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Le droit des technologies doit partiellement son inefficacité à la technologie. Par Désiré Allechi, Juriste.
Parution : vendredi 6 mars 2020
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Le numérique, porteur en principe de bonnes nouvelles est devenu une véritable source d’inquiétude pour la vie privée des individus. Les espoirs placés dans l’avènement des Technologies de l’Information et de la Communication se sont très vite transformés en interrogations.
Dans un tel contexte l’on incrimine automatiquement les dispositifs juridiques régissant ce domaine en l’occurrence le droit des TIC sans remettre en cause les technologies créées ainsi que les options illusoires ou utopiques qu’elles offrent aux personnes physiques.

Il est présentement impossible d’imaginer une vie sans technologie. La technologie fait partie intégrante de notre quotidien.
L’on constate de plus en plus la création d’outils ou objets high-tech ayant un usage à portée de tous laissant croire qu’ils n’ont aucun impact nocif pour la sécurité des personnes physiques.
Bien que le niveau d’avancement de la technologie diffère d’un pays à un autre du fait de la fracture numérique, tout Etat aspire à une technologie plus avancée dans tous les secteurs d’activités pour booster son économie. L’importance des TIC de nos jours n’est plus à démontrer et c’est d’ailleurs un moyen utilisé par les Etats pour affirmer leur souveraineté : « souveraineté numérique ».

Le droit essaye tant bien que mal de comprendre sinon de cerner cette évolution technologique pour ne pas être qualifié de dépassé car aucun fait, aussi périlleux, hallucinant ou extraordinaire qu’il soit ne doit être considéré comme nouveau pour le droit. En clair, il n’existe pas de zone de non droit. Le droit apparait aux yeux de tous comme la solution à tout problème lié à la société. Toutefois, nous nous posons la question de savoir si le problème sociétal occasionné par l’évolution technologique a pour solution unique le droit. En clair, le droit peut-il être considéré comme la solution magique pour contrer les assauts liés à l’évolution des technologies de l’information et de la communication ?
Sans toutefois trouver d’excuses aux dispositifs juridiques caducs sinon aux Etats n’ayant pas encore cerné l’importance des textes juridiques actuels régissant les TIC, il est important de noter que la mise en place d’un arsenal juridique en la matière signifie juste faire un pas vers la sécurité numérique.
En effet, le droit a juste pour fonction de dissuader et éventuellement sanctionner pour montrer aux individus que tout n’est pas permis. Le triste constat que l’on fait c’est qu’au fil du temps, les individus sont devenus de plus en plus ingénieux au mal telle une course aux armements dans le domaine de la technologie à l’effet d’enfreindre la loi.
C’est dans ce contexte que Rousseau pouvait affirmer dans Discours sur les sciences et les arts que : « nos âmes se sont corrompues à mesure que nos sciences et nos arts ne sont accrues à la perfection ».
Pour paraphraser cette assertion, nous pouvons dire que « les activités cybercriminelles se multiplient à mesure que les technologies se développent ».
De cette pensée très actuelle de Rousseau, il ressort l’idée selon laquelle les activités néfastes de l’homme moderne ont pour source les Technologies de l’Information et de la Communication.
Ainsi les TIC ne sont plus un moyen de facilitation des activités humaines mais un moyen privilégié utilisé pour porter atteinte aux droits des individus. Dans un tel contexte, on s’interroge naturellement sur l’efficacité des dispositifs juridiques pour contrebalancer sinon contrecarrer de tels agissements.
C’est notamment l’occasion de revenir sur ce "droit illusoire" qu’est le droit de suppression des données encore qualifié de droit à l’oubli numérique. Le caractère illusoire de ce droit tient au fait qu’il existe une inadéquation entre son sens et son application. En effet, oublier qui signifie perdre le souvenir de quelque chose devrait effectivement permettre à la personne concernée de se faire oublier sur toutes les plateformes où ses informations pourraient être consultées comme s’il n’y avait jamais eu de divulgation d’informations la concernant.
D’un point de vue juridique, ce droit est ouvert à la personne concernée depuis une récente décision de la cour de justice de l’union européenne (Google Spain) du 13 mai 2014. Il est prévu à l’article 36 de la loi ivoirienne.
Selon cet article : « le responsable du traitement des données met en place des mécanismes appropriés assurant la mise en œuvre du droit à l’oubli numérique et l’effacement des données à caractère personnel ou examiner périodiquement la nécessité de conserver ces données conformément aux dispositions de la loi. »

La consécration de ce droit d’un point de vue juridique est une innovation mais son application d’un point de vue pratique pose des problèmes en ce sens que la suppression définitive ou totale dans l’univers numérique relève d’une utopie. En effet, les options offertes par les outils technologiques nous donnant de croire en la possibilité d’un véritable contrôle sur l’usage ou le sort de nos données sont en réalité inexistantes.
Le droit à l’oubli est plus un droit de déréférencement ou de désindexation de l’information sur un moteur de recherche que d’effacement dans la mesure où la consultation l’information est toujours possible d’un point de vue technique.
En effet, pour paraphraser la pensée de Antoine de Lavoisier qui affirmait : « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », nous pouvons dire qu’avec le numérique « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se conserve ».

Le numérique conserve tout ce qu’il nous prend ou que nous lui offrons volontairement ou involontairement. C’est d’autant plus la raison pour laquelle Christian Charriere-Bourmazel pouvait dire qu’ : « à la mémoire éphémère du papier s’est substituée une mémoire inaltérable et universelle qui ne laisse aucune chance à l’oubli »

Dans un tel contexte, la faute peut-elle uniquement incomber aux dispositifs juridiques ? une chose est de consacrer mais une autre est de trouver la solution technique adéquate pour rendre réelle l’application d’un texte. Ainsi le véritable problème du droit des technologies n’est pas le droit en lui-même dès lors que d’un point de vue textuel les droits adéquats sont consacrés au profit des individus, mais la technologie dans la mesure où elle ne permet pas de s’assurer de façon concrète par des solutions techniques de l’application desdits droits surtout s’agissant de la suppression effective des informations. Par conséquent si on légifère alors il faut la solution technique pratique permettre d’appliquer strictement le texte à défaut de quoi le texte n’aurait aucune valeur.

Cela dit, pour que la personne physique, personne vulnérable dont les droits sont bafoués trouve une velléité de sécurité, vecteur de confiance dans l’univers numérique, il faudrait en plus de la réglementation textuelle qu’elle ait toutes les solutions techniques susceptibles de rendre pratique et réel l’exercice de ses droits.

Désiré Allechi, Juriste Spécialiste du Droit des TIC