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L’expertise psychiatrique et psychologique dans les procédures criminelles. Par Avi Bitton, Avocat et Anne-Claire Lagarde, Juriste.
Parution : mardi 7 avril 2020
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Quelle est la mission de l’expert psychiatre ou psychologue dans les procédures criminelles ?
Quels sont les recours contre les conclusions d’un expert ?

Le rôle d’un magistrat est de dire le droit. Il tranche un litige en s’appuyant sur les règles de droit. Bien souvent cependant, le spectre d’un conflit ne se limite pas à l’application d’une règle de droit. En procédure criminelle, il est question d’hommes et de femmes, de fêlures intérieures et de maux plus profonds que le droit. Lorsque la compréhension des faits se trouvent au-delà du rationnel, les compétences du juge pénal trouvent leurs limites.

Lorsque les faits sont de nature criminelle, un juge d’instruction est désigné pour poursuivre l’enquête, c’est l’information judiciaire. Le juge d’instruction instruit à charge et à décharge et l’article 81 du Code de procédure pénale lui offre la possibilité de procéder à tous les actes d’investigation qu’il juge utiles à la manifestation de la vérité. Parmi ces actes, il peut prescrire un examen médical ou un examen psychologique.

Dans la lettre du texte il ne s’agit que d’une faculté et non d’une obligation. Un arrêt de la Cour de cassation du 24 août 2016 a ainsi rappelé qu’aucune disposition du Code de procédure pénale ne fait obligation au juge d’instruction d’ordonner, dans le cadre d’une information ouverte en matière criminelle, une expertise psychiatrique ou psychologique. En l’espèce, il s’agissait d’un accusé déjà condamné par une cour d’assises et le juge d’instruction avait estimé que les expertises psychiatriques réalisées pour la précédente affaire suffisaient à éclairer la cour.

lI n’en demeure pas moins que la prescription d’un examen psychologique de l’accusé, comme de la partie civile, est bien souvent systématique.

I. Le recours à l’expertise psychologique et/ou psychiatrique dans les procédures criminelles.

A. L’intérêt du recours à une expertise psychiatrique et/ou psychologique.

Le premier intérêt d’une expertise psychologique ou psychiatrique est de déterminer le degré de responsabilité de l’auteur supposé des faits. En vertu de l’article 122-1 du Code de procédure pénale, « n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. »

La question du discernement de l’auteur supposé des faits au moment de la commission de l’infraction étant déterminante pour entrer en voie de condamnation, le juge ne peut de lui-même apporter cette lumière. Il fera donc appel à l’expert psychiatre pour connaître le degré de discernement de l’auteur et éventuellement prononcer une altération ou une abolition du discernement qui feront obstacle au prononcé de la responsabilité pénale et donc, à une déclaration de culpabilité.

Également, le recours à une expertise psychologique ou psychiatrique permet au juge d’avoir une connaissance sur l’état de dangerosité du mis en cause, ou plus précisément sur l’existence d’une pathologie qui pourrait faire craindre un risque de récidive. Dans cette optique, l’expertise psychiatrique ou psychologique interviendra non seulement avant le procès pour éclairer la cour d’assises, mais également une fois la personne condamnée, lorsqu’elle formulera une demande d’aménagement de peine, ou au moment de sa fin de peine. L’état de dangerosité d’un individu peut être lié à une maladie mentale de celui-ci. On sort alors de la compétence du droit pour s’inscrire dans le domaine psychiatrique ; l’enfermement ne sera plus carcéral mais médical.

B. La désignation de l’expert.

Le plus souvent, c’est le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction qui va désigner un expert en vue de l’expertise psychiatrique ou psychologique de l’auteur des faits et de la partie civile. Il est à noter que le président de la cour d’assises peut également désigner un expert avant sa session ou au cours des débats lorsqu’il ordonne un supplément d’information.

La demande d’expertise peut également émaner du Ministère public ou d’une partie. Doivent être alors précisées dans la demande les questions posées à l’expert.

L’expert est choisi sur la liste nationale dressée par la Cour de cassation ou sur une des listes dressées par les cours d’appel.

C. La mission de l’expert.

En vertu de l’article 158 du Code de procédure pénale, la mission de l’expert doit être précisée dans la décision qui ordonne l’expertise. Ces missions ne sont pas précisément définies par le Code de procédure pénale qui demeure lacunaire sur cette question. L’article 158 indique toutefois que la mission de l’expert ne peut avoir pour objet que l’examen de questions d’ordre technique.

Les questions posées à l’expert doivent donc être très précises. Il s’agit d’une part de faciliter le travail de l’expert qui ne s’appuiera que sur des éléments factuels, mais également d’écarter toute possibilité d’interprétation des conclusions de l’expert par les parties au cours des débats.

Une question qui est systématiquement posée à l’expert est celle de savoir si le mis en examen est accessible à une sanction pénale. Il s’agit là de savoir s’il était doté d’un discernement au moment des faits ou s’il peut être déclaré pénalement irresponsable. Également, il sera souvent demandé à l’expert d’évaluer si le mis en cause nécessite une prise en charge médicale ; cette question pourra donner lieu à une injonction de soins qui complètera la peine.

Le projet de la mission de l’expert est communiqué aux parties. Celles-ci sont alors appelées à faire des observations voire des suggestions de questions complémentaires.

II. La contestation de l’expertise.

A. La demande de contre-expertise.

Lorsque l’expert a rendu son rapport, les parties sont informées de ses conclusions. L’intégralité du rapport est remise aux avocats des parties sur leur demande. Le juge d’instruction fixe alors un délai aux parties pour présenter des observations ou formuler une demande de complément d’expertise ou de contre-expertise. Si le juge d’instruction rejette la demande de l’une des parties, sa décision doit être motivée et elle doit intervenir dans le délai d’un mois. La chambre de l’instruction pourra être saisie si ce délai n’est pas respecté.

L’article 167-1 du Code de procédure pénale régit le cas particulier du rapport d’expertise psychologique ou psychiatrique qui a conclu à l’irresponsabilité pénale de l’auteur des faits en raison d’un trouble mental. La partie civile est alors convoquée par le juge d’instruction, avec son Conseil, et en présence de l’expert pour que lui soient notifiées les conclusions de l’expertise. Dans ce cas précis, la contre-expertise demandée par la partie civile est de droit. Elle devra être accomplie par au moins deux experts.

La contre-expertise peut également être privée. Une telle démarche peut être justifiée par la nécessité d’évaluer les risques ou l’opportunité d’une plainte pour la partie civile, ou de réduire les délais pour le mis en examen. En effet, les délais déjà longs en procédure criminelle sont d’autant plus allongés en cas de demande d’une contre-expertise. Cette situation est contraignante, d’autant plus lorsque le mis en examen est en détention provisoire. L’avocat de la défense peut alors décider de privilégier la contre-expertise privée.

Peu appréciée des magistrats qui ont tendance à lui donner peu de crédit, la contre-expertise privée a pour avantage de rétablir le contradictoire. La partialité du professionnel, même s’il est désigné par une seule des parties, est présumée. En tout état de cause, le Président de la cour d’assises ne pourra pas refuser d’entendre l’expert privé en qualité de témoin au cours des débats. Il est à noter que l’expert doit néanmoins demeurer pleinement indépendant de chacune des parties. La chambre criminelle de la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler que les contre-expertises privées ne sont en principe pas illicites, mais, plus encore, que les juges ne peuvent les écarter des débats sans motiver leur décision.

B. La récusation de l’expert.

Contrairement à ce qui est prévu en matière civile, le Code de procédure pénale ne prévoit pas la récusation de l’expert.

La chambre criminelle admet cependant que le défaut d’impartialité d’un expert peut constituer une cause de nullité de ses rapports. Il faut pour cela que les reproches formulés puissent « priver les rapports de cet expert dont la désignation est contestée du caractère d’avis techniques soumis à la contradiction et à l’appréciation ultérieure des juges » [1].

III. Le rôle de l’expert.

A. La comparution de l’expert devant la cour d’assises.

La mission de l’expert ne s’arrête pas à la rédaction de son rapport d’expertise. Une fois le procès venu, il est tenu de venir déposer à la barre. Cette déposition est primordiale pour les jurés qui n’ont pas eu accès à la procédure écrite.

L’expert lit le plus souvent son rapport, puis répond aux questions de la Cour et des parties. Sa présence est alors primordiale car il pourra éclairer certains éléments de son rapport qui ont pu apparaître obscurs ou trop techniques, et les mettre en perspective par rapport aux faits jugés.

En cas d’absence de l’expert, le président de la cour d’assises peut choisir de lire son rapport pour éclairer la cour et le jury. Ces conclusions pourront être discutés par les parties.

B. Le rôle de l’expert après la condamnation.

Lorsqu’une personne a été condamnée à une mesure de suivi socio judiciaire, une expertise psychiatrique est un nécessaire préalable à toute mesure d’aménagement de peine, à toute permission de sortir ou encore à toute réduction de peine.

Lorsque la personne a été condamnée pour le meurtre, l’assassinat ou le viol d’un mineur de quinze ans, alors l’expertise psychiatrique doit être obligatoirement réalisée par deux experts. Cette expertise détermine si le condamné est susceptible de faire l’objet d’un traitement.

Lorsque la personne a été condamnée pour des infractions violentes ou de nature sexuelle et qu’elle sollicite un aménagement de sa peine, alors l’expertise doit se prononcer spécialement sur le risque de récidive du condamné.

En théorie, la validité d’un rapport d’expertise est de deux années. Le juge, et notamment le juge de l’application des peines à qui une demande d’aménagement de peine est formulée, s’attache à vérifier la date du dernier rapport rendu pour évaluer l’opportunité d’en demander un nouveau.

Avi Bitton, Avocat, Ancien Membre du Conseil de l’Ordre Tél. : 01.46.47.68.42 Courriel: [->avocat@avibitton.com] Site: [->https://www.avibitton.com]

[1Crim.,8 juin 2006

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