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Compliance et anticorruption : où en sont les entreprises ?
Parution : mardi 3 mars 2020
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L’Association Française des Juristes d’Entreprise (AFJE) et Ethicorp.com ont présenté la deuxième édition (2019-2020) de leur étude sur l’état des lieux en matière de compliance et d’anti-corruption dans les entreprises. Plus de 7.500 juristes en France ont été consultés, représentant plus de 1.500 entreprises, appartenant majoritairement à un groupe et exerçant leurs activités à l’étranger, dans le secteur de l’industrie et des services. Elles entrent très majoritairement dans les seuils de l’article 17 de la loi Sapin II (plus de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires).

Mise en conformité Sapin II : des progrès !

La première édition de l’étude (2017) avait montré que les nouveaux dispositifs étaient assez mal connus et maîtrisés. Après trois ans d’application de la loi dite « Sapin II » du 9 décembre 2016, où en sont aujourd’hui les entreprises dans le déploiement de ces mécanismes ? L’enquête montre qu’une progression considérable a été réalisée : plus de 85 % des entreprises interrogées sont dotées de dispositifs de compliance.

Mais la démarche n’est pas achevée : près de 60 % d’entre elles ne sont que partiellement à jour de leurs obligations. Dans la grande majorité des cas, le processus est encore en cours. En effet, les mesures à mettre en oeuvre sont complexes et la mise en conformité prend du temps, dans un contexte de manque de moyens financiers dédiés et faute de ressources humaines suffisantes, déjà fortement mobilisées par la mise en oeuvre du règlement sur les données personnelles (RGPD).
Il ressort de l’enquête que les processus comptables ont été révisés (50,81 %), les efforts devant être concentrés sur les processus commerciaux (39,2 %) et ceux des ressources humaines (31,75 %).

Globalement, toutes ont bien pris conscience des objectifs et avantages de la compliance. Et, ce, qu’il s’agisse de la prévention des risques et de l’évitement des poursuites, qu’en ce qui concerne le renforcement de l’image de l’entreprise. Le dispositif d’alerte est conçu comme un outil d’intelligence économique : chaque litige prévenu et évité représente une économie en moyenne de 285.000 euros (chiffre stable par rapport à la précédente édition), sans compter les enjeux humains et de notoriété.

Les juristes de l’entreprise au coeur de l’action.

L’enquête montre que dans 67 % des cas, c’est la direction juridique de l’entreprise qui est chargée de la compliance (ou une direction compliance en étroite collaboration avec elle). Dans près de 4 cas sur 5, la responsabilité de la réception et du traitement des alertes pouvant être levées au sein de l’entreprise repose sur une seule personne (le directeur compliance, un responsable éthique), plutôt que sur le collectif d’un comité d’éthique. Lorsqu’ils sont constitués, les comités d’éthique comportent un nombre relativement élevé de membres (huit personnes en moyenne, 20 au plus selon les répondants).
Quel que soit le choix fait, les potentiels conflits d’intérêts sont le principal risque identifié. S’y ajoutent, le cas échéant, des inquiétudes en termes de confidentialité, d’organisation et de suivi des dossiers.

Ces questions de potentiels conflits d’intérêts et de confidentialité amènent à celle de l’externalisation du dispositif d’alerte. Néanmoins, en pratique, simplicité, coût et souhait d’éviter la diffusion d’informations justifient le choix de l’internalisation. Choix qui est fait par deux entreprises sur trois. Lorsque la mise en oeuvre du dispositif est confiée à un tiers, elle n’est le plus souvent que partielle. Elle concerne le dépôt de l’alerte et son accusé de réception, rarement les échanges avec le lanceur d’alerte et très exceptionnellement l’analyse de la situation ou la formulation des recommandations d’action.

Quant à l’ouverture des outils aux collaborateurs externes et occasionnels (art. 8 de la loi Sapin II), il s’avère que les entreprises ont, dans l’ensemble, choisi la plus grande ouverture, en faveur de leurs fournisseurs et clients, voire aux partenaires, candidats aux appels d’offres ou bien encore des ONG.
Le dispositif d’alerte est conçu comme un outil démontrant publiquement la démarche éthique de l’entreprise.

Quelles marges d’amélioration ?

Pour mémoire, l’article 17 de la loi Sapin II prévoit la mise en œuvre d’un dispositif complet et cohérent de compliance : cartographie des risques, code de conduite, dispositif d’alerte, procédure d’évaluation des tiers, procédures comptables, formations, etc. En cas de contrôle de l’Agence française anti-corruption (AFA), ce n’est pas seulement l’existence du dispositif qui est prise en compte, mais aussi l’effectivité de son accès.

En pratique, deux points d’achoppement peuvent être observés.

En premier lieu, un manque de confiance global dans le dispositif d’alerte : peur des rétorsions (le mail étant le mode de communication principal, imprimable et transférable à l’infini) et absence de compréhension du bénéfice retiré à titre personnel pour les lanceurs d’alerte sont constatés. Pourtant, il semble que les alertes soient majoritairement suivies d’effets : enquête interne dans plus de 50 % des cas, sanction disciplinaire (28,04 %), licenciement (23,36 %), action de sensibilisation (20,75 %) et révision des processus (15,09 %). Le peu d’accessibilité du dispositif, malgré les formations et les communications reste également un frein.

En second lieu se pose la question de l’élaboration des codes de conduite anti-corruption. Les codes et chartes éthiques doivent en principe être établis ou révisés en fonction des cartographies des risques d’exposition de la société aux sollicitations externes. Cette cartographie, différente selon les secteurs d’activité et les zones géographiques dans lesquelles la société exerce, se construit selon une méthodologie précise préconisée par l’AFA. Cette démarche est en cours : 53,29 % des entreprises ont une cartographie générale des risques, mais seulement 35,5 % disposent d’une cartographie spécifique anticorruption, comme l’exige pourtant la loi Sapin II.
Outre ces retards, l’enquête fait ressortir, de manière assez préoccupante, que pour plus de 70 % des juristes interrogés, aucune adaptation n’est nécessaire.

Les évolutions sont en marche, les consciences sont en éveil. Mais le travail de déclinaison du dispositif de l’entreprise reste à parachever pour faire de l’éthique professionnelle, un outil de meilleure gestion, d’économies et de compétitivité.

Aude Dorange, Responsable éditoriale Revues Village de la justice