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Loi PACTE : opposition des brevets d’invention. Par Stéphanie Celaire et Henri Bourgeois, CPI.
Parution : vendredi 13 mars 2020
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La loi PACTE de 2019 va modifier en profondeur plusieurs aspects fondamentaux du droit français des brevets. L’une des mesures phares dans ce domaine est sans nul doute la création d’une procédure d’opposition en matière de brevets d’invention devant l’Institut national de la propriété industrielle, avec possibilité de recours devant la cour d’appel de Paris.

La loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, dite loi PACTE, constitue une réforme importante du droit français des brevets [1].

Elle renforce la procédure d’examen [2], modifie les délais de prescription, prolonge la durée des certificats d’utilité et permet leur transformation en demandes de brevet [3]. Elle introduit en outre la possibilité pour les tiers de s’opposer devant l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) aux brevets français dont la mention de la délivrance aura été publiée à compter du 1er avril 2020.

Après un rapide panorama, la procédure d’opposition française sera abordée sous l’angle des similarités et des différences avec celle qui existe à l’Office européen des brevets (OEB), et sur un plan stratégique. Enfin, les possibilités de recours seront discutées.

1) Panorama.

L’Article 121 de la loi PACTE prévoyait la création d’un « droit d’opposition » aux brevets français par voie d’ordonnance. Le code de la propriété intellectuelle (CPI) a ainsi été modifié par l’ordonnance n°2020-116 du 12 février et le décret n°2020-225 du 8 mars.

Principales étapes de la procédure d’opposition/Principales étapes de la phase d’instruction

Dans les grandes lignes, après un examen de recevabilité débutera une phase d’instruction durant laquelle le titulaire devra d’abord présenter des arguments en réponse. L’INPI émettra alors un avis d’instructions qui initiera une phase d’échanges entre titulaire et opposante. La phase d’instructions pourra s’achever par des observations orales. La décision sera susceptible de recours devant la cour d’appel de Paris.

2) Procédure d’opposition aux brevets d’invention.

2.1 (Presque) comme à l’OEB.

Tout tiers, à l’exception du titulaire, pourra faire opposition à un brevet français délivré (nouvel art. L. 613-23). En accord avec le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance, aucun intérêt à agir ne devrait donc être requis, et il devrait être possible pour un homme de paille de faire opposition.

L’opposant peut être une personne physique ou morale agissant personnellement ou par l’intermédiaire d’un mandataire (nouvel art. R. 613-44). Les personnes résidant hors de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen doivent constituer un mandataire.

Plusieurs personnes peuvent former conjointement opposition. En cas de pluralité d’oppositions, leurs procédures sont jointes (nouvel art. R.613-44-3).

Le délai d’opposition est de 9 mois à compter de la publication au Bulletin officiel de la propriété industrielle de la mention de la délivrance du brevet (nouvel art. R. 613-44). La taxe d’opposition est de 600 euros [4]

Les motifs d’opposition sont (nouvel art. L.613-23-1), classiquement, le défaut de nouveauté, d’activité inventive, ou d’application industrielle, les exclusions et exceptions en matière de brevetabilité (1°), l’insuffisance de l’exposé (2°), et l’extension de l’objet du brevet au-delà du contenu de la demande de brevet telle qu’elle a été déposée et, lorsqu’il y a eu division, de la demande de brevet initiale telle qu’elle a été déposée (3°).

Les conditions de recevabilité de l’opposition sont similaires à celles de la procédure européenne (nouveaux art. R. 613-44-1, R. 613-44-2). Des sources du droit différentes devront trancher si les cas d’opposition réputée non formée prévus devant l’OEB entraînent ou pas la même conséquence juridique en France [5]. Pour mémoire, devant l’OEB, une opposition réputée non formée entraîne un remboursement des taxes acquittées [6]

Le directeur général de l’INPI « statue sur l’opposition au terme d’une procédure contradictoire comprenant une phase d’instruction » (nouvel article L.613-23-2). L’INPI « fait observer et observe lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut fonder sa décision sur des moyens, explications et documents invoqués ou produits par les parties sans que celles-ci aient été mises à même d’en débattre contradictoirement » (nouvel article R.613-44-4).

De même qu’à l’OEB avec la violation du droit d’être entendu, la violation du principe du contradictoire pourrait donc constituer un motif de recours. L’instruction comprend une phase de débat écrit où sous contrôle de l’INPI les parties échanges des observations. Sur demande d’une des parties ou du directeur général, le dépôt d’observations orales peut achever la phase d’instructions (nouvel art. R.613-44-6).

Au cours de la procédure, le titulaire peut modifier le brevet contesté (nouvel art. L. 613-23-3) sous réserve que les modifications apportées répondent à un motif d’opposition.

A l’issue de la procédure, le brevet est révoqué en tout ou partie, maintenu sous forme modifié, ou l’opposition est rejetée (nouvel art. L. 613-23-4). Par rapport à l’OEB, la loi française prévoit donc une issue supplémentaire : la révocation en partie, dont la différence avec le maintien sous forme modifiée devra être clarifiée.

Aux termes du nouvel art. L. 613-23-6, la « révocation a un effet absolu. Les effets des décisions statuant sur l’opposition rétroagissent à la date de dépôt de la demande ».

Chacune des parties « supporte les frais qu’elle a exposés, à moins que le directeur général de l’INPI ne décide d’une répartition différente de ces frais, dans la mesure où l’équité l’exige, et dans la limite d’un barème fixé par un arrêté » à paraître (nouvel art. L.613-23-5). Ceci vise notamment à prévenir les oppositions abusives de l’article 121 de la loi PACTE.

2.2 Exceptions françaises.

D’autres dispositions se démarquent nettement de l’opposition devant l’OEB.

2.2.1 Instruction.

La phase d’instruction est régie par le nouvel art. R.613-44-6. Contrairement à l’avis provisoire de l’OEB, en général annexé à la convocation à la procédure orale vers la fin de la procédure écrite, l’avis d’instruction de l’INPI est émis à un stade précoce de la phase de débat écrit, au plus tard trois mois après la première réponse du titulaire.
La phase de débat oral devrait s’approcher de la procédure orale de l’OEB, où des avis sont rendus par la division d’opposition au fur et à mesure des débats. Toutefois, les textes de loi publiés à ce stade sont suffisamment larges pour couvrir le cas de plaidoiries d’audience similaires à celles qui se déroulent devant les juridictions civiles.

2.2.2 Tiers.

Les textes ne prévoient pas la possibilité de déposer des observations de tiers, ni d’intervention du contrefacteur présumé, mais la manière exacte dont elles seront traitées en opposition reste à confirmer.
L’intervention serait peut-être possible en cas de recours, soumis au code de procédure civile, dans le cadre d’une intervention volontaire.

2.2.3 Examen d’office.

Aux termes du nouvel art. R. 613-44-12, la « procédure d’opposition est clôturée : 1. Lorsque tous les opposants ont retiré leur opposition ; […] ». Ainsi, contrairement à l’OEB, aucune poursuite de procédure d’office n’apparaît possible.
Quid des possibilités d’examen d’office en cours de procédure ? Si l’examen d’office existe en procédure civile, et bien qu’il ne semble pas explicitement interdit par les textes sur l’opposition, certaines dispositions pourraient être interprétées a minima comme limitant la marge de manœuvre de l’INPI (nouveaux art. R.613-44-4, 5 et 9). D’autres sources du droit, telles que la jurisprudence, permettront de clarifier ce point.

2.2.4 Suspension.

Le nouvel art. R. 613-44-10 précise les cas possibles de suspension de la procédure d’opposition, et le nouvel art. R. 613-44-11 les possibilités de reprise.
Si la suspension pour action en revendication existe dans les textes français, aucune possibilité de reprise à l’initiative de l’office n’est prévue et il faudrait en théorie attendre une décision non susceptible de recours pour reprendre la procédure d’opposition.
La suspension pour action en nullité est en revanche prévue, ainsi qu’une suspension à l’initiative de l’INPI et une suspension à l’initiative des parties. Cette dernière permettra la mise en œuvre de négociations.

Suivant l’art. L.613-24 modifié, une demande en limitation du brevet durant une opposition ne permet pas d’obtenir de suspension de la procédure d’opposition. Au contraire, l’opposition entraîne la clôture ou l’irrecevabilité de la procédure de limitation, sauf si cette dernière est demandée dans le cas d’une action en nullité.

2.2.5 Effets de la décision.

Aux termes du nouvel art. L.613-23-2, la « décision du directeur général de l’Institut a les effets d’un jugement au sens du 6° de l’article L. 111-3 du code des procédures civiles d’exécution ». Ceci tend à renforcer le caractère judiciaire de la procédure d’opposition.
Par ailleurs, une fois qu’une révocation partielle du brevet n’est plus susceptible de recours, le nouvel art. L.613-23-6 prévoit le renvoi du titulaire devant l’INPI pour une procédure a priori ex parte de modification du brevet. En cas de maintien du brevet sous forme modifiée, aucun renvoi n’apparaît explicitement prévu.

2.3 Aspects en attente de clarification.

Plusieurs autres aspects seront à clarifier dans des textes juridiques de rang inférieur ou par la jurisprudence : possibilité pour le titulaire de formuler des requêtes subsidiaires incluant des modifications du brevet (l’INPI y semble favorable), usage des langues (langue de procédure, langue des documents cités, etc.), gestion des éléments fournis tardivement, etc.

3) Stratégies et interactions avec les autres dispositions de la loi PACTE.

Suivant les dispositions transitoires mentionnées à l’article 5 de l’ordonnance, l’opposition concernera tous les brevets français dont la mention de la délivrance aura été publiée à compter du 1er avril 2020.

Pour mémoire, le renforcement de l’examen des demandes de brevet français [7], et en particulier l’arrivée du défaut d’activité inventive comme motif de rejet ne concernera que les demandes de brevet déposées à compter du 22 mai 2020. L’opposition pourra donc toucher de nombreuses demandes de brevet déposées à l’issue de l’examen actuel simplifié, et qui seront donc particulièrement sujettes à opposition. Il est donc conseillé aux entreprises d’analyser quels titres adverses pourraient être attaqués par cette voie.
Pour les demandes de brevet susceptibles d’opposition, il est par ailleurs conseillé aux demandeurs de prévoir, lors de l’examen de la demande de brevet, des positions de repli dans les revendications et de les identifier comme telles dans la réponse au rapport de recherche préliminaire.

Le premier délai d’opposition expirera ainsi le 1er janvier 2021 (qui sera férié, et le 2 étant un samedi le délai expirera en réalité le lundi 4 janvier 2021). Il n’est pas pour autant inutile de faire opposition avant cette date. En effet, l’examen de la recevabilité de l’opposition devrait débuter avant l’expiration du délai de 9 mois pour permettre aux opposants de remédier le cas échéant à d’éventuels motifs d’irrecevabilité. La procédure étant nouvelle, il pourrait être souhaitable de déposer les premières oppositions bien avant l’expiration du délai de 9 mois.

En alternative aux brevets renforcés, la loi PACTE a rendu les certificats d’utilité plus attractifs en prolongeant leur durée et en permettant leur transformation en demandes de brevet [8]. Cette attractivité est renforcé par le fait qu’un certificat d’utilité ne peut faire l’objet d’une opposition (art. L.611-2 modifié).

4) Moyens de recours.

4.1 Recours contre les décisions de l’INPI.

Les décisions statuant sur les oppositions formées à l’encontre des brevets peuvent faire l’objet de recours suspensifs (art. L.411-4 modifié), susceptibles de pourvoi en cassation.

La cour compétente est la cour d’appel de Paris (nouvel article D.411-19-2 modifié). Pour rappel, cette cour est déjà compétente pour les appels concernant les actions civiles en matière de brevet et les recours en annulation des décisions du directeur général de l’INPI en matière de délivrance, rejet et maintien des brevets.

Les recours « sont formés, instruits et jugés conformément aux dispositions du code de procédure civile » (nouvel art. R.411-20) sous réserve d’adaptations précisées dans le CPI. Dans certaines situations des tiers peuvent intervenir de manière forcée ou volontaire.

Pour former recours, les parties disposent d’un délai d’un mois à compter de la notification de la décision (nouvel art. R.411-21), et de trois mois à compter del’acte de recours pour conclure (nouvel art. R.411-29). Le défendeur dispose également d’un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions du demandeur pour conclure à son tour et former, le cas échéant, un recours incident (nouvel art. R.411-30). Ces délais sont augmentés d’un mois supplémentaire pour les personnes demeurant outre-mer et de deux mois pour celles demeurant à l’étranger (nouvel art. R.411-43).

Ces recours « défèrent à la cour la connaissance de l’entier litige. La cour statue en fait et droit » (nouvel art. R.411-19). Ce cadre très vaste connaît toutefois des limites. Par exemple les parties ne peuvent généralement pas soumettre de prétentions nouvelles par rapport à celles soumises dans le cadre de l’opposition, mais elles peuvent « invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves » (nouvel art. R.411-38). La jurisprudence précisera sans doute ces dispositions.

4.2 En cas de rejet de demande de modification.

Pour rappel, à l’issue de la procédure d’opposition, en cas de révocation partielle du brevet, le titulaire participe à une demande de modification (nouvel art. L.613-23-6). Aux termes du nouvel art. R.612-73-3, une décision de rejet d’une telle demande « peut faire l’objet d’un recours en annulation tel que prévu au premier alinéa de l’article R. 411-19 », a priori devant la cour d’appel de Paris (article D.411-19-2) dans le délai d’un mois (art. R.411-21).

4.3 En l’absence de motif.

Contrairement à la pratique de l’OEB, aux termes des nouveaux art. L.613-23-2 et R.613-44-8, le silence de l’INPI dans un délai de quatre mois à compter de la date de fin de la phase d’instruction vaut rejet de l’opposition. De même le silence de l’INPI dans un délai de 12 mois à compter du dépôt de la demande de limitation postérieure à une décision de révocation partielle vaut rejet de cette demande (art. R.612-73-1 modifié et R.612-73-2).
Si cette situation devait se produire, il devrait être possible de formuler une demande de communication des motifs (article L.232-4 du code des relations entre le public et l’administration) dans le délai du recours contentieux. L’INPI devra communiquer les motifs « dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu’à l’expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués ».
La décision de rejet tacite de l’opposition pourrait peut-être également faire l’objet d’un recours gracieux auprès du directeur général de l’INPI.
Il importera de surveiller les différents délais de procédure d’obtention des motifs.

En complément de l’analyse de l’activité inventive, la procédure d’opposition vient renforcer la crédibilité et donc la valeur des brevets français, tout en donnant enfin aux tiers la possibilité de mettre à l’épreuve la qualité des titres des concurrents. De surcroît, la proximité de cette procédure avec l’opposition de l’OEB devrait permettre d’éviter de nombreux errements. Et cette valorisation des brevets français laisse a priori possible une stratégie alternative attractive de procédure sans opposition par le certificat d’utilité renforcé.

Stéphanie CELAIRE Associée/Partner Conseil en Propriété Industrielle Mandataire agréé près l'Office européen des brevets Henri BOURGEOIS Conseil en Propriété Industrielle Mandataire agréé près l'Office européen des brevets REGIMBEAU www.regimbeau.eu [->celaire@regimbeau.eu] [->bourgeois@regimbeau.eu]

[1Comme exposé dans un précédent article,

[7Voir l’article dédié.

[8Voir l’article dédié.