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Etat d’urgence sanitaire : Quels outils pour face au coronavirus covid-19 ? Par Patrick Lingibé, Avocat.
Parution : jeudi 26 mars 2020
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Cet article explique ce que recouvre l’état d’urgence sanitaire qui vient d’être créé par une loi du 23 mars 2020 votée récemment pour faire face à l’épidémie de covid-19.

La grave crise sanitaire causée par le pathogène et contagieux du coronavirus covid-19 aura remis tous nos codes et modes sociaux en cause, bousculant les élections municipales au point d’entraîner le report du second tour avec une hypothétique tenue en juin prochain.

Ce nouveau dispositif a été préconisé par le Conseil d’Etat dans son avis n° 399873 rendu par sa commission permanente le 18 mars 2020 sur le projet de loi d’urgence pour faire à l’épidémie de Covid-19 :

« Le Conseil d’Etat souscrit à l’objectif du Gouvernement visant à donner un cadre juridique spécifique aux mesures de police administrative nécessaires en cas de catastrophe sanitaire, notamment d’épidémie. En effet, si la théorie jurisprudentielle des circonstances exceptionnelles a pu fonder le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant règlementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid-19 pris par le Premier ministre sur le fondement de ses pouvoirs de police générale et si l’article L3131-1 du code de la santé publique a donné leur base juridique aux mesures prises par le ministre de la santé, comme son arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus, l’existence d’une catastrophe sanitaire rend utile un régime particulier de l’état d’urgence pour disposer d’un cadre organisé et clair d’intervention en pareille hypothèse. »

Le projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a été enregistré à la présidence du Sénat le 18 mars 2020. La commission des lois a adopté, sur le remarquable rapport de son président Philippe Bas, ce projet de loi en apportant plusieurs amendements. Trois amendements visaient à mieux encadrer l’état d’urgence sanitaire en listant les pouvoirs pouvant être mise en œuvre par le Gouvernement, à donner un caractère limité et temporaire à ce dispositif et à renforcer les pouvoirs de contrôle du Parlement afin de suivre l’application des mesures et de contrôler les conséquences sanitaires de l’épidémie de covid-19. Le Sénat a adopté en première lecture ce projet de loi le 19 mars 2020, après engagement de la procédure accélérée par le Gouvernement.

L’Assemblée Nationale a été saisie le 20 mars 2020. Sa commission des lois a adopté le projet de loi avec des modifications du texte adopté par le Sénat, suivant les préconisations formulées dans le rapport présenté par Madame Marie Guévenoux.

La chambre des députés a adopté le 21 mars 2020 le projet de loi modifié. Par suite des divergences textuelle, la commission mixte paritaire a été saisi le dimanche 22 mars 2020 et adopté un texte commun le même jour. Philippe Bas qui a présidé la commission mixte paritaire ayant abouti à un accord a explicité le contenu du texte commun adopté le même jour par les deux assemblées :

« Nous avons voulu faire en sorte que l’état d’urgence sanitaire se déploie en toute efficacité, mais sans déroger au droit commun au-delà des exigences du combat contre le Covid-19.

Le Sénat a un grand motif de satisfaction : nous n’avons pas à inscrire dans notre droit un régime dérogatoire permanent, susceptible d’être utilisé à l’avenir contre d’autres fléaux sanitaires. Le régime de l’état d’urgence sanitaire reste temporaire ; au-delà d’un an, le Parlement devra se prononcer à nouveau.

Deuxième motif de satisfaction : des pouvoirs importants sont accordés au Gouvernement, mais pas les pleins pouvoirs. Il fallait donner au Gouvernement la possibilité de restreindre la liberté d’aller et de venir, la liberté de réunion, liberté d’entreprendre.

La loi de 1955, qui permet de déclarer l’état d’urgence pour des motifs de sécurité, énumère les mesures susceptibles d’être prises dans la lutte le terrorisme - périmètre de sécurité, assignation à résidence, fermeture de lieux de cultes salafistes, perquisitions... Le Sénat a voulu un dispositif limitatif analogue pour l’état d’urgence sanitaire.

L’Assemblée nationale n’ayant pas pleinement partagé cette position, il fallait trouver un compromis : donner au Gouvernement les marges de manÅ“uvre nécessaires pour être efficace mais éviter qu’il ne porte trop fortement atteinte à nos libertés. Nous avons donc, en CMP, exclu que le Gouvernement puisse prendre des mesures hors de la liste qui portent atteinte à la liberté d’aller et venir et à la liberté de réunion, mais accepté des mesures limitant la liberté d’entreprendre.

Quand la Nation s’organise en temps de guerre, elle déroge aux règles de la libre concurrence et des marchés publics pour produire armes et munitions. Dans la lutte contre le Covid-19, la situation est analogue : il faut produire des masques, des respirateurs artificiels, des tests, des médicaments, voire des vaccins. Nous avons néanmoins exigé que de telles mesures soient prises par décret du Premier ministre, et non par simple arrêté du ministre de la Santé, et déférées au Conseil d’État, qui se prononcera en urgence, selon la procédure du référé. »

La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a été publiée au Journal Officiel du mardi 24 mars 2020. Il comporte 22 articles par rapport au projet de loi qui en comportait 11 article, soit une augmentation de 11 articles supplémentaires prouvant l’efficacité du travail parlementaire. Seuls les articles 1 à 8 traitent de l’état d’urgence sanitaire.

Nous nous proposons d’étudier l’état d’urgence sanitaire en abordant en premier lieu les conditions poser pour y recourir (I). En deuxième lieu, nous aborderons les mesures qui peuvent être prises dans le cadre de ce régime dérogatoire et exceptionnel (II).

I – Les conditions pour recourir à l’Etat de d’urgence sanitaire.

Notre législation comporte déjà un dispositif dérogatoire avec la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, modifiée par la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit.

Pour être mis en Å“uvre, l’état d’urgence sanitaire suppose que l’on soit en présence d’une « catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravite, la santé de la population » (premier alinéa de l’article L. 3131-20 du code de la santé). Pour rappel, l’état d’urgence de la loi de 1955 peut être déclenché « soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’évènements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique. » (article 1er de la loi du 3 avril 1955).

Cet état d’urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire hexagonal ainsi que sur les territoires des collectivités d’outre-mer régies par les articles 73 (DROM : Guyane, Guadeloupe, Martinique, La Réunion et Mayotte) et 74 (COM : Polynésie française, Wallis-et-Futuna, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Martin, Saint-Barthélemy) et la Nouvelle-Calédonie.

S’agissant du dispositif mise en place, il est simple. L’état d’urgence sanitaire résulte d’un simple décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre de la santé. Le texte prévoit que le décret doit être motivé, la motivation supposant de présenter des éléments de fait et de droit justifiant le déclenchement de l’état d’urgence sanitaire.

Le décret doit déterminer la ou les circonscriptions territoriales à l’intérieur desquelles vont s’appliquer les dispositions prises pour l’état d’urgence sanitaire.

Enfin, les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire sur lesquelles la décision de déclenchement de l’état d’urgence sanitaire a été prise sont rendues publiques. Il est évident que le décret actionnant l’état d’urgence devra dans ses motivations devra énoncer ces données scientifiques.

L’information immédiate des chambres parlementaires. L’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement au titre de l’état d’urgence sanitaire. Il est prévu un pouvoir d’instruction à ce niveau puisque tant l’Assemblée nationale que le Sénat peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures.

La prorogation de l’état d’urgence sanitaire. La prorogation de l’état d’urgence sanitaire au-delà d’un mois ne peut être autorisée que par la loi, après avis du comité de scientifiques prévu à l’article L. 3131 26 du code de la santé. La loi autorisant la prorogation au-delà d’un mois de l’état d’urgence sanitaire doit fixer sa durée.

La fin anticipée de l’état d’urgence sanitaire. Le dispositif prévoit qu’il peut être mis fin à l’état d’urgence sanitaire par décret simple en conseil des ministres avant l’expiration du délai fixé par la loi le prorogeant. Toutes les mesures dérogatoires prises cessent d’avoir effet en même temps que prend fin l’état d’urgence sanitaire.

II. Les mesures pouvant être prises dans le cadre de l’Etat d’urgence sanitaire.

Les mesures exhaustives et encadrées pouvant être prises en cas d’état d’urgence sanitaire. Le Sénat a tenu à ce que les mesures pouvant être prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire soient expressément délimitées. Ainsi, dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique, prendre les dix mesures limitatives suivantes :

1° Restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par décret ;

2° Interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ;

3° Ordonner des mesures ayant pour objet la mise en quarantaine, au sens de l’article 1er du règlement sanitaire international de 2005, des personnes susceptibles d’être affectées ;

4° Ordonner des mesures de placement et de maintien en isolement, au sens du même article 1er, à leur domicile ou tout autre lieu d’hébergement adapté, des personnes affectées ;

5° Ordonner la fermeture provisoire d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, à l’exception des établissements fournissant des biens ou des services de première nécessité ;

6° Limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les rÃ%A

Patrick Lingibé Membre du Conseil National des barreaux Ancien vice-président de la Conférence des bâtonniers de France Avocat associé Cabinet Jurisguyane Spécialiste en droit public Diplômé en droit routier Médiateur Professionnel Membre de l’Association des Juristes en Droit des Outre-Mer (AJDOM) www.jurisguyane.com
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