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L’abus de confiance dans les relations de travail. Par Arthur Tourtet, Avocat
Parution : samedi 28 mars 2020
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Les fonctions d’un salarié peuvent l’amener à utiliser de l’argent ou des biens qui ne lui appartiennent pas.

Certains salariés ne peuvent résister à la tentation de se servir de ces ressources pour satisfaire leurs propres intérêts.

Un tel comportement est susceptible de constituer le délit d’abus de confiance, infraction dont les conséquences peuvent être lourdes.

1. Qu’est-ce qu’un abus de confiance ?

La définition de ce délit est prévue à l’article 314-1 du Code pénal.

L’abus de confiance est le fait par une personne de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé.

Plusieurs éléments sont à réunir afin que ce délit soit constitué.

Une remise préalable d’une chose à titre précaire doit être effectuée. La chose doit être remise volontairement au salarié pour un objectif précis, sans transfert de propriété.

L’abus de confiance nécessite un détournement, qui est le fait d’utiliser la chose pour un autre but que celui qui a justifié sa remise. Le fait de ne pas rendre la chose confiée lorsque le salarié en avait l’obligation est également un détournement.

Par exemple, le chèque d’un client de l’employeur n’a pas pour destination le compte bancaire du salarié.

De même, une procuration sur les comptes bancaires de l’entreprise n’a pas pour finalité de payer les factures personnelles de l’employé titulaire de ce pouvoir.

Le salarié peut aussi faire l’objet de poursuites pénales lorsque les détournements n’ont pas été effectués pour son profil mais pour celui d’un tiers.

Pour illustration, le fait pour un serveur d’offrir des consommations à l’insu de l’employeur est un abus de confiance [1].

L’abus de confiance est encore caractérisé lorsque le salarié conserve de l’argent qu’il doit reverser à l’employeur afin de faire pression sur ce dernier, peu importe si le salarié n’a pas dépensé un centime de la somme objet de la rétention [2].

Concernant la chose détournée, il peut s’agir de n’importe quel bien susceptible d’appropriation. La chose peut être matérielle comme immatérielle.

En revanche, il n’a pas été admis qu’un abus de confiance puisse concerner un bien immobilier.

Classiquement, la chose détournée concerne de l’argent, du matériel ou encore des marchandises.

L’abus de confiance peut aussi concerner :

Sur l’utilisation du matériel informatique, il convient de préciser que la Cour de cassation a estimé que le détournement d’un ordinateur ou d’une connexion interne ne saurait être constitué par un usage privé ponctuel, qui n’est pas de nature à priver le légitime propriétaire de l’utilisation de son bien ni de le gêner dans l’exercice de ses propres prérogatives [6].

Le détournement doit causer un préjudice, même éventuel [7].

Concernant l’élément intentionnel, le salarié doit agir avec la volonté de se comporter comme le propriétaire de la chose.

2. Que risque le salarié ?

Sur le plan pénal, l’abus de confiance est sanctionné de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende.

Certaines circonstances peuvent porter la sanction jusqu’à sept ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende, comme par exemple un abus de confiance commis au préjudice d’une personne particulièrement vulnérable en raison de son âge ou de son état de santé.

Le salarié peut également être condamné à des peines complémentaires, notamment à des interdictions professionnelles comme l’interdiction d’exercer l’activité à l’occasion de laquelle l’abus de confiance a été commis.

Sur le plan civil, l’abus de confiance est traité avec une grande sévérité, ce comportement pouvant ruiner l’image de l’entreprise ainsi que toute confiance que l’employeur doit accorder à ses salariés.

Si les détournements sont démontrés, la sanction la plus probable sera le licenciement pour faute grave [8].

Dans les hypothèses les plus extrêmes, l’employeur est même en droit de licencier pour faute lourde [9].

A la différence de la faute grave, la faute lourde permet à l’employeur de réclamer des dommages et intérêt au salarié dans le but de réparer le préjudice subi.

La faute lourde est celle que le salarié a commis avec une intention de nuire à l’employeur, ce qu’un détournement en lui-même ne suffit pas à caractériser [10]. L’employeur ne peut se prévaloir de la faute lourde que s’il démontre que le salarié avait l’intention causer un préjudice à l’entreprise. [11].

L’exemple typique de la faute lourde serait celui du salarié qui détourne de l’argent ou des marchandises pour se venger de son employeur suite à un conflit. Une telle intention n’est pas facile à démontrer, d’autant plus que sa preuve repose intégralement sur l’employeur.

Concernant l’engagement de la responsabilité pécuniaire du salarié envers son employeur, un arrêt de la Chambre criminelle semble infléchir cette position, la Cour de cassation ayant estimé que l’employeur était en droit de demander la réparation de son préjudice devant le juge pénal, sans obligation de démontrer une faute lourde [12].

Cet arrêt de la Chambre criminelle, dont la motivation est ambiguë, doit être interprété avec prudence car des décisions ultérieures de la Cour de cassation peuvent contredire comme confirmer cette jurisprudence.

Par contre, le salarié peut être condamné, même sans faute lourde de sa part, à restituer les choses confiées et détournées, cette obligation de restitution n’étant que la mise en œuvre de l’exécution du contrat de travail et non l’engagement d’une responsabilisé civile [13].

Le salarié peut aussi être condamné à indemniser les éventuelles victimes tierces à la relation de travail [14].

Si le salarié a fait l’objet d’une condamnation pénale devenue définitive, il sera vain pour lui de contester son licenciement si ce dernier repose sur les mêmes faits tranchés par le juge pénal. Le Conseil des prud’hommes qui aura été saisi n’aura pas d’autre choix que de valider le licenciement.

Il s’agit de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil.

Inversement, si le salarié a bénéficié d’une décision de relaxe, le licenciement sera sans cause réelle et sérieuse, sauf si l’employeur a licencié pour des faits distincts de ceux qui ont fait l’objet des poursuites pénales [15].

Si le juge prud’homale est déjà saisi alors qu’une procédure pénale est en cours, il peut, dans l’attente de la décision pénale définitive, surseoir à statuer [16].

À noter que l’employeur n’a pas à attendre le résultat de la procédure pénale pour engager la procédure de licenciement. De plus, l’employeur peut aussi mettre à pied le salarié à titre conservatoire et attendre le résultat des poursuites pénales avant d’engager la procédure de licenciement.

Attention, lorsque la plainte déposée par l’employeur a débouché sur une décision de classement sans suite du procureur de la république ou bien sur une ordonnance de non-lieu du juge d’instruction, le salarié n’est pas forcément tiré d’affaire car ces décisions ne sont pas revêtues de l’autorité de la chose jugée.

De même, l’absence de plainte déposée par l’employeur ne sera pas forcément le signe d’un manque d’assurance concernant l’existence d’un détournement fautif. L’employeur est tout à fait en droit de se contenter d’un licenciement pour se protéger d’un salarié malhonnête.

Arthur Tourtet Avocat au Barreau du Val d\'Oise

[1Cass. crim. 5 octobre 2011, n° 10-88.722

[2Cass. crim., 24 janvier 2001, n° 00-84.826

[3Cass. crim., 22 mars 2017, n° 15-85.929

[4Cass. Crim., 19 juin 2013, n°12-83.031

[5Cass. crim., 19 mai 2004, n° 03-83.953

[6Cass. crim., 16 juin 2011, n° 10-83.758

[7Cass. crim., 13 janvier 2010, n° 08-83.216

[8Cass. soc., 16 juin 1998, n° 96-41.383

[9Cass. soc., 30 septembre 2013, n° 12-15.143

[10CA Versailles, 18 mai 2016, n° 14/04555

[11Cass. Soc. 22 oct. 2015 n° 14-11801

[12Cass. crim., 14 novembre 2017, n° 16-85.161

[13Cass. soc., 19 novembre 2002, n° 00-46.108

[14Cass. ass. plén., 14 décembre 2001, n° 00-82.066

[15Cass. soc., 08 décembre 2010, n° 09-65.135 et Cass. soc., 12 octobre 2016, n° 15-19.620

[16CA Bordeaux, 26 juin 2006, n° 05/00655