsqu’il en existe ».

Les article L90 et L113-1 du même code prévoient des sanctions pénales à l’encontre du bénéficiaire d’affichage ou de publicité commerciale ne respectant pas l’article L51.

b) Le Code de l’environnement fournit au maire et au préfet, des pouvoirs de sanction administrative et au procureur de la République et associations agréées de protection de l’environnement, l’initiative de l’action judiciaire [1].

Le Maire agira au nom de l’Etat si la ville a adopté un règlement local de publicité.

c) Le Code de procédure civile permet à toute personne qui apporte la preuve d’un préjudice personnel et d’un trouble manifestement illicite de saisir en référé le président du tribunal judiciaire pour ordonner sous astreinte l’enlèvement des affiches apposées hors des emplacements réservés [2].

1. La procédure de référé prévue par l’article 835 du Code de procédure civile.

L’article 835 [3] du Code de procédure civile dispose que :

« Le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.
 »

Cette procédure n’est que très peu utilisée et n’a pas donné lieu à beaucoup de contentieux.

Le guide des élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars 2020 prévoit que tout personne apportant la preuve d’un préjudice personnel peut, s’il existe un trouble manifestement illicite, saisir en référé le président du tribunal judiciaire sur le fondement de l’article 835 afin de faire ordonner, sous astreinte, l’enlèvement d’affiches apposées hors des emplacements autorisés.

Par une décision du 2 novembre 1990, le Tribunal de grande instance de Carcassonne a, à la demande d’un des candidats, après avoir rappelé les dispositions précitées de l’article L51 du code électoral, jugé que :

- « constitue un trouble manifestement illicite l’apposition sauvage d’affiches dans la période prohibée, activité susceptible d’être pénalement sanctionnée » ;
- « le candidat qui ne concourt pas toujours aux opérations matérielles de l’affichage en est toujours, sauf pour lui, à apporter la preuve contraire, l’instigateur et le bénéficiaire et il dispose des moyens de mettre fin à l’irrégularité dont il profite ».

Le Tribunal a alors ordonné l’enlèvement desdites affiches sous astreinte [4].

Le demandeur doit établir l’existence d’un préjudice personnel. Cette procédure ne pourra donc pas être initiée par une collectivité ou le président de l’organe délibérant.

Il a, ainsi, été jugé que :

« l’autorité municipale qui a pour obligation de réserver des emplacements spéciaux pour l’apposition des affiches électorales, a le pouvoir de constater les infractions au Code électoral et de les dénoncer au Procureur de la République compétent pour que des poursuites pénales soient engagées mais ne peut se substituer à un candidat éventuellement lésé pour agir en justice dès lors qu’elle ne justifie pas avoir subi un préjudice personnel ;
Qu’à défaut d’intérêt pour agir, sa demande est irrecevable […]
 » [5].

Par conséquent, la ville ne pourra pas agir directement au nom de la protection de l’ordre public et du cadre de vie des habitants car cette procédure requiert la démonstration d’un préjudice personnel. Cette irrecevabilité sera également opposée au maire.

Si le maire se présente aux élections concernées par un affichage sauvage, il devra agir en sa qualité de candidat et non de maire.

De ce fait, les constats seront établis par des huissiers plutôt que par des agents assermentés qui viendraient relevaient une infraction.

2. La procédure de retrait d’office prévue par le Code de l’environnement.

Si le Code de procédure civile ne permet pas au maire d’agir, le Code de l’environnement l’autorise à intervenir et à procéder au retrait d’office d’un affichage irrégulier faute pour le contrevenant d’avoir régularisé la situation.

2.1. Sur la notion d’affichage irrégulier.

Est irrégulier l’affichage de document ne comportant pas les mentions régulières ou étant apposé sur emplacement non autorisé.

Il s’agit des affichages implantés dans des lieux interdits et énumérés par l’article L581-4, des affichages ne comportant pas les mentions obligatoires prévues à l’art L581-5 ou encore des affichages implantés dans des lieux sans avoir obtenu l’accord écrit des propriétaires.

L’article L581-4 du Code de l’environnement dispose que :

« I. Toute publicité est interdite :
1° Sur les immeubles classés ou inscrits au titre des monuments historiques ;
2° Sur les monuments naturels et dans les sites classés ;
3° Dans les cœurs des parcs nationaux et les réserves naturelles ;
4° Sur les arbres […].
 »

Le maire sur demande ou après avis du conseil municipal et après avis de la commission départementale compétente en matière de sites, peut également interdire par arrêté toute publicité sur des immeubles présentant un caractère esthétique, historique ou pittoresque.

Par ailleurs, « nul ne peut apposer de publicité ni installer une pré-enseigne sur un immeuble sans l’autorisation écrite du propriétaire ».

Toute publicité doit, en outre, mentionner « le nom et l’adresse ou bien la dénomination ou la raison sociale, de la personne physique ou morale qui l’a apposée ou fait apposer » [6].

2.2. Sur la procédure devant être respectée.

Ainsi que cela a été précédemment exposé, l’autorité compétente pour intervenir est le maire qui interviendra au nom de l’Etat lorsqu’il existe un règlement local de publicité. A défaut, il s’agira du préfet.

Si des affiches sont apposées sur des emplacements visés par l’article L581-4 du Code de l’environnement, sans l’accord des propriétaires des lieux ou sans contenir les mentions précitées figurant à l’article L581-5, l’autorité compétente devra envoyer un agent assermenté pour constater les infractions.

En application de l’article L581-26 du Code de l’environnement, la copie du procès-verbal devra être adressée à la personne visée et en application de l’article L581-29 du même code elle devra être mise en demeure de procéder au retrait des affiches irrégulièrement apposées dans les cinq jours.

Passé ce délai, l’autorité compétente, maire ou préfet, pourra le faire elle-même d’office.

L’article L581-30 prévoit la possibilité d’assortir la mise en demeure d’une astreinte mais cette dernière ne s’applique pas à l’affichage d’opinion. L’affichage électoral est considéré comme tel.

De surcroît, avant de procéder au retrait d’office des affiches concernées, si elles sont apposées sur une propriété privée ou sur le domaine public appartenant à une autre collectivité, les propriétaires concernés devront être préalablement informés que l’autorité de police va intervenir.

Une fois les affiches retirées, le coût de ce retrait seront refacturés à la personne qui a apposé lesdites affiches. Si cette dernière n’est pas connue, les frais seront mis à la charge de celle pour laquelle l’affichage a été réalisé.

A défaut, la ville ne pourra pas agir d’office et solliciter le remboursement des dépenses occasionnés par le retrait des affiches [7].

L’autorité compétente peut, en outre, demander au préfet de prononcer l’amende prévue par l’article L581-26 du Code de l’environnement, soit 1.500 euros par dispositif.

Attention :
- le préalable nécessaire à la mise en œuvre de cette procédure d’exécution d’office est donc le procès-verbal et la mise en demeure de l’intéressé lui enjoignant de régulariser la situation ;
- il est également important de s’assurer que l’auteur du procès-verbal est habilité pour intervenir [8] et que le constat est rédigé de manière circonstanciée en visant les bons textes applicables en la matière.

3. Les sanctions pénales prévues par le Code de l’environnement.

Les articles L581-34 et L581-35 du Code de l’environnement prévoient qu’est puni d’une amende de 7.500 euros le fait d’apposer, de faire apposer ou de maintenir après mise en demeure un affichage apposé en méconnaissance des dispositions précitées du Code de l’environnement.

Cette peine est applicable à l’auteur de l’infraction et à celui pour le compte duquel elle a été réalisée.

L’amende de 7.500 euros est prononcée autant de fois qu’il y a d’affichage irrégulier.

Dans cette dernière hypothèse, en matière de « publicité à caractère électoral », le Code électoral prévoit une procédure spéciale :

« dans le cas d’une publicité de caractère électoral, l’autorité administrative compétente met en demeure celui pour le compte duquel cette publicité a été réalisée de la supprimer et de procéder à la remise en état des lieux dans un délai de deux jours francs ».

Si cette mise en demeure est suivie d’effet, la personne pour le compte de laquelle l’affichage irrégulier a été fait ne pourra pas être poursuivie pénalement sur le fondement des articles L581-34 et L581-35 précités.

4. Les sanctions pénales propres au Code électoral.

L’article L90 du Code électoral sanctionne pénalement la méconnaissance des dispositions précitées de l’article L51 du Code électoral :

« l’amende prévue à l’alinéa 1 du présent article sera également applicable à toute personne qui aura contrevenu aux dispositions du dernier alinéa de l’article L51 ».

Par ailleurs, l’article L113-1 du même code prévoit notamment que :

« sera puni d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende tout candidat, en cas de scrutin uninominal ou binominal, ou tout candidat tête de liste, en cas de scrutin de liste, qui :
1° Aura bénéficié, sur sa demande ou avec son accord exprès, d’affichages ou de publicité commerciale ne respectant pas les articles L51 et L52-1
 ».

Ainsi, il s’agit de distinguer les procédures suivantes :

Référé civil : seul le candidat peut saisir le juge des référés d’une demande d’injonction de retrait sous astreinte.

Procédure administrative d’exécution d’office : en présence d’un règlement local de publicité, pour pouvoir obtenir le remboursement des frais avancés par la ville, un procès-verbal devra être régulièrement dressé ainsi qu’une mise en demeure de procéder au retrait dans un délai de cinq jours. A la suite de cet envoi, le maire pourra également demander au préfet de procéder au prononcé de l’amende de 1.500 euros par dispositif irrégulier.

Retrait immédiat par des agents de la ville : mais le remboursement des frais ne pourra pas être obtenu et des poursuites pénales ne pourront pas être engagées sur le fondement des articles L581-34 et L581-35 du Code de l’environnement.

Procédure pénale :
- en application de l’article L581-35 du Code de l’environnement, en présence d’un règlement local de publicité, le maire pourra mettre en demeure la personne pour le compte de laquelle le collage a été fait de procéder au retrait des affiches irrégulières dans un délai de 48 heures. S’il ne le fait pas, le maire pourra écrire au procureur de la République pour qu’il poursuive sur le fondement des articles L581-34 et L581-35 ;
- en application des articles L90 et L113-1 du Code électoral, le procureur de la République pourra être informé que tel ou tel candidat a méconnu l’article L51 du Code électoral.

Enfin, il sera rappelé que l’affichage sauvage n’est sanctionné par le juge électoral que s’il présente un caractère massif et qu’il a été de nature à altérer la sincérité du scrutin [9].

Valérie FARRUGIA - Avocat à la Cour vf@valeriefarrugia-avocats.com https://valeriefarrugia-avocats.com/

[1Art. L581-4 et suivants du Code de l’environnement.

[2Art. 835 du Code de procédure civile.

[3Nouvelle numérotation car jusqu’au 31 décembre 2019, il s’agissait de l’article 809

[4TGI Carcassonne, ord., 2 novembre 1990.

[5CA Versailles, 14 février 2001, RG n° 01/00303.

[6Art. L. 581-5 du Code de l’environnement.

[7TA Grenoble, 4 avril 2017, n° 1502189.

[8Art. L581-40 du Code de l’environnement.

[9Voir par ex. pour un rejet de la critique : CE, 24 juillet 2009, Elect. mun. Montauban, n° 322221, Rec. T.

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