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Salariés déguisés : quel apport de la Cour de cassation dans son arrêt du 04 mars 2020 ? Par Flora Labrousse, Avocat.
Parution : lundi 9 mars 2020
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A l’ère des plateformes numériques, le recours à des prestataires de services tels que les livreurs de repas, les chauffeurs VTC et bien d’autres ne fait que s’intensifier, et parallèlement à ce phénomène, la jurisprudence sur les « faux » travailleurs indépendants abonde.

Par un arrêt du 13 novembre 1996 [1], la chambre sociale de la Cour de cassation avait déjà pu considérer que le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail.

A l’ère des plateformes numériques, et de l’émergence en France d’un modèle "américain", le recours à des prestataires de services tels que les livreurs de repas, les chauffeurs VTC et bien d’autres ne fait que s’intensifier, et parallèlement à ce phénomène, la jurisprudence sur les « faux » travailleurs indépendants abonde.

En effet, la problématique de ce modèle est qu’en France nous ne connaissons pas de statut alternatif aux statuts de "salarié" et de "travailleur indépendant".

Depuis 2018, les juridictions hésitent de moins en moins à prendre le contrepied des dispositions qui sont strictement prévues dans les contrats commerciaux proposés par certaines sociétés peu scrupuleuses à des auto-entrepreneurs, pour appliquer à ces derniers les règles du droit du travail.

Par un arrêt rendu le 28 novembre 2018, la chambre sociale de la Cour de cassation dans l’affaire « Take Eat Easy », avait approuvé la reconnaissance de l’existence d’un lien de subordination entre les livreurs et les plateformes numériques. Cet arrêt a fait l’objet d’un précédent article Salariat déguisé VS auto-entrepreneurs : quelle réponse apportée par la Cour de cassation ? Par Flora Labrousse, Avocat.

La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt rendu en date du 10 janvier 2019, avait également suivi cette jurisprudence concernant un chauffeur VTC travaillant pour la célèbre plateforme Uber.
Cette jurisprudence a fait l’objet d’un précédent article Les « faux » travailleurs indépendants : toujours dans le viseur de la justice ! Par Flora Labrousse, Avocat.

La société Uber avait formé un pourvoi en cassation et c’est ce qui a conduit la Haute Juridiction à rendre un arrêt émérite le 4 mars 2020 [2], approuvant en tout point l’arrêt de la cour d’appel de PARIS qui avait reconnu l’existence d’un lien de subordination entre le chauffeur Uber et la plateforme VTC.

La Cour de cassation rappelle ainsi clairement que :
- les critères permettant de caractériser le statut de "salarié" sont : le fait de recevoir des instructions, le fait d’être contrôlé dans l’exécution de sa prestation et le fait de recevoir des sanctions en cas de non-respect des instructions qui lui sont données ;
- les critères permettant au contraire de caractériser le statut de "travailleur indépendant" sont : la possibilité de se constituer une clientèle propre, la liberté de fixer unilatéralement ses tarifs, la liberté de fixer les conditions d’exécution de la prestation de service.

En l’espèce, les personnes qui exécutent les missions qui leur sont proposées par les plateformes numériques ne disposent pas de leur propre clientèle, ne sont pas libres de fixer les tarifs de leurs prestations et ne sont pas non plus libres de déterminer l’exécution de leur prestation de service.

Et ce, peu importe, comme l’indique la Cour de cassation, que le chauffeur VTC n’ait reçu aucune obligation ou injonction de connexion de la part de Uber et qu’aucune sanction n’existe en cas d’absences de connexion même de longue durée.

Il convient de souligner que, sur ce point, la solution retenue par la Haute Juridiction a été encore plus loin que dans l’arrêt "Take it easy", puisque, contrairement aux chauffeurs Uber, les coursiers à vélo chargés de livrer des repas pouvaient, eux, être sanctionnés par le biais de l’application sur ce motif.

Dès lors qu’en France, aucun autre statut alternatif que les deux sus-visés n’existent, de plus en plus, si le travailleur ne réunit par parfaitement et strictement les critères de ce qui caractérise "l’indépendance" dans l’exécution de ses missions, alors il doit être considéré comme un salarié et doit, à ce titre, bénéficier des avantages de ce statut.

Une telle solution a vocation à s’appliquer même dans le cas où le travailleur n’est pas "contraint", au sens propre du terme, de travailler avec la plateforme numérique en question, en restant libre de se connecter quand il le souhaite.

Flora LABROUSSE, Avocat au Barreau de Paris Consultation : https://consultation.avocat.fr/cabinets/cabinet-flora-labrousse-75009-41967a87ce.html Site internet : https://9trevise-avocat.com/

[1Soc., 13 novembre 1996, pourvoi n° 94-13.187.

[2N° 19-13.316.