Village de la Justice www.village-justice.com

Le déplafonnement exceptionnel des heures supplémentaires de la fonction publique hospitalière. Par Charles Abeel, Avocat.
Parution : jeudi 26 mars 2020
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/deplafonnement-des-heures-supplementaires-fonction-publique-hospitaliere-une,34323.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Par un décret n°2020-298 en date du 24 mars 2020, le Gouvernement augmente le plafond d’heures supplémentaires à 20h pour les agents de la fonction publique hospitalier. Mais surtout, il est permis à titre exceptionnel, en dehors de toute crise sanitaire, de dépasser le plafond.

L’occasion de faire le point sur les heures supplémentaires du personnel de santé et les conséquences d’un tel décret.

I) Sur l’assouplissement du déplafonnement des heures supplémentaires à titre exceptionnel en dehors de toute crise sanitaire

Au regard de la rédaction du décret n°2002-598 du 25 avril 2002, des interrogations se posent sur le contenu du décret n°2020-298.

L’article 6 du décret n°2002-598 dispose qu’en « cas de crise sanitaire, les établissements de santé sont autorisés, par décision du ministre de la santé, à titre exceptionnel, pour une durée limitée et pour les personnels nécessaires à la prise en charge des patients, à dépasser les bornes horaires fixées par le cycle de travail »

Autrement dit, eu égard à la crise sanitaire actuelle, le ministre de la santé avait toute latitude pour autoriser le dépassement des heures supplémentaires.

Ainsi, il est légitime de s’interroger sur les raisons pour lesquelles le Gouvernement autorise l’agence régionale de santé ou le préfet du département a autorisé le déplafonnement « à titre exceptionnel, notamment au regard des impératifs de continuité du service public ou de la situation sanitaire, à dépasser les bornes horaires fixées par le cycle de travail, pour une durée limitée et pour les personnels nécessaires à la prise en charge des usagers. »

Pour cause, dans le flux de mesures exceptionnelles, le pouvoir exécutif a, en réalité, pris une mesure qui a vocation à s’appliquer en tout temps.

Plus précisément, le déplafonnement des heures supplémentaires n’est plus circonstancié à une crise sanitaire mais peut s’appliquer à tout type événement exceptionnel.

A ce titre, il peut s’agir « notamment des impératifs de continuité du service public ou de la situation sanitaire ».

Il en résulte tout d’abord, une possibilité de déplafonnement des heures supplémentaires pour tout motif que les ARS et les Préfets jugeront exceptionnels et soumises à leur propre interprétation dans la mesure où le décret ne renvoie qu’à deux exemples.

L’esprit d’une telle disposition semble être de pouvoir prévoir la mobilisation des personnels de santé à des événements imprévisibles tels que les attentats de novembre 2015.

Face à une telle imprécision dans les circonstances déplafonnement, il convient de s’attarder sur les exemples de déplafonnement précisés par le décret.

Tout d’abord, sur la notion "d’impératifs de continuité du service public", celle-ci renvoie au principe général du droit [1].

Ainsi, par exemple, pour le service public hospitalier, les urgences doivent fonctionner normalement en continu.

De ce fait, il semble que le Gouvernement envisage plus particulièrement l’hypothèse selon laquelle des établissements sont en sous-effectifs.

Autrement dit, un tel motif pourrait être interpréter comme une possibilité de prévoir davantage d’heures supplémentaires dans l’attente de recrutements.

Ensuite, sur la notion de « situation sanitaire », celle-ci apparait particulièrement large et permet ainsi, le déplafonnement des heures supplémentaires avant même l’existence d’une crise.

Si un tel motif peut être louable pour anticiper une crise sanitaire comme celle que nous vivons actuellement, toute situation sanitaire n’appelle pas forcément une augmentation des services hospitaliers notamment ceux qui ne sont pas essentiels pour remédier à la situation sanitaire.

Néanmoins, il convient de souligner que cet assouplissement reste encadré par les ARS et les Préfets.

En outre, une telle mesure a le mérite d’adapter le déplafonnement des heures supplémentaires aux circonstances locales à l’image des mesures de police et d’éviter les abus en cas de déplafonnement au niveau national.

Malgré les imprécisions du décret du 24 mars 2020, le régime des heures supplémentaires n’a pas été remis en cause.

II) Le régime des heures supplémentaires pour les agents hospitaliers

Il convient de rappeler que le décret n°2002-9 du 4 janvier fixe les modalités de mise en œuvre et d’indemnisation des heures supplémentaires et donc de préciser les jurisprudences récentes en la matière.

Ainsi, par exemple, il résulte dudit décret que la durée de travail supplémentaire ne saurait excéder 48 h supplémentaires comprises, au cours d’une période de 7 jours, ni 48 supplémentaires non comprises, au cours d’une semaine civile, ni 39 h en moyenne par semaine civile, au cours d’un cycle irrégulier. A ce titre, le juge administratif est compétent pour annuler des tableaux de service [2].

Ensuite, le Conseil d’Etat considère que lorsqu’un agent, en astreinte, est tenu de rester à disposition permanente et immédiate de l’administration employeur, il a le droit au paiement de ses heures à la différence du temps passé dans un logement mis à la disposition du personnel pendant l’astreinte [3].

Enfin, la circonstance qu’un cycle de travail n’a pas été fixé par le chef d’établissement n’empêche nullement le bénéfice du paiement des heures supplémentaires [4].

La protection des agents hospitalier et le droit à leur indemnisation restent donc inchangés.

En conclusion, le décret du 24 mars 2020 adapte le déplafonnement des heures supplémentaires aux circonstances locales tout en élargissant son recours avec des notions imprécis.
Toutefois, le régime des heures supplémentaires reste inchangée tant pour leur mise en œuvre que pour leur indemnisation.

Charles Abeel Avocat au Barreau de Lille

[1CE, 13/06/80, n°17995

[2CE, 4/04/18, n°398069 et 398070

[3CE, 19/12/19, n°418396

[4CE, 25/02/11, n°329842

Comentaires: