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Barbe, Neutralité et Laïcité ! Par Baptiste Genies, Avocat.
Parution : vendredi 28 février 2020
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Alors que le sénat a voté une proposition de loi tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l’éducation qui vise à interdire le voile pour les parents accompagnant les sorties scolaires, le juge administratif a tenu à préciser les atteintes aux principes de neutralité et de laïcité du service public.
Par un arrêt du 12 février 2020, le Conseil d’Etat a posé le principe que le port de la barbe n’était pas contraire au principe de laïcité et au devoir de neutralité.
CE, 12 février 2020. req. n°418299.

I/ Les principes de laïcité et de neutralité.

Les fonctionnaires et les agents contractuels de la fonction publique sont soumis au principe de laïcité et doivent être neutres, notamment quand ils exercent une mission de service public.

A ce titre, il convient de rappeler que ces principes trouvent leur fondement à l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 qui dispose :

"Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi."

Et de l’article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 :

"La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances."

Le devoir de neutralité est souvent rattaché à l’égalité du service public, la neutralité impose à l’agent public de ne pas manifester d’opinion politique, religieuse, philosophique lorsqu’il exécute ses missions.

En effet, ces principes s’imposent aux agents publics mais ne s’imposent pas aux usagers du service public [1].

Encore récemment, dans un arrêt du 23 octobre 2018, la Cour administrative d’appel de Lyon a jugé que l’existence de menus de substitution aux plats contenant du porc dans les cantines scolaires ne porte pas atteinte aux principes de laïcité et de neutralité du service public [2].

Toutefois, la Cour de cassation a posé le principe que la personne privée qui gère un service public peut imposer la suppression de tout signe d’appartenance religieuse en raison du principe de la neutralité du service public [3].

Ainsi, le juge administratif doit procéder à une analyse de la situation pour déterminer si le port de vêtement ou de signes manifestant une appartenance à une religion, ne perturbent pas le déroulement et le fonctionnement normal du service public.

II/ Le port de la barbe n’est pas une atteinte aux principe de laïcité et de neutralité.

A titre liminaire, il est intéressant de rappeler qu’un sondage en date du 9 juin 2018 énonce que 92% des hommes de 25-34 ans portent désormais une barbe [4].

Le Conseil d’Etat a eu raison d’annuler l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Versailles en date du 19 décembre 2017 dès lors que le port de la barbe ne peut pas être interprété comme un signe d’appartenance à une croyance religieuse.

Il est rappelé que le principe de laïcité impose aux agents de ne pas manifester leurs croyances religieuses dans le cadre du service public.

Toutefois, le juge administratif a considéré à juste titre que le port de la barbe n’était pas un signe d’appartenance religieuse. Il a même poussé son raisonnement en considérant que c’était insuffisant à caractériser la manifestation de convictions religieuses dans le cadre du service public.

Dans sa décision précitée du 28 juillet 2017, le juge administratif avait pris le soin de préciser que l’importance était notamment les éléments démontrant un "comportement revêtant un caractère prosélyte ou provocateur" [5].

En conclusion, les agents publics peuvent porter la barbe même lorsqu’ils exercent une mission de service public.

BAPTISTE GENIES Avocat à la Cour Chargé d'enseignement à l'Université Paris Saclay  Tel: (+33) 01.88.24.26.54 / 06.82.15.78.25 Email: [->contact@genies-avocat.fr]

[1CE, 28 juillet 2017, n°390740.

[2CAA Lyon, 23 octobre 2018, req. n°17LY03323 et 17LY03328.

[3Cour de cassation, 25 juin 2014, n°13-28.369.

[4Article paru dans le Nouvel Obs le 06/06/2018.

[5CE, 28 juillet 2017, n°390740.